Dans le film, l'enfant apparaît comme un envahisseur. Les différentes mères interrogées expliquent ce qu'elles ont ressenti plusieurs mois après la naissance : Elles ne se sentaient pas à la hauteur et étaient malheureuses. Toujours le même sentiment qui revient, celui qui voudrait que tout cela n'existe pas, et se libérer du bébé alors qu'il y a de l'amour.

Pr Luc Roegiers, pédopsychiatre en périnatalité aux Services de Gynécologie, obstétrique et néonatologie, de la Cliniques Saint-Luc:

On parle de la DPN (dépression post natale) comme un syndrome mais les formes peuvent être très différentes. Ce qu'on décrit sous forme de DPN, c'est un état de déstabilisation émotionnelle qui apparaît un mois ou deux après la naissance allant jusqu'à sept ou huit mois plus tard. Les formes les plus fréquentes sont le manque de plaisir de la charge parentale avec un épuisement énorme et en général une préoccupation continuelle où on met la barre très haut dans les exigences de disponibilités à l'enfant sans en tirer de la gratification.

Il y a également des formes plus profondes avec un ralentissement tel, qu'il n'y a même pas le souci de se plaindre. Ce sont des dépressions profondes avec l'absence de réaction à l'enfant où la mère n'interagit plus, ne provoque plus chez l'enfant, ce fameux plaisir des échanges de visages, ne répond plus à leurs besoins émotionnels, mais c'est plus rare. Ce qu'on appelle plus généralement la DPN banale est moins conséquente pour le développement de l'enfant.

Certaines femmes aimeraient être prévenues du risque de la dépression post partum. Qu'en pensez-vous ?

Ça serait un peu particulier de réagir de manière médicale et négative comme celle-là.

Je pense qu'il faut plus réfléchir aux anticipations. S'il y a bien une action que l'on promeut, c'est celle de chercher au maximum les ressources en positif pour se retrouver dans les meilleures conditions post natales et ne pas dire à l'avance, attention un syndrome qu'on appelle la dépression post natale peut vous tomber dessus après l'accouchement.

Dr Gilles Ceysens, gynécologue obstétricien, conseiller médical ONE :

Donner une information spécifique sur la dépression du post partum est compliqué car c'est toujours difficile de parler de problèmes quand on est dans un contexte heureux. C'est la même chose quand on parle d'autres types de maladies. On ne passe pas son temps en consultation à lister tous les problèmes qui pourraient survenir à la fin. On critique déjà suffisamment les médecins de médicaliser la grossesse!

Dr pierre Rousseau, gynécologue obstétricien, ancien conseiller médical ONE, collaborateur scientifique au Service des Sciences de la Famille de l'Université de Mons, président de l'asbl Echoline:

Ce qui m'inquiète, c'est que pour pouvoir aider ces femmes, il faut qu'elles aient été repérées par un professionnel de première ligne. C'est là, selon moi, que le bât blesse. Depuis les années 90, j'ai utilisé l'outil de dépistage EPDS (Edinburgh Postnatal Depression Scale) chez des centaines de mères. Ce que j'en retire comme leçon, c'est qu'en déposant le questionnaire sur mon bureau après l'avoir rempli dans la salle d'attente, de nombreuses mères commençaient par dire qu'elles ne se rendaient pas compte qu'elles allaient si mal. C'est ça le souci.

Des causes multifactorielles

Quelles seraient les causes de la dépression post partum ?

Dr Rousseau : On sait aujourd'hui que la moitié des femmes qui sont en dépression du post partum étaient déjà déprimées pendant la grossesse. Et depuis une dizaine d'années, on se rend compte que la moitié des mères qui sont déprimées en anténatale sont en état de stress post traumatique (ESTP) souvent dû à la réactivation par la grossesse de traumatismes causés par la maltraitance infantile sous toutes ses formes, plus particulièrement à la suite d'abus sexuels. Et donc, le repérage doit se faire en anténatal.

