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Les plus fortunés respectent plus souvent les mesures de protection que ceux qui se serrent la ceinture: c'est la conclusion majeure de l'analyse d'une équipe menée par Nicholas W. Papageorge, de la Johns Hopkins University à Baltimore. Lors de la première vague, le respect des mesures de protection était supérieur de 54% chez ceux qui gagnaient chaque année plus de 230.000 dollars que chez ceux dont les revenus n'étaient que de 13.000 dollars. L'enquête a également révélé un lien direct entre les revenus et la possibilité de travailler de la maison, la probabilité de pouvoir poursuivre ses activités en toute sécurité sans sortir de chez soi étant d'autant plus grande que les revenus étaient élevés. En comparaison avec les personnes qui n'avaient pas la possibilité de télétravailler, celles qui exerçaient leurs activités de chez elles avaient aussi une probabilité accrue de 24% de mieux se tenir aux mesures de protection. Le risque de perte d'emploi au cours de la pandémie était également plus élevé chez les travailleurs mal payés. Certes, la liaison entre respect de mesures de prophylaxie peut s'expliquer par des liens "mécaniques" avec les revenus. Mais ces mécanismes n'ont-ils pas plutôt des ressorts psychologiques? Le stress continu subi depuis bientôt un an, combiné à des privations culturelles aboutit-il à une sorte de régression animale, à un retour vers le cerveau primaire de défense, qui efface les raisonnements complexes (se vacciner pour sauver d'autres gens, se priver de sortie pour sauver des vieux lointains, ...) Pour le professeur Gérald De Schietere, responsable de l'unité de crise et des urgences psychiatriques des Cliniques universitaires St-Luc (UCLouvain ), "le niveau de stress important chez chacun d'entre nous peut effectivement mettre à mal le processus de civilisation, nous le savons depuis longtemps et des études montrent bien que les comportements des êtres humains peuvent se modifier selon le contexte dans lequel ils vivent. Certaines recherches sur des situations extrêmes sont passionnantes à cet égard. Il faut reconnaître qu'énormément de personnes respectent globalement les règles émises pour lutter contre le virus, même si cela les met à mal et que les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des "sacrifices" faits. Cela n'empêche pas certains d'exprimer leurs colères -souvent c'est de l'angoisse- pour obtenir la réouverture de leurs activités. Je dirais que le mécanisme psychologique le plus commun dans cet épisode marquant de l'humanité, c'est le déni, qui est aussi un des mécanismes de défense contre l'angoisse et qui peut se retrouver aux deux pôles de la gestion du Covid-19: le déni de la réalité de la pandémie, ou le déni de la complexité de la vie qui ne peut pas se résumer à sa seule conception biologique".Est-ce que l'àquoibonisme ("il faut bien mourir de quelque chose", "quoi qu'on fasse, le virus passera", "que puis-je faire seul contre un tsunami") est plus fréquent chez ceux qui ont moins à perdre? Pour l'expert, "l'étude est réalisée aux USA dont nous savons que c'est un pays contrasté, où l'accès aux soins ou aux études est nettement plus onéreux que celui que nous trouvons en Europe. L'étude a été réalisée lors de la première vague - dont certains espéraient qu'elle serait la seule - c'est également important de le souligner car la compréhension des mécanismes fins de la gestion de la pandémie échappait peut-être à une partie de la population. Dans cette analyse, nous retrouvons quelque part la thèse de Durkheim sur le suicide: certains peuvent ne pas vouloir respecter les règles par défaut d'intégration ou simplement pour exister autrement, ils rendent la société responsable de leur mal-être (en partie à juste titre probablement) et ne voient pas au nom de quel principe ils devraient respecter les règles d'une société qui ne les intègre pas. D'autant que c'est pour protéger d'autres publics cibles que le leur. Pour d'autres, on est, à mon avis, davantage dans un comportement libertaire, consciemment ou non. Ce qui est certain, comme nous le montre l'actualité récente, c'est que "le battement d'ailes d'un humain" peut déclencher (ou non) une tornade Covid dans une école ou une maison de repos..."Plus crûment présenté, on sait les riches mieux éduqués, avec un QI plus élevé en moyenne. Le respect, fondé sur la compréhension des mécanismes complexes de prophylaxie, est-il lié à un niveau d'intelligence, lui-même nécessaire pour établir une conceptualisation correcte de la menace? Pour De Schietere, c'est aller trop loin: "La question de l'intelligence est une question complexe... Je ne suis pas certain que nous puissions faire aussi facilement un corrélat entre intelligence et prospérité. Le respect des règles dépend dans ce cas-ci autant de plusieurs éléments concordants: compréhension de leurs intérêts, proportionnalité de celles-ci, soucis pour le bien commun... Ainsi, des voyageurs partis en zone rouge en janvier - on peut imaginer que ce ne sont pas des personnes issues du percentile le plus pauvre de la population - seuls 60% se sont fait tester alors que c'est obligatoire. Les 40% restants (cela représente quasiment 30.000 personnes) n'ont pas réalisé le test. Cela tend à démontrer que le respect des règles sanitaires, si l'étude y trouve un gradient social, répond à des logiques probablement plus fines. Aujourd'hui, l'enjeu est certainement de pouvoir "masquer" son comportement quand il n'est pas licite, et là probablement que la ruse appartient davantage à certaines sphères sociales, l'exemple des impôts en est le plus criant. Vous avez bien mentionné la relative facilité à respecter la règle en fonction des conditions sociales (logement, emploi...). Je pense que l'enjeu de cette recherche est de donner des éléments pour construire un monde plus inclusif, donc plus à même de donner à chacun des raisons de vivre. Rappelons-nous les études qui démontraient l'intérêt de la cohésion sociale pour promouvoir la bonne santé, mentale et physique".