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Récemment, la firme Quintiles-IMS a fait l'objet d'une polémique qui a duré le temps d'un buzz, comme d'habitude, tout le monde semblant découvrir que les données patients des hôpitaux sont vendues à certains conglomérats. La firme avait de bonne foi répondu que ces données étaient totalement anonymisées et qu'elles pouvaient servir à des fins de santé publique. Depuis belle lurette, de nombreux hôpitaux collaborent avec l'industrie pharmaceutique sans laquelle ils ne pourraient pas financer leur recherche académique. Les hôpitaux académiques fournissent également des patients pour les études cliniques, dont la Belgique s'est fait une des championnes du monde. Récemment interviewé par le jdM (n°2482 du 10/02/2017), le CEO du CHU de Liège, Julien Compère, ne voyait absolument aucun problème à son partnership avec Janssen-Pharmaceutica. D'autres CHU sont dans le cas. Chacun semble bien conscient que ces accords win-win font progresser la science médicale et qu'il n'est plus possible pour la recherche universitaire de demeurer dans sa tour d'ivoire. À ce bal des Tartuffe, mentionnons les mutuelles qui au sein de l'AIM (Agence intermutualiste) préservent précieusement leur trésor de guerre (même de l'Inami jusqu'à une époque très récente) et Maggie De Block qui avec son Health BigData fait frémir une bonne partie de la commission Santé publique de la Chambre, Catherine Fonck en tête. Mais comment mener une politique de santé digne de ce nom sans données épidémiologiques ? Tous ces acteurs risquent de paraître de bien petits joueurs à côté des GAFA qui se lancent à corps perdu dans les données santé. Leur poids planétaire en fait des influenceurs redoutables. Leur chiffre d'affaire cumulé (2.500 milliards de dollars) vaut dix fois le PIB de la Belgique ou du Danemark. Google, par exemple, le premier des GAFA, dont la maison-mère s'appelle désormais Alphabet, ne veut pas en rester à ses multiples variantes (Google Map, Earth, Plus, gmail, Car). Il se lance dans la santé avec Calico et Verily. À travers Verily, Alphabet recrute 10.000 volontaires et les équipe d'une batterie d'objets connectés. La première étape consiste à calculer le taux de glucose de diabétiques via des lentilles de contact connectées. Mais la firme californienne poursuit ses velléités d'études de cohorte avec la Baseline Study. Le projet est réalisé en coordination avec deux universités prestigieuses : Stanford et Duke. Les volontaires verront une série de sécrétions nuitales (sueur et... selles) prélevées et leur génome étudié de manière approfondie. La collecte proprement dite durera deux ans, le projet quatre ans en tout. L'objectif est ici aussi d'améliorer notre santé. Alphabet espère via Baseline déceler les biomarqueurs des maladies génétiques et obtenir une cartographie d'un humain en bonne santé. Du coup, tout le champ des soins sur mesure se trouve donc ouvert théoriquement. Ces giga-cohortes ne sont pas réellement une nouveauté et font le sel de la recherche américaine depuis au moins la fin de la 2e Guerre mondiale (souvenons-nous de l'étude Framingham qui sur trois générations a permis de déterminer les précurseurs des maladies cardiovasculaires). Mais ici, pour la première fois, on sort du champ de la recherche clinique. Au travers de sa filiale Calico, sise dans une zone secrète (Google X Lab), Google veut également, avec le concours de son CEO, Arthur Levinson (biologiste siégeant par ailleurs au conseil d'administration d'Apple et d'Hoffmann-La Roche), " tuer la mort " c'est-à-dire nous assurer la vie éternelle. Calico a été rejoint par Raymond Kurzweil, théoricien du transhumanisme. C'est dire. Elon Musk, l'emblématique patron de Tesla, SpaceX, qui veut aller sur Mars avant 2045 a lancé " Neuralink ". Il a l'ambition de connecter notre cerveau au World Wide Web. Musk compte investir des millions de dollars pour cet objectif. L'idée est d'insérer une " neural lance " au-dessus du cortex, afin que nos capacités cognitives puissent rivaliser avec l'intelligence artificielle que Musk considère comme une menace pour l'humanité. Facebook veut également se lancer dans la recherche médicale à grande échelle via des applications médicales. Il peut compter sur une partie de ses trois milliards de clients (si on compte également WhatsApp, Messenger et Instagram). De quoi laisser sur le carreau nos chercheurs qui doivent se contenter de 300 cas d'emphysèmes. Avec Amazon qui a lancé un projet comparable (" 1492 "), le tour des GAFA est complet : nous passons à l'ère de l'industrialisation de la recherche médicale.Certains chercheurs estiment toutefois que les objets connectés ne sont pas fiables et doutent de l'avenir de telles initiatives qui sont loin de rencontrer les critères de pertinence de la recherche universitaire ou privée. Pourtant, l'essayiste visionnaire (et entrepreneur) Laurent Alexandre croit davantage dans les chances des GAFA d'arriver à une approche scientifique grâce tout simplement à son poids planétaire. Verily avec " seulement " 10.000 patients ne devrait être qu'un charmant amuse-gueule avant des méta-analyses sur plusieurs dizaines de millions de cobayes. Seuls les GAFA ont les reins assez solides pour agréger autant de données. Laurent Alexandre concluait récemment dans Le Monde (13/09/2017) : " Pour Google, 300 000 patients sont insuffisants à l'ère de l'Intelligence artificielle... À part Guy Vallancien (ndlr : interviewé par le jdM n°2469, 28/10/2016), Olivier Véran, Clément Goehrs et Jacques Lucas, bien peu de médecins français comprennent que la bataille mondiale de l'intelligence artificielle médicale a débuté sans nous. Le mandarinat et le ministère de la santé ne réfléchissent guère à l'évolution des compétences qu'il faut inculquer aux futurs médecins pour qu'ils ne deviennent pas les pions d'une nouvelle médecine made in California. "Ces initiatives mondiales sont d'autant plus questionnantes qu'elles pourraient aussi faire progresser durablement la médecine le jour où les géants d'internet parviendront à s'intégrer dans une approche EBM.