Pr Roegiers : Le couple est également un point clé dans le développement du malaise de la DPN. Rien que ces deux points sont des axes de préventions précieux. Le manque d'appuis et de sécurité émotionnelle pendant la grossesse doivent faire partie des sujets de préoccupations, tout comme les troubles de régulations des hydrates de carbones ou de la tension artérielle, parmi les éléments de santé et bien-être essentiels. Ce dont on est sûr également aujourd'hui, c'est qu'il y a une déstabilisation de la femme après la naissance suite à un lien entre les variations hormonales et la neurotransmission. Mais le contexte sociétal rend plus difficile la mise au monde d'un enfant et ça, il faut en tenir compte.

Le fait de mettre au monde dans une société où tout est professionnalisé, et référé aux performances financières est compliqué. Car tout est valorisé par le fait de gagner de l'argent ou d'avoir un pouvoir. Or mettre au monde ne fait pas partie d'un certain pouvoir.

Mais Il y a plus. Le fait de mettre un enfant au monde est lié à toute une série de décisions.

Tout ce qui se passe mal en termes médical et psycho social, est un poids sur les épaules de la femme. Si l'on dépiste quelque chose, et que le couple décide d'aller de l'avant, c'est qu'ils l'ont voulu et ça c'est très dur à assumer de nos jours. Autre exemple, si le couple est en difficulté financière et qu'on leur reproche de quand même avoir programmé un enfant, c'est une nouvelle responsabilité. Cela veut dire aussi que si on est malheureux après une naissance, qu'on est angoissé ou triste, on reçoit moins d'appui de son entourage car le désir d'enfant est censé être maîtrisé et programmé.

Il y a peu de valorisation circulante et l'objectif qu'on peut se mettre dans une vie reste très élevé, surtout pour les femmes. Et comme l'évolution sociétale avance vers un partage des professions entre hommes et femmes mais que parallèlement l'homme a moins évolué dans ce partage des tâches domestiques et autour de l'arrivée d'un enfant, oui pour la femme ça devient un défi particulier qui va amener plus de risque de débordement.

Dr Ceysens : Probablement qu'il y a une pression de la société sur la femme pour qu'elle soit parfaite en tout point, plus qu'auparavant. Mais peut-être y a-t' il un effet pervers de l'égalité homme/femme, dans la mesure où il y a plus de femmes qui travaillent qu'avant et on attend d'elles qu'elles reviennent vite travailler. Quelque part, qu'elles puissent faire on /off : j'étais en congé de maternité et maintenant je suis au travail, je n'ai plus d'émotions particulières par rapport à tout ce qui s'est passé. Le congé de maternité pourrait ceci dit être rallongé et celui de paternité de dix jours reste ridiculement court.

Comment détecter ces mères en dépression ?

Dr Ceysens : Détecter les femmes en dépression post partum est une difficulté en effet parce que souvent les femmes qui en souffrent essaient de le dissimuler, car elles se sentent coupables ou ne s'en rendent pas compte. Mais c'est une problématique dont les professionnels sont de plus en plus conscients et l'évolution de la situation va dans le bon sens dans la mesure où on s'occupe de plus en plus du retour à la maison.

Les solutions: différentes stratégies

Le fait que le séjour en maternité diminue, pousse les professionnels dans le cadre de l'ONE ou pas, à préparer le retour au domicile au moyen de consultations spécifiques, généralement données par les sages-femmes.

Des sages-femmes vont à domicile au moins la première semaine et il y a souvent un relais avec les TMS (Travailleur médico social) de l'ONE, qui accompagnent environ 30% des grossesses dans le cadre de consultations prénatales de l'ONE. Mais au-delà de ça, ils rencontrent la plupart des futures mères même dans les hôpitaux non ONE. On est à 80% des femmes rencontrées en maternité avant qu'elles ne rentrent chez elles. Là aussi, les TMS cherchent à repérer des signes, des facteurs de risques de dépressions et proposent aux futures mères des visites à domiciles dans les 15 jours qui suivent. Et comme je parlais du raccourcissement de la durée de séjour, L'ONE réfléchit à réorganiser son offre de service. Pour l'instant on teste une autre stratégie où l'on propose deux contact anténataux, même aux femmes non suivies par l'ONE, pour atteindre un maximum de personne, à la fin du 1er trimestre et au début du 3e trimestre, afin de mettre en évidence tous ces facteurs de risques, de complication, de dépression post partum et autres.

