Aujourd'hui, je pratique au même endroit mais dans un autre monde. Parmi les 589 communes belges, la mienne se situe à la 584ème place par rapport au revenu moyen net par habitant, plus d'un quart de la population est âgée de moins de 18 ans, issue de familles nombreuses nettement surreprésentées, un tiers de la population a droit à l'intervention majorée pour l'assurance soins de santé, et ce pourcentage atteint plus de 40 % parmi les jeunes. Le rajeunissement de la structure d'âge a rendu nos rues aux jeux des enfants, aux vélos et aux trottinettes et a rempli les salles d'attentes de jeunes mamans et de maladies d'enfance. Je m'y promène paradoxalement avec le même bonheur que jadis, ses rues ont l'arôme de la vraie vie. La pauvreté n'est pas un dépérissement mais la conviction d'en sortir un jour.

Une question tout de même

Paradoxe : bien que la population âgée ait diminué, le nombre de personnes très âgées (85-89 ans) a augmenté. Cela expliquerait-il que lors de mes promenades je ne croise plus aucun chien. Cherchez les maîtres disparus, et vous comprendrez où sont les clebs. Les animaux de compagnie sont un marqueur de la solitude, et de la capacité d'une population à se balader en rue.

Longtemps je croisai les pas d'un de mes plus vieux patients, souffrant d'une coxarthrose majeure, tiré par un Milou famélique. Ils disparurent ensemble, l'un au cimetière, l'autre à l'équarrissage. Les familles roumaines ou polonaises quant à elles, pour qui le chien n'était qu'un gardien devenu inutile ont assez de bouches à nourrir sans y ajouter un Labrador ou un Rottweiler. Adieu à eux sans espoir de retour.

Tous les vieux ne meurent pas pour autant, mais ils sortent du domaine visible. L'administration à domicile d'une dose-boost contre le covid m'a fait revoir un patient amputé il y a deux ans, refusant farouchement toute idée de placement en maison de soins, hissé par les ambulanciers jusqu'à son domicile au deuxième étage d'un immeuble sans ascenseur. Il ne l'a plus quitté depuis et passe d'interminables journées, immobilisé dans son fauteuil roulant, contemplant la course des passants à la fenêtre. Il me souffle " c'est étrange n'est-ce pas, être enterré avant même d'être mort, et vacciné alors qu'on ne voit personne. " Son chien est dans un refuge, car qui l'aurait promené ?

Carl Vanwelde . médecin généraliste à Anderlecht

Aujourd'hui, je pratique au même endroit mais dans un autre monde. Parmi les 589 communes belges, la mienne se situe à la 584ème place par rapport au revenu moyen net par habitant, plus d'un quart de la population est âgée de moins de 18 ans, issue de familles nombreuses nettement surreprésentées, un tiers de la population a droit à l'intervention majorée pour l'assurance soins de santé, et ce pourcentage atteint plus de 40 % parmi les jeunes. Le rajeunissement de la structure d'âge a rendu nos rues aux jeux des enfants, aux vélos et aux trottinettes et a rempli les salles d'attentes de jeunes mamans et de maladies d'enfance. Je m'y promène paradoxalement avec le même bonheur que jadis, ses rues ont l'arôme de la vraie vie. La pauvreté n'est pas un dépérissement mais la conviction d'en sortir un jour.Une question tout de mêmeParadoxe : bien que la population âgée ait diminué, le nombre de personnes très âgées (85-89 ans) a augmenté. Cela expliquerait-il que lors de mes promenades je ne croise plus aucun chien. Cherchez les maîtres disparus, et vous comprendrez où sont les clebs. Les animaux de compagnie sont un marqueur de la solitude, et de la capacité d'une population à se balader en rue.Longtemps je croisai les pas d'un de mes plus vieux patients, souffrant d'une coxarthrose majeure, tiré par un Milou famélique. Ils disparurent ensemble, l'un au cimetière, l'autre à l'équarrissage. Les familles roumaines ou polonaises quant à elles, pour qui le chien n'était qu'un gardien devenu inutile ont assez de bouches à nourrir sans y ajouter un Labrador ou un Rottweiler. Adieu à eux sans espoir de retour.Tous les vieux ne meurent pas pour autant, mais ils sortent du domaine visible. L'administration à domicile d'une dose-boost contre le covid m'a fait revoir un patient amputé il y a deux ans, refusant farouchement toute idée de placement en maison de soins, hissé par les ambulanciers jusqu'à son domicile au deuxième étage d'un immeuble sans ascenseur. Il ne l'a plus quitté depuis et passe d'interminables journées, immobilisé dans son fauteuil roulant, contemplant la course des passants à la fenêtre. Il me souffle " c'est étrange n'est-ce pas, être enterré avant même d'être mort, et vacciné alors qu'on ne voit personne. " Son chien est dans un refuge, car qui l'aurait promené ?Carl Vanwelde . médecin généraliste à Anderlecht