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On ne s'attaque pas aux professionnels de soins. C'est l'idée en tout cas que l'on se fait : le praticien sur le front est protégé car il est nécessaire. Néanmoins, malgré la protection qu'octroie le droit international, près de 1.000 actes de violences ont touché des travailleurs, infrastructures, transports et patients. Des actes qui sont de plus en plus récurrents, facilités par la passivité des États.Ébola caractérise bien les conséquences de la violence à l'égard de la santé. L'épidémie, qualifiée récemment d'ennemi public numéro un par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), a fait 1.200 victimes depuis août en République démocratique du Congo (RDC). " Les attaques contre les infrastructures et les travailleurs de la santé ont gravement entravé le travail des professionnels de soins de santé entraînant des suspensions des programmes de santé pendant des jours et limitant les efforts fournis pour arrêter la propagation de la maladie ", estime Len Rubenstein, président de la Safeguarding Health in conflict(Coalition pour la sauvegarde de la santé dans les conflits), à l'initiative du rapport. Fin décembre, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l'OMS, déclarait déjà que les progrès dans la lutte contre le virus Ébola "pourraient être perdus si nous traversions une période d'insécurité prolongée, entraînant une augmentation des transmissions ".La RDC n'est pas le seul pays touché. Leader malheureux de ce triste classement, les territoires palestiniens occupés (308 attaques signalées en 2018), la Syrie (257) et l'Afghanistan (98). On notera que les Amériques ne sont pas touchées par le phénomène et que l'Ukraine est le seul représentant européen du classement (voir encadré). L'an dernier, au moins 167 travailleurs du secteur des soins de santé sont morts suite à des violences dans 17 pays différents. 710 ont été blessés. Dans 15 pays, on recense des hôpitaux ou des cliniques bombardés et incendiés. Au total, 40 établissements de santé ont été détruits dans 11 pays et 180 attaques ont endommagé les infrastructures dans 17 pays. Au moins 93 ambulances ou transports sanitaires ont été endommagés dans neuf pays et 20 ont été volés ou détournés.Derrière ces chiffres, des actes odieux : bombardements, enlèvements, viols d'infirmières, actes kamikazes par détournement d'ambulance, militarisation d'hôpitaux, ou encore incidents 'double tap', où les intervenants ont été tués après s'être précipité pour aider les victimes d'une attaque." Outre les souffrances humaines immédiates qu'elles causent, les attaques privent les populations de l'accès aux soins de santé et compromettre la réalisation des objectifs de l'OMS pour la couverture maladie universelle ", pointe le rapport. Une donnée d'autant plus importante que les pays concernés sont souvent confrontés à une grave pénurie de professionnels, d'infrastructures. Un phénomène exacerbé par la violence. " Les attaques contre les établissements de santé ont eu un effet profond sur l'accès aux soins de santé ", confirme le rapport. " En Afghanistan, la violence et les menaces ont forcé la fermeture de 140 cliniques entre juin 2017 et juin 2018, privant environ deux millions de personnes de l'accès aux soins. En Libye, au Yémen et dans quatre États du nord du Nigéria, plus de la moitié des établissements de santé sont soit fermés ou ne fonctionnent plus correctement. En Syrie, plus de la moitié des établissements privés ne sont pas pleinement opérationnels et plus d'un tiers des hôpitaux publics étaient hors service au deuxième semestre 2018."Premièrement, la recrudescence d'actes de violence répertoriés peut s'expliquer par une amélioration de la collecte des données, expliquent les auteurs du rapport. Néanmoins, la situation inquiète. Les pays les plus touchés (Afghanistan, Cameroun, République Centre africaine, République démocratique du Congo, Libye, Mali, Nigéria, Sud Soudan, Syrie et Yémen) voient l'accessibilité à la santé diminuer. Une accessibilité qui n'était déjà pas l'égale de bien d'autres États. Nombreux échouent effectivement à atteindre la recommandation de l'OMS d'avoir au minimum 4,45 médecins, infirmiers et sages-femmes pour 1.000 personnes.Malgré tout, l'espoir est de mise puisque 2018 a connu quelques développements encourageants. L'ONU, au travers d'une résolution sur les droits de l'homme et le terrorisme, incite les États à veiller à ce que les lois antiterroristes n'empêchent pas le travail médical et humanitaire. Un ONG, Geneva Call, lutte également pour encourager les groupes armés à protéger et respecter les soins de santé en cas de conflits, par un engagement écrit que quatre groupes armés ont déjà signé.Reste que peu de progrès ont réellement été accomplis. Améliorer la situation relève de la gageure tant les raisons de se faire la guerre sont légion et les groupes armés nombreux. Le rapport fournit trois recommandations principales, surtout à destination des États.Premièrement, la demande est de respecter les dispositions du droit humanitaire international et des droits de l'homme en matière de respect et de protection des services de santé et des blessés. Dans cette recommandation, Safeguarding Health in conflict incite également les professionnels de la santé à endosser leurs responsabilités éthiques pour garantir des soins impartiaux à chaque personne dans le besoin, sans distinction.Deuxièmement, l'ONG veut des mesures concrètes pour améliorer la protection et l'accès aux soins de santé lors de conflits armés.Troisièmement, Safeguarding Health in conflict désire avoir la possibilité de conduire des enquêtes rapides, complètes, impartiales et efficaces sur les attaques et autres formes d'ingérence dans les soins de santé.Laurent Zanella1. Impunity remains : 2018, Attacks on Health Care in 23 Countries in Conflict, Safeguarding Health in conflict, Mai 2019