Sans oublier la possibilité également, quand elles vont en consultation chez le pédiatre, que celui-ci détecte des signes de DPN, les conscientise et leur donne des outils.

Il y a donc bien des choses qui se mettent en place, même si, effectivement, il y a encore trop de femmes qui passent sous le radar et qui après se retrouvent isolées dans leur situation.

Pr Roegiers : De plus en plus, c'est la sage-femme qui suit la grossesse pour des raisons budgétaires mais aussi parce que c'est un peu la généraliste d'une grossesse. En soi la grossesse n'est pas une maladie mais nécessite un accompagnement médical. Ce sont ces professionnels qui doivent être la cible de la prise de conscience.

En France on a une systématisation par une sage-femme de l'entretien prénatal précoce, qui ne marche pas bien partout mais l'idée est là. En Belgique, on n'a pas cette systématisation mais il faudrait que le principe soit clair pour tout le monde et qu'il y a ait des entretiens prénataux précoces. Il ne s'agit pas de dépistage standardisé, mais vraiment d'une disponibilité d'écoute. A ce stade, on peut encourager des préparations personnalisées, mobiliser les pères, aider à désamorcer certains stress professionnels, soutenir l'estime de soi...

Utiliser l'EPDS ou pas?

En postnatal, ce seront plus généralement les équipes pédiatriques qui vont suivre et les médecins de l'ONE, qui devront élargir leur focus. Il y a plein de pistes mais ça reste de l'artisanat. Ce n'est pas, selon moi, avec la seule échelle de détection d'Edimbourg qu'on pourra dépister d'une manière utile la DPN. A quoi bon dépister quand on ne sait pas quoi en faire ? il faut aussi acheminer la personne vers un véritable accompagnement, selon ses besoins personnels et celui du bébé.

Dr Rousseau : Le problème en francophonie (aussi bien en Belgique qu'en France), c'est qu'il y a une réticence à utiliser l'outil de dépistage EPDS. J'ai eu l'occasion d'envoyer des femmes enceintes chez des psys que je savais formés à cette approche spécifique et les résultats étaient surprenants dans le bon sens. Mais le mot dépistage est peut-être mal choisi, car les psys considèrent cet outil comme une étiquette que l'on met sur le dos des mères et qui les déprimerait encore plus. Il faudrait utiliser le mot repérage ou tendre la main. Lorsque j'utilisais l'EPDS, je demandais aux futures mères si ce questionnaire les dérangeait et je n'ai eu aucun refus. Pour moi, c'est la seule façon d'arriver à toucher ces mères qui se cachent, surtout celles qui ont subi de la maltraitance et qui n'en parlent pas spontanément. L'écoute attentive ne suffit pas selon moi, car les mères profondément déprimées se taisent, et lorsqu'on leur tend la main avec cet outil mondialement utilisé, on voit la différence. La dépression périnatale est un problème majeur de santé publique en raison de sa prévalence chez les mères (15%), chez les pères (10%) et de ses effets délétères sur la santé physique et mentale des enfants. Un éditorial du Journal of the American Medical Association (JAMA) du 12 février 2019 souligne la nécessité de mettre en oeuvre des programmes de prévention de la dépression périnatale parce que c'est un problème majeur de santé publique en raison de ses effets délétères sur le développement de l'enfant. Une très large revue de la littérature publiée dans le même numéro du JAMA constate que ces programmes amènent une réduction globale de 39% (OR=0.61, 95% CI. 047 - 0.78) lorsque la détection est pratiquée avec l'EPDS validée et intitulée Edinburgh Perinatal Scale pour être utilisée pendant et après la grossesse.

