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Un premier élément sur lequel le Pr Wuyts (responsable du Lab for Equilibrium Investigations and Aerospace) tient à s'arrêter est l'organe otolithique dans l'oreille moyenne. Pour rappel, cette structure (qui recouvre le saccule et l'utricule) contient de petits cristaux appelés otolithes ou otoconies qui sont responsables de la perception de l'accélération linéaire intervenant par exemple lorsque nous nous redressons brutalement au départ d'une position couchée. Lors d'un mouvement de ce type, l'organe otolithique contribue à la coordination et au maintien de l'équilibre, mais aussi à déterminer le positionnement de la tête par rapport à la verticale : lorsqu'elle est penchée, les otolithes vont en effet se déplacer dans la substance gélatineuse où ils sont enchâssés sous l'effet de la gravité. Pour ceux qui l'ignoreraient, précisons encore que les otolithes sont aussi la cause des vertiges paroxystiques positionnels bénins (VPPB), qui se produisent lorsque les otoconies du saccule ou de l'utricule se détachent et se mettent à voyager dans l'endolymphe des canaux semi-circulaires, provoquant une (fausse) sensation de rotation de la tête au moindre changement de position.Sur la SSI, l'absence apparente de gravité empêche les otolithes de déterminer la position de la tête par rapport à la verticale. " Dans la station, toutes les parois sont en outre recouvertes d'instruments, ce qui ne fait rien pour arranger les choses ", ajoute le Pr Wuyts. " Il est en effet tout à fait possible de s'y retrouver installé à côté d'un collègue qui, de votre point de vue, a la tête en bas. C'est une situation très perturbante d'un point de vue visuel et vestibulaire. " Il faut donc un peu de temps au cerveau pour s'adapter à la situation, ce qui explique qu'environ 80 % des astronautes souffrent initialement du mal de l'espace, avec des vertiges, des nausées et parfois même des vomissements. C'est aussi pour cela qu'ils ne sont pas autorisés à sortir au cours des trois premiers jours : s'ils vomissent dans leur combinaison, les filtres du circuit respiratoire risquent de se retrouver bloqués, avec les conséquences que l'on imagine.L'impact de six mois en apesanteur sur l'organe otolithique peut être mesuré à l'aide d'un test de centrifugation, avec l'axe du siège à 50 cm du corps et une inclinaison apparente de la tête de 45°. Par réflexe, les yeux vont alors avoir tendance à tourner dans l'autre sens pour tenter de continuer à voir l'horizon à l'horizontale et de stabiliser la perception visuelle. Ces mouvements oculaires peuvent être mesurés au cours du test à l'aide de lunettes spéciales et donnent une bonne idée de la perception de l'inclinaison apparente par l'organe otolithique." Lorsque nous exécutons ce test trois jours après le retour sur terre, nous constatons que la torsion oculaire a diminué pratiquement de moitié par rapport aux mesures réalisées un mois avant le départ dans l'espace ", poursuit Floris Wuyts. Son équipe a toutefois été encore plus loin en réalisant chez une partie des astronautes un test d'inclinaison juste après la centrifugation. " Chez ceux dont le réflexe oculaire au cours de la centrifugation était particulièrement mauvais, la pression sanguine s'adaptait aussi beaucoup moins vite au cours du test d'inclinaison. Nous en avons conclu que l'organe vestibulaire joue un rôle dans les réflexes cardiovasculaires lors d'un redressement brutal au départ d'une position couchée... et je ne vous cache pas que c'est une première ! Le lien avait déjà pu être démontré chez des chats décérébrés, mais l'éthique ne nous permet évidemment pas de désactiver le système otolithique chez l'être humain et c'est donc entièrement grâce à la navigation spatiale que nous avons pu démontrer l'existence de ce réflexe vestibulo-autonome dans notre propre espèce. C'est loin d'être anodin : la détection des changements de position par l'organe otolithique permet au système cardiovasculaire d'intervenir pour maintenir la pression avant même que les barorécepteurs des carotides n'enregistrent la moindre baisse. "Entre-temps, d'autres recherches ont révélé que les syncopes hypotensives peuvent découler de causes non seulement cardiovasculaires ou neurologiques, mais aussi vestibulaires. Une étude a par exemple observé que leur incidence était particulièrement élevée chez les patients atteints de la maladie de Ménière, ce qui pourrait indiquer qu'une pression accrue dans le système vestibulaire affecte la capacité à anticiper sur la baisse de pression qui accompagne un redressement brutal. Une piste encore assez peu explorée, mais qui pourrait ouvrir la voie vers de nouveaux traitements contre l'hypotension orthostatique, notamment chez les personnes âgées. Pour conclure, précisons encore que, chez les cosmonautes, le fonctionnement du système otolithique se rétablit environ neuf jours après le retour sur terre." Le grand message général à retenir de ce qui précède est que nous devrions réfléchir au-delà des limites des systèmes ", conclut Floris Wuyts. " Le système cardiovasculaire est manifestement influencé par l'organe vestibulaire dans certaines circonstances, et on s'intéresse encore trop peu à cette relation. De même, la recherche sur les troubles de l'équilibre et les vertiges se focalise encore trop sur l'oreille moyenne et trop peu sur le cerveau... mais c'est encore une autre histoire. "