À bon médecin, bon patient. Quittant une excellente réunion médicale consacrée aux stéatohépatites non alcooliques (NASH), m'envahit une sourde culpabilité née de la confrontation entre ce qu'il paraît indispensable de faire dans le cadre d'une prévention efficace et ce qui est réalisé en consultation quotidienne. Impressionné par la qualité de l'exposé, des courbes, de la pertinence des études, des taux de survie en cas de négligence, on n'ose se risquer à évaluer le nombre de patients à reconvoquer en vue d'une prise en charge adéquate de leurs facteurs de risques. D'autant plus concernés qu'ils présentent fréquemment des comorbidités métaboliques, cardiovasculaires, diabétiques, pondérales reconnues mais négligées car indolores et ne limitant guère leur vie quotidienne. Absorbés par une activité professionnelle intense, par une infinité d'autres préoccupations, confiants dans leur bonne étoile, une hérédité favorable, une sensation d'être en excellente santé, ou dans le déni par crainte de la maladie, ces patients fantômes constituent la honte de leur médecin lorsqu'un contact médical extérieur inattendu met en évidence la pauvreté du suivi.

Qui de nous n'a été confronté à ces patients souvent sympathiques mais insaisissables, sollicitant une prescription dématérialisée pour régulariser les produits avancés par le pharmacien, ou usant d'une épouse complice pour se ravitailler, promettant croix de bois croix de fer qu'il s'agit de la dernière demande, et qui disparaissent progressivement de tous les radars. Sommes-nous dupes ? Non bien sûr. Sommes-nous complaisants ? Oui évidemment, mais mesurant la balance des risques d'un arrêt de traitement diabétique, antihypertensif, de l'échappement programmé de tous les facteurs métaboliques chez des patients pour lesquels nous avons perdu toutes nos illusions de compliance à une surveillance rapprochée, nous choisissons en toute connaissance de cause la solution minimaliste d'une prescription sans contrôle.

D'autres préféreront rompre la relation thérapeutique, estimant avec raison leur responsabilité engagée, renvoyant le patient insouciant à ses propres responsabilités. Ce dilemme aura constitué le tourment de mon activité professionnelle depuis de longues années, sans aucune solution satisfaisante. Accepter d'être médiocre pour sauvegarder le minimum n'est jamais glorieux.

La partie immergée des études

Demeure néanmoins une question rarement abordée. Nul ne conteste la rigueur présidant à la réalisation des innombrables études sur les pathologies silencieuses telles les NASH, le diabète, l'hypertension, les troubles métaboliques, les risques génétiques de cancer, et il en surgira malheureusement bien d'autres. Mais évalue-t-on avec objectivité la part immergée des populations concernées ? Le continent obscur des patients échappant à tout contrôle mériterait pourtant qu'on le prenne en compte lorsqu'on calcule les morbi-mortalités de ces affections redoutables. Que d'obèses diabétiques, buveurs, hypertendus, condamnés par la médecine et qui narguent nos pronostics dans leur insouciance. Ils survivent pourtant, et parfois mieux que les patients les mieux suivis, ajoutant à notre culpabilité le doute quant au bien-fondé d'une attitude de rupture trop rigoriste. La question n'est guère anodine, et incite à la modestie : jusqu'où accorder au patient le droit de mal se soigner, selon nos critères ?

À bon médecin, bon patient. Quittant une excellente réunion médicale consacrée aux stéatohépatites non alcooliques (NASH), m'envahit une sourde culpabilité née de la confrontation entre ce qu'il paraît indispensable de faire dans le cadre d'une prévention efficace et ce qui est réalisé en consultation quotidienne. Impressionné par la qualité de l'exposé, des courbes, de la pertinence des études, des taux de survie en cas de négligence, on n'ose se risquer à évaluer le nombre de patients à reconvoquer en vue d'une prise en charge adéquate de leurs facteurs de risques. D'autant plus concernés qu'ils présentent fréquemment des comorbidités métaboliques, cardiovasculaires, diabétiques, pondérales reconnues mais négligées car indolores et ne limitant guère leur vie quotidienne. Absorbés par une activité professionnelle intense, par une infinité d'autres préoccupations, confiants dans leur bonne étoile, une hérédité favorable, une sensation d'être en excellente santé, ou dans le déni par crainte de la maladie, ces patients fantômes constituent la honte de leur médecin lorsqu'un contact médical extérieur inattendu met en évidence la pauvreté du suivi. Qui de nous n'a été confronté à ces patients souvent sympathiques mais insaisissables, sollicitant une prescription dématérialisée pour régulariser les produits avancés par le pharmacien, ou usant d'une épouse complice pour se ravitailler, promettant croix de bois croix de fer qu'il s'agit de la dernière demande, et qui disparaissent progressivement de tous les radars. Sommes-nous dupes ? Non bien sûr. Sommes-nous complaisants ? Oui évidemment, mais mesurant la balance des risques d'un arrêt de traitement diabétique, antihypertensif, de l'échappement programmé de tous les facteurs métaboliques chez des patients pour lesquels nous avons perdu toutes nos illusions de compliance à une surveillance rapprochée, nous choisissons en toute connaissance de cause la solution minimaliste d'une prescription sans contrôle.D'autres préféreront rompre la relation thérapeutique, estimant avec raison leur responsabilité engagée, renvoyant le patient insouciant à ses propres responsabilités. Ce dilemme aura constitué le tourment de mon activité professionnelle depuis de longues années, sans aucune solution satisfaisante. Accepter d'être médiocre pour sauvegarder le minimum n'est jamais glorieux.Demeure néanmoins une question rarement abordée. Nul ne conteste la rigueur présidant à la réalisation des innombrables études sur les pathologies silencieuses telles les NASH, le diabète, l'hypertension, les troubles métaboliques, les risques génétiques de cancer, et il en surgira malheureusement bien d'autres. Mais évalue-t-on avec objectivité la part immergée des populations concernées ? Le continent obscur des patients échappant à tout contrôle mériterait pourtant qu'on le prenne en compte lorsqu'on calcule les morbi-mortalités de ces affections redoutables. Que d'obèses diabétiques, buveurs, hypertendus, condamnés par la médecine et qui narguent nos pronostics dans leur insouciance. Ils survivent pourtant, et parfois mieux que les patients les mieux suivis, ajoutant à notre culpabilité le doute quant au bien-fondé d'une attitude de rupture trop rigoriste. La question n'est guère anodine, et incite à la modestie : jusqu'où accorder au patient le droit de mal se soigner, selon nos critères ?