Une autre chose importante selon moi, c'est que l'utilisation de l'EPDS demande de s'organiser en réseau pour proposer aux familles les ressources psychosociales nécessaires pour leur venir en aide. Envoyer chez le psy n'est pas toujours la solution. La pratique en réseau a fait ses preuves mais on n'est pas vraiment formé à cela. Le morcellement du suivi des grossesses est un gros handicap dans l'organisation des soins en Belgique. Les femmes enceintes consultent un gynéco, puis elles vont voir un échographiste, puis elles arrivent à la maternité dans une équipe qu'elles ne connaissent pas. D'autres sont suivies par une sagefemme, qui, à part dans quelques maternités, n'a pas accès au plateau technique lors de leur accouchement.

© DR

Un certain nombre d'institutions offrent un accompagnement à domicile de familles précarisées et sont subventionnés depuis quelques années par la Fondation Roi Baudouin et Viva for Life. L'an passé, la Fédération Wallonie Bruxelles a octroyé à l'ONE une importante subvention pour financer de manière récurrente sept Services d'Accompagnement Périnatal constitués essentiellement de sages-femmes, de psychologues et de travailleurs sociaux pour suivre des familles précarisées sur le modèle de l'asbl Echoline qui oeuvre à Charleroi depuis plus de 20 ans. Echoline accompagne actuellement plus d'une centaine de familles par an, depuis la grossesse jusqu'aux trois ans de l'enfant. C'est un beau modèle de travail en réseau. Mon espoir, c'est la généralisation de ce modèle où les visites à domicile sont effectuées par les mêmes personnes en santé et en postnatal.

1. Felder JN. Editorial. Implementing the USPSTF Recommendations on Prevention of Perinatal Depression-- Opportunities and Challenges. JAMA Intern Med. Published online February 12, 2019. doi : 10.1001/jamainternmed.2018.7729

2. O'Connor EA, Senger CA, Henninger M, Gaynes BN, Coppola E, Soulsby Weyrich M. Interventions to Prevent Perinatal Depression : A Systematic Evidence Review for the U.S. Preventive Services Task Force. Evidence Synthesis No. 172. AHRQ Publication No. 18-05243-EF-1. Rockville, MD : Agency for Healthcare Research and Quality; 2019

