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Le journal du Médecin: Le ministre Van Quickenborne annonce par voie de presse qu'il y a une pénurie dans votre spécialité et que des problèmes se posent au niveau des autopsies... Vous confirmez? Dr François Beauthier: Tout à fait. Le nombre de médecins légistes s'est réduit au fil des 30 dernières années. Probablement de moitié... Pour quelles raisons? On déplore des difficultés de recrutement et une certaine instabilité dans le travail... Nous vivons des périodes denses pendant lesquelles on ne sait plus où donner de la tête et d'autres périodes trop calmes... Ce qui génère un doute et une certaine instabilité financière... Les paiements ont été améliorés mais des valorisations nous avaient été promises qui n'arrivent toujours pas. On est toujours payé au km comme il y a 20 ans (0,58 euro du km). Quand on se déplace, on ne peut pas travailler. Un tarif horométrique n'est pas prévu. Je trouve curieux qu'on soit payés seulement 75 euros de l'heure (ndlr: une autopsie est payée environ 450 euros). En raison des pénuries, certains crimes pourraient ne pas être élucidés et passer pour une mort naturelle? Le taux d'autopsies en Belgique est un des plus faibles d'Europe. Donc, forcément, si on prend les autopsies tout-venant - dont les autopsies scientifiques -, dans les cas présumés de morts naturelles, se cachent des homicides. Des intoxications provoquées, par exemple. Ou des étouffements qui ne donnent pas beaucoup de signes à l'examen. Si le taux d'autopsies et le taux d'examens des éléments externes est limité, forcément, chaque année, un certain nombre d'homicides passent à la trappe. En Belgique, les statistiques sont peu précises et ne sont pas toujours faites de manière scientifique. On peut estimer le taux d'homicides ignorés de minimum 10%. Dans les pays nordiques, on autopsie jusqu'à 30% des décès... Combien êtes-vous en FWB? Douze en tout, dont la moitié d'assistants. Dans toute la Belgique, nous sommes une petite trentaine de médecins légistes actifs sur le terrain. Dans les séries télévisées, votre métier semble très attirant... Nous ne sommes pas les James Bond de la médecine. Les causes de la mort ne sont pas toujours évidentes (comme, par exemple, une balle dans la tête). On doit au contraire échafauder un diagnostic différentiel. Cela nécessite de passer par la toxicologie, la microbiologie, la radiologie, l'étude médicale du patient. On peut alors dire au magistrat quelle est la cause du décès la plus probable. Peut-on exclure l'intervention d'un tiers? Parfois, on n'en sait rien. C'est délicat. Une personne qui décède d'une intoxication médicamenteuse avec des taux qui ne relèvent pas forcément d'une concentration létale mais qui présentent un caractère toxique, que faut-il conclure? On sait qu'on peut mourir d'une prise concomitante de plusieurs médicaments. Est-ce la victime qui les a pris elle-même ou bien lui a-t-on administré? C'est délicat. C'est l'exemple type de la difficulté de déterminer l'intention de la personne elle-même ou de son entourage. Au niveau des techniques, votre spécialité progresse -t-elle d'année en année comme dans le reste de la médecine? Elle progresse mais plus lentement car nous n'avons pas de financement suffisant pour la recherche. Ce sont plutôt des techniques à mettre au point pour mieux comprendre les décès. Cela peut avoir un impact sur la médecine traditionnelle. Il y a-t-il des différences régionales et locales dans votre spécialité? En Flandre, il y a une certaine rigueur dans l'attribution des missions qu'on n'a pas forcément en Wallonie. Question d'attitude. La qualité du travail est identique mais c'est plus systématique par rapport aux désignations. Certaines normes sont mieux acceptées au Nord comme une autopsie systématique dans certains cas. En Wallonie, il faut argumenter sur chaque cas. Les consensus ne sont pas toujours les mêmes. Vous faites combien d'autopsies par mois? Environ cinq. Ça prend entre une et trois heures. Peut-on en "vivre"? C'est compliqué. L'idéal est d'avoir une consultation d'expertise sur le côté. Ce que nous faisons. Nous oeuvrons en médecine légale clinique qui concerne les blessés, les faits de moeurs, les victimes de violence physique, les faits accidentels. Les 2,2 millions budgétés par le ministre Van Quickenborne, c'est suffisant? Non. On avait fait une étude avec mes collègues de Leuven avec, à la clé, un projet de réforme proposé au ministre précédent. Il avait été refusé. Il faut compter 2 à 2,5 millions d'euros par an et par institut. Or il existe cinq instituts de médecine légale en Belgique. On est très occupés. On n'attend pas que le téléphone sonne pour travailler. En fait, il y a un trou générationnel encore actuellement en raison de la formation insuffisante et de l'absence de stabilité financière. Que pourrait-on dire justement à de jeunes étudiants pour qu'ils embrassent cette spécialité un peu particulière? Les jeunes cherchent une stabilité financière et un confort de vie. Une garde ou deux sur trois, c'est trop. Pour un jeune, c'est compliqué. Il faut qu'il atterrisse dans un service où il y a suffisamment de travail pour s'autofinancer. Aucun maître de stage ne se mettra en difficulté financière pour former un jeune. Cela n'a aucun sens. Mais hormis ces considérations financières, nous vivons dans une discipline où la technicité est haute et parallèlement il faut certaines qualités humaines. Peu de candidats réunissent tous ces critères et sont prêts à accepter les conditions de travail (qui ne sont pas inhumaines mais difficiles). Personnellement, je suis toujours passionné par mon travail et content de me lever le matin pour entreprendre une longue journée qui m'attend...