Deux ans après avoir été dévasté par les inondations, le Centre médical " Thier Mère Dieu ", qui a survécu en vivotant dans des conteneurs, rouvre enfin les portes de son bâtiment, entièrement rénové. La catastrophe a plus que jamais soudé l'équipe médicale et ses 1.800 patients.
La pierre bleue à gauche de l'entrée flambant neuve, avec sa décoloration encrée à plus d'1,5 mètre de haut (photo), garde les stigmates du chaos : les 14 et 15 juillet 2021, les flots déchaînés de la Hoëgne voisine ravageait le Centre médical de Pepinster. Le bâtiment, rénové complètement deux ans auparavant, n'était plus que désolation. " Nous n'avions pas fait l'inauguration, peut-être qu'on le sentait ? ", glisse, avec un clin d'oeil à ses collègues, le Dr Véronique Letocart, l'une des fondatrices du Centre Thier Mère Dieu et professeure au département de médecine générale de l'UCLouvain.
C'était sans compter sur la résilience de l'équipe, dont une partie était également sinistrée à titre personnel. Le drame (6 morts et 3.000 sinistrés rien qu'à Pepinster) a soudé les uns et les autres. À jamais. " Nous nous sommes relevés dès le lendemain et nous nous sommes retroussés les manches ", poursuit le Dr Letocart, " d'abord dans un car de la Croix-Rouge, puis dans des conteneurs à partir du 10 août. "
Quelque 819 jours plus tard, l'équipe peut enfin réintégrer des locaux en dur. Les assurances n'ont pas tout pris en charge, il a fallu y aller de sa poche, " heureusement, le centre est en bonne santé financière ", souffle Véronique Letocart. De nouveaux patients sont inscrits chaque jour (trois en ce matin d'inauguration). Les travaux de restauration ont été pensés pour accueillir un étage supplémentaire si besoin.
Quasi une médecine de guerre
À l'arrière du bâtiment, le long d'une Hoëgne qui cache bien son jeu, une partie des conteneurs témoignent encore de la catastrophe. Pèlerinage.
Catriona Barclay (34 ans), Camille Schnackers (30 ans) et Justine Laverdeur (31 ans), trois jeunes médecins " 2.0 " comme elles aiment se qualifier, dont le début de carrière était déjà marqué du sceau du covid-19, n'oublieront jamais la galère : l'odeur de mazout du générateur, les pannes d'électricité, l'absence d'internet (et donc de DMI), la promiscuité (" on mettait de la musique pour ne pas entendre les conversations médecins-patients "), la fournaise (40°) en été, le froid qui meurtrit pieds et mains en hiver, les deux cambriolages pour voler le peu de matériel... Et les pathologies aussi : une médecine quasi de guerre pour ces jeunes femmes à peine sorties de leur assistanat. " Des brûlures chimiques aux jambes à cause des produits échappés dans l'eau ", se souvient Catriona, " des pathologies cutanées et respiratoires dues à l'humidité. Le manque d'hygiène et l'insalubrité ont causé des hépatites et fait proliférer la gale. "
Véronique Letocart embraie : " Psychologiquement, il y a encore beaucoup de séquelles, nous voyons des stress post-traumatiques chaque semaine. On est parfois gêné de dire qu'on ne se sent pas bien alors que la vie a repris... " Avoir partagé l'enfer des patients est une force : " C'était un réconfort de ne pas se sentir seul, pour eux comme pour nous. Aujourd'hui encore, nous nous comprenons et savons exactement ce que l'autre a vécu. "
Une victoire contre la désertification médicale
Le Centre médical Thier Mère Dieu (8.700 patients et 37 collaborateurs) compte trois sites : celui de Verviers inauguré en 2004, Heusy (2015) et enfin Pepinster, ouvert en 2018 dans les anciens cabinets mis en commun des Dr Guy Bruyère (69 ans) et Donat Bonhomme (65 ans), alors proches de la retraite et désespérés face à l'absence de jeunes confrères dans la région. À cet exemple de désertification médicale, les trois maîtres de stage du Centre - les Drs Letocart, Darssi et Rousseau - peuvent aujourd'hui opposer pas moins de... 25 assistants formés depuis 2005 ! " Les solutions ont toujours été portées avec les médecins du coin et les autorités communales ", rappelle André Nebie, directeur. " C'est une bonne formule pour terminer sa carrière et partir en douceur en laissant sa patientèle entre de bonnes mains sans se tracasser. Quand on est habitué à travailler seul, il faut s'adapter, mais cela offre un meilleur confort de travail. "
Le Dr Bruyère corrobore : " J'estime qu'on ne peut plus travailler seul. " Et de rappeler qu'il gérait à lui seul quasi toute la population du centre de Pepinster (9.000 habitants) avant 2018. " Aujourd'hui, il faut deux à trois jeunes médecins pour remplacer un ancien, et l'augmentation des numéros Inami n'aura pas d'effet immédiat ", tempère Véronique Letocart.