https://www.j-ai-mal-a-ma-maternite.be/

Dans le film, l'enfant apparaît comme un envahisseur. Les différentes mères interrogées expliquent ce qu'elles ont ressenti plusieurs mois après la naissance : Elles ne se sentaient pas à la hauteur et étaient malheureuses. Toujours le même sentiment qui revient, celui qui voudrait que tout cela n'existe pas, et se libérer du bébé alors qu'il y a de l'amour.Pr Luc Roegiers, pédopsychiatre en périnatalité aux Services de Gynécologie, obstétrique et néonatologie, de la Cliniques Saint-Luc:On parle de la DPN (dépression post natale) comme un syndrome mais les formes peuvent être très différentes. Ce qu'on décrit sous forme de DPN, c'est un état de déstabilisation émotionnelle qui apparaît un mois ou deux après la naissance allant jusqu'à sept ou huit mois plus tard. Les formes les plus fréquentes sont le manque de plaisir de la charge parentale avec un épuisement énorme et en général une préoccupation continuelle où on met la barre très haut dans les exigences de disponibilités à l'enfant sans en tirer de la gratification.Il y a également des formes plus profondes avec un ralentissement tel, qu'il n'y a même pas le souci de se plaindre. Ce sont des dépressions profondes avec l'absence de réaction à l'enfant où la mère n'interagit plus, ne provoque plus chez l'enfant, ce fameux plaisir des échanges de visages, ne répond plus à leurs besoins émotionnels, mais c'est plus rare. Ce qu'on appelle plus généralement la DPN banale est moins conséquente pour le développement de l'enfant.Certaines femmes aimeraient être prévenues du risque de la dépression post partum. Qu'en pensez-vous ?Ça serait un peu particulier de réagir de manière médicale et négative comme celle-là.Je pense qu'il faut plus réfléchir aux anticipations. S'il y a bien une action que l'on promeut, c'est celle de chercher au maximum les ressources en positif pour se retrouver dans les meilleures conditions post natales et ne pas dire à l'avance, attention un syndrome qu'on appelle la dépression post natale peut vous tomber dessus après l'accouchement.Dr Gilles Ceysens, gynécologue obstétricien, conseiller médical ONE :Donner une information spécifique sur la dépression du post partum est compliqué car c'est toujours difficile de parler de problèmes quand on est dans un contexte heureux. C'est la même chose quand on parle d'autres types de maladies. On ne passe pas son temps en consultation à lister tous les problèmes qui pourraient survenir à la fin. On critique déjà suffisamment les médecins de médicaliser la grossesse!Dr pierre Rousseau, gynécologue obstétricien, ancien conseiller médical ONE, collaborateur scientifique au Service des Sciences de la Famille de l'Université de Mons, président de l'asbl Echoline:Ce qui m'inquiète, c'est que pour pouvoir aider ces femmes, il faut qu'elles aient été repérées par un professionnel de première ligne. C'est là, selon moi, que le bât blesse. Depuis les années 90, j'ai utilisé l'outil de dépistage EPDS (Edinburgh Postnatal Depression Scale) chez des centaines de mères. Ce que j'en retire comme leçon, c'est qu'en déposant le questionnaire sur mon bureau après l'avoir rempli dans la salle d'attente, de nombreuses mères commençaient par dire qu'elles ne se rendaient pas compte qu'elles allaient si mal. C'est ça le souci.Quelles seraient les causes de la dépression post partum ?Dr Rousseau : On sait aujourd'hui que la moitié des femmes qui sont en dépression du post partum étaient déjà déprimées pendant la grossesse. Et depuis une dizaine d'années, on se rend compte que la moitié des mères qui sont déprimées en anténatale sont en état de stress post traumatique (ESTP) souvent dû à la réactivation par la grossesse de traumatismes causés par la maltraitance infantile sous toutes ses formes, plus particulièrement à la suite d'abus sexuels. Et donc, le repérage doit se faire en anténatal.Pr Roegiers : Le couple est également un point clé dans le développement du malaise de la DPN. Rien que ces deux points sont des axes de préventions précieux. Le manque d'appuis et de sécurité émotionnelle pendant la grossesse doivent faire partie des sujets de préoccupations, tout comme les troubles de régulations des hydrates de carbones ou de la tension artérielle, parmi les éléments de santé et bien-être essentiels. Ce dont on est sûr également aujourd'hui, c'est qu'il y a une déstabilisation de la femme après la naissance suite à un lien entre les variations hormonales et la neurotransmission. Mais le contexte