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"Le paysage de la production et de la consommation de drogues est en train de se modifier profondément, mais nous ne comprenons pas encore tous les mécanismes qui agissent en sous-main, malgré les efforts conjoints des experts sanitaires, des douanes et des policiers qui traquent les nouveaux circuits de distribution." En présentant le nouveau rapport de l'Observatoire européen des drogues, basé à Lisbonne, le belge Alexis Goosdeel n'a pas caché sa perplexité face à la réaction rapide que le monde de la drogue a eue face à la menace du Covid. Car la diminution des contacts interpersonnels a menacé directement les canaux habituels du deal. Mais les trafiquants ont simplement inventé ou intensifié de nouvelles voies de trafic.Ainsi "la forte disponibilité de produits à haute teneur en MDMA" (amphétamines) est due au déplacement de la production de ces produits par des gangs mexicains au Mexique, d'où ils approvisionnent le marché nord-américain, vers l'Europe, où les mêmes gangs ont déplacé une grande partie de leur fabrication. " Les gangsters ont fait comme toutes les multinationales, ils ont rapproché leur capacité de production des consommateurs, tout en réduisant de manière majeure le risque d'être contrôlés et saisis lors du transport aérien ou maritime", explique Goosdeel. Et c'est ainsi que l'Europe est devenue le continent numéro Un en matière de production d'amphétamines de toutes sortes.Avec au moins 53 tonnes, la Belgique est le pays où l'on a saisi le plus de cocaïne. À l'instar des nouvelles drogues de synthèse, de plus en plus de cocaïne continue d'apparaître sur le sol européen : l'an dernier, 110.000 opérations de saisie ont permis de confisquer 181 tonnes de poudre blanche, un nombre jamais atteint. La Belgique (53 tonnes), l'Espagne (48) et les Pays-Bas (40) représentent à eux seuls 78% de ce montant. En outre, la pureté de cette drogue augmente et un nombre croissant de personnes sont admises en traitement pour la première fois, relate l'observatoire.Le volume d'héroïne saisie a lui quasiment doublé en douze mois, alors que des "signalements récurrents ne cessent de faire état de la fabrication d'héroïne dans l'UE". Huit nouveaux opioïdes de synthèse - des substances de la même catégorie que l'héroïne - ont également été détectés pour la première fois l'an dernier. Le cannabis n'est pas en reste, avec des taux de tétrahydrocannabinol (THC, soit le principe actif de l'herbe et de la résine) en moyenne deux fois plus élevés qu'il y a dix ans. L'EMCDDA constate aussi un trafic croissant de substances moins courantes telles que la kétamine (anesthésique notamment utilisé en médecine vétérinaire), le GHB (connu aussi comme "drogue du viol"), le puissant hallucinogène LSD ou encore le protoxyde d'azote (alias "gaz hilarant"), dont les capsules jonchent de plus en plus de rues. Cinquante-trois nouvelles substances psychoactives ont été détectées pour la première fois en Europe en 2019, dont certaines ne diffèrent que très légèrement de drogues antérieures, aujourd'hui interdites, tandis que leur nouvelle version n'est pas encore identifiée, ce qui complique leur contrôle et leur éventuelle interdiction. De nombreuses substances neuves sont ainsi vendues sous des artefacts par internet, comme par exemple comme engrais pour plante d'intérieur.Le rapport se penche aussi sur la façon dont l'usage et l'offre de drogues ont été perturbés par le Covid-19. Pour la vente au détail, celle-ci étant empêchée dans la rue par les restrictions de déplacements, "les consommateurs et les revendeurs se sont tournés vers les marchés en ligne du darknet, les plateformes des réseaux sociaux et les services de livraison à domicile". L'importation de gros par voie aérienne semble, elle, avoir décliné, mais pas celle par voie maritime. "La production de drogues de synthèse et la culture du cannabis en Europe ne semblent pas non plus avoir été sérieusement affectées", indique le document. Concernant la consommation en tant que telle, il y a des "signes d'augmentation apparente de l'usage d'autres substances par certains usagers (par exemple le cannabis ou des nouvelles benzodiazépines)."Au début de la pandémie, une baisse de la consommation de substances illicites a été enregistrée. L'Observatoire a constaté une diminution des drogues liées aux contextes sociaux comme la MDMA et la cocaïne. "Les gens n'ont pas besoin de consommer des substances qui vont les rendre plus hyperactifs alors qu'ils sont enfermés dans un espace ", explique Alexis Goosdeel. Cependant, il y a eu une augmentation de l'usage de substances comme le cannabis et les benzodiazépines, utilisées comme somnifères, calmants ou anxiolytiques. En effet, selon l'observatoire, les consommateurs se sont davantage tournés vers les " drogues " légales comme l'alcool ou les anxiolytiques.Phénomène inquiétant : les chiffres montrent une augmentation forte de la consommation chez les plus de 50 ans. Sans doute pas le signe du vieillissement du consommateur moyen au fil des années, mais la conséquence de l'isolement des personnes suite au confinement induit par la pandémie. Antoine Boucher, expert pour Infor-Drogues, développe : "Plus vous êtes fragile, plus vous développez votre stress. Donc, tout ce qui est médicaments, anxiolytiques, vous allez en prendre plus ". Deux autres conséquences du confinement sont la pénurie de substances illicites en Europe et la hausse des prix. "Le transport par voie maritime ne semble pas avoir bougé mais le trafic par voie aérienne s'est réduit. Les trajets aériens nationaux et intercontinentaux sont en deçà de ce que c'était avant la pandémie, donc il y a moins de drogues ", indique Goosdeel. Un constat exprimé déjà dans un rapport publié en mai. L'OEDT, en collaboration avec Europol, remarquait alors une offre en baisse et des prix en hausse dans 14 pays pour l'herbe de cannabis, dont la Belgique. De même pour d'autres drogues comme l'héroïne ou les opioïdes. Néanmoins, la tendance pourrait s'inverser avec l'assouplissement des mesures de sécurité.Enfin, le Covid-19 a eu un impact sur les services de prise en charge des personnes utilisant des drogues. Ils ont été contraints de fermer ou de limiter leur offre. Ils ont dû s'adapter et innover en passant par la vidéoconférence ou la consultation par téléphone. Cependant, ces nouvelles méthodes ne sont pas optimales. "Cela a été extrêmement difficile pour tous les centres de traitement et de réduction des risques car ces programmes n'ont pas été considérés, en Europe, comme des programmes de soins ou de santé essentiels. Nombre d'entre eux ont dû fermer. Leur personnel n'étant pas considéré comme essentiel, il n'avait pas accès au matériel de protection ", déclare Alexis Goosdeel. Une conséquence qui, selon lui, pourrait se reproduire à l'annonce d'un deuxième confinement.Frédéric Soumois