L'équipe de 2023 compte 14 médecins généralistes (dix ETP), un dentiste, un psychologue, trois infirmières, huit kinés et une médiatrice interculturelle qui gère les besoins en traduction, notamment pour l'importante diaspora biélorusse de Pepinster (la deuxième après Anvers). Le centre fait beaucoup de prévention. "Par exemple, nous avons constaté un retard de vaccination chez les 11-12 ans, nous avons donc lancé une campagne" explique Julien Hauglustaine, coordinateur infirmier. Il vient de terminer une formation en trajet de soins diabète, qu'il va mettre en application tout de suite, histoire de soulager les médecins généralistes. "A Verviers, nous avons une salle de remise en forme, avec des cours collectifs, à titre préventif car la santé passe par le mouvement, et pour faciliter l'autonomisation des patients pour qu'ils soient acteurs de leur santé." Un pôle nutrition va également être développé bientôt.
Julien Hauglustaine souligne aussi le rôle crucial des (six) accueillantes du Centre médical : " Elles représentent le premier contact avec les patients, elles déchargent les médecins et font aussi tampon. Elles filtrent les demandes et tempèrent en cas de conversation désagréable. Tous les collaborateurs de l'équipe, même les médecins, passent un moment à l'accueil pour se rendre compte de leur travail. "
Si Thier Mère Dieu attire autant les jeunes, c'est grâce à son organisation et à sa chouette ambiance, avec ses temps de midi partagés à la cuisine, son petit déjeuner d'équipe chaque mois, ce couloir qu'il suffit de traverser pour demander éventuellement l'avis d'un collègue... " Donner une prime financière ne suffit pas ", poursuit la généraliste, " il faut offrir une structure, une bonne communication et gestion des ressources humaines. "" La preuve, nous sommes restées même dans des conteneurs ! ", conclut Camille Schnackers en riant.
La pierre bleue à gauche de l'entrée flambant neuve, avec sa décoloration encrée à plus d'1,5 mètre de haut (photo), garde les stigmates du chaos : les 14 et 15 juillet 2021, les flots déchaînés de la Hoëgne voisine ravageait le Centre médical de Pepinster. Le bâtiment, rénové complètement deux ans auparavant, n'était plus que désolation. " Nous n'avions pas fait l'inauguration, peut-être qu'on le sentait ? ", glisse, avec un clin d'oeil à ses collègues, le Dr Véronique Letocart, l'une des fondatrices du Centre Thier Mère Dieu et professeure au département de médecine générale de l'UCLouvain.C'était sans compter sur la résilience de l'équipe, dont une partie était également sinistrée à titre personnel. Le drame (6 morts et 3.000 sinistrés rien qu'à Pepinster) a soudé les uns et les autres. À jamais. " Nous nous sommes relevés dès le lendemain et nous nous sommes retroussés les manches ", poursuit le Dr Letocart, " d'abord