sociétal rend plus difficile la mise au monde d'un enfant et ça, il faut en tenir compte.Le fait de mettre au monde dans une société où tout est professionnalisé, et référé aux performances financières est compliqué. Car tout est valorisé par le fait de gagner de l'argent ou d'avoir un pouvoir. Or mettre au monde ne fait pas partie d'un certain pouvoir.Mais Il y a plus. Le fait de mettre un enfant au monde est lié à toute une série de décisions.Tout ce qui se passe mal en termes médical et psycho social, est un poids sur les épaules de la femme. Si l'on dépiste quelque chose, et que le couple décide d'aller de l'avant, c'est qu'ils l'ont voulu et ça c'est très dur à assumer de nos jours. Autre exemple, si le couple est en difficulté financière et qu'on leur reproche de quand même avoir programmé un enfant, c'est une nouvelle responsabilité. Cela veut dire aussi que si on est malheureux après une naissance, qu'on est angoissé ou triste, on reçoit moins d'appui de son entourage car le désir d'enfant est censé être maîtrisé et programmé.Il y a peu de valorisation circulante et l'objectif qu'on peut se mettre dans une vie reste très élevé, surtout pour les femmes. Et comme l'évolution sociétale avance vers un partage des professions entre hommes et femmes mais que parallèlement l'homme a moins évolué dans ce partage des tâches domestiques et autour de l'arrivée d'un enfant, oui pour la femme ça devient un défi particulier qui va amener plus de risque de débordement.Dr Ceysens : Probablement qu'il y a une pression de la société sur la femme pour qu'elle soit parfaite en tout point, plus qu'auparavant. Mais peut-être y a-t' il un effet pervers de l'égalité homme/femme, dans la mesure où il y a plus de femmes qui travaillent qu'avant et on attend d'elles qu'elles reviennent vite travailler. Quelque part, qu'elles puissent faire on /off : j'étais en congé de maternité et maintenant je suis au travail, je n'ai plus d'émotions particulières par rapport à tout ce qui s'est passé. Le congé de maternité pourrait ceci dit être rallongé et celui de paternité de dix jours reste ridiculement court.Comment détecter ces mères en dépression ?Dr Ceysens : Détecter les femmes en dépression post partum est une difficulté en effet parce que souvent les femmes qui en souffrent essaient de le dissimuler, car elles se sentent coupables ou ne s'en rendent pas compte. Mais c'est une problématique dont les professionnels sont de plus en plus conscients et l'évolution de la situation va dans le bon sens dans la mesure où on s'occupe de plus en plus du retour à la maison.Le fait que le séjour en maternité diminue, pousse les professionnels dans le cadre de l'ONE ou pas, à préparer le retour au domicile au moyen de consultations spécifiques, généralement données par les sages-femmes.Des sages-femmes vont à domicile au moins la première semaine et il y a souvent un relais avec les TMS (Travailleur médico social) de l'ONE, qui accompagnent environ 30% des grossesses dans le cadre de consultations prénatales de l'ONE. Mais au-delà de ça, ils rencontrent la plupart des futures mères même dans les hôpitaux non ONE. On est à 80% des femmes rencontrées en maternité avant qu'elles ne rentrent chez elles. Là aussi, les TMS cherchent à repérer des signes, des facteurs de risques de dépressions et proposent aux futures mères des visites à domiciles dans les 15 jours qui suivent. Et comme je parlais du raccourcissement de la durée de séjour, L'ONE réfléchit à réorganiser son offre de service. Pour l'instant on teste une autre stratégie où l'on propose deux contact anténataux, même aux femmes non suivies par l'ONE, pour atteindre un maximum de personne, à la fin du 1er trimestre et au début du 3e trimestre, afin de mettre en évidence tous ces facteurs de risques, de complication, de dépression post partum et autres.Sans oublier la possibilité également, quand elles vont en consultation chez le pédiatre, que celui-ci détecte des signes de DPN, les conscientise et leur donne des outils.Il y a donc bien des choses qui se mettent en place, même si, effectivement, il y a encore trop de femmes qui passent sous le radar et qui après se retrouvent isolées dans leur situation.Pr Roegiers : De plus en plus, c'est la sage-femme qui suit la grossesse pour des raisons budgétaires mais aussi parce que c'est un peu la généraliste d'une grossesse. En soi la grossesse n'est pas une maladie mais nécessite un accompagnement médical. Ce sont ces professionnels qui doivent être la cible de la prise de conscience.En France on a une systématisation par une sage-femme de l'entretien prénatal précoce, qui ne marche pas bien partout mais l'idée est là. En Belgique, on n'a pas cette systématisation mais il faudrait que le principe soit clair pour tout le monde et qu'il y a ait des entretiens prénataux précoces. Il ne s'agit pas de dépistage standardisé, mais vraiment d'une disponibilité d'écoute. A ce stade, on peut encourager des préparations personnalisées, mobiliser les pères, aider à désamorcer certains stress professionnels, soutenir l'estime de soi...En postnatal, ce seront plus généralement les équipes pédiatriques qui vont suivre et les médecins de l'ONE, qui devront élargir leur focus. Il y a plein de pistes mais ça reste de l'artisanat. Ce n'est pas, selon moi, avec la seule échelle de détection d'Edimbourg qu'on pourra dépister d'une manière utile la DPN. A quoi bon dépister quand on ne sait pas quoi en faire ? il faut aussi acheminer la personne vers un véritable accompagnement, selon ses besoins personnels et celui du bébé.Dr Rousseau : Le problème en francophonie (aussi bien en Belgique qu'en France), c'est qu'il y a une réticence à utiliser l'outil de dépistage EPDS. J'ai eu l'occasion d'envoyer des femmes enceintes chez des psys que je savais formés à cette approche spécifique et les résultats étaient surprenants dans le bon sens. Mais le mot dépistage est peut-être mal choisi, car les psys considèrent cet outil comme une étiquette que l'on met sur le dos des mères et qui les déprimerait encore plus. Il faudrait utiliser le mot repérage ou tendre la main. Lorsque j'utilisais l'EPDS, je demandais aux futures mères si ce questionnaire les dérangeait et je n'ai eu aucun refus. Pour moi, c'est la seule façon d'arriver à toucher ces mères qui se cachent, surtout celles qui ont subi de la maltraitance et qui n'en parlent pas spontanément. L'écoute attentive ne suffit pas selon moi, car les mères profondément déprimées se taisent, et lorsqu'on leur tend la main avec cet outil mondialement utilisé, on voit la différence. La dépression périnatale est un problème majeur de santé publique en raison de sa prévalence chez les mères (15%), chez les pères (10%) et de ses effets délétères sur la santé physique et mentale des enfants. Un éditorial du Journal of the American Medical Association (JAMA) du 12 février 2019 souligne la nécessité de mettre en oeuvre des programmes de prévention de la dépression périnatale parce que c'est un problème majeur de santé publique en raison de ses effets délétères sur le développement de l'enfant. Une très large revue de la littérature publiée dans le même numéro du JAMA constate que ces programmes amènent une réduction globale de 39% (OR=0.61, 95% CI. 047 - 0.78) lorsque la détection est pratiquée avec l'EPDS validée et intitulée Edinburgh Perinatal Scale pour être utilisée pendant et après la grossesse.Une autre chose importante selon moi, c'est que l'utilisation de l'EPDS demande de s'organiser en réseau pour proposer aux familles les ressources psychosociales nécessaires pour leur venir en aide. Envoyer chez le psy n'est pas toujours la solution. La pratique en réseau a fait ses preuves mais on n'est pas vraiment formé à cela. Le morcellement du suivi des grossesses est un gros handicap dans l'organisation des soins en Belgique. Les femmes enceintes consultent un gynéco, puis elles vont voir un échographiste, puis elles arrivent à la maternité dans une équipe qu'elles ne connaissent pas. D'autres sont suivies par une sagefemme, qui, à part dans quelques maternités, n'a pas accès au plateau technique lors de leur accouchement.Un certain nombre d'institutions offrent un accompagnement à domicile de familles précarisées et sont subventionnés depuis quelques années par la Fondation Roi Baudouin et Viva for Life. L'an passé, la Fédération Wallonie Bruxelles a octroyé à l'ONE une importante subvention pour financer de manière récurrente sept Services d'Accompagnement Périnatal constitués essentiellement de sages-femmes, de psychologues et de travailleurs sociaux pour suivre des familles précarisées sur le modèle de l'asbl Echoline qui oeuvre à Charleroi depuis plus de 20 ans. Echoline accompagne actuellement plus d'une centaine de familles par an, depuis la grossesse jusqu'aux trois ans de l'enfant. C'est un beau modèle de travail en réseau. Mon espoir, c'est la généralisation de ce modèle où les visites à domicile sont effectuées par les mêmes personnes en santé et en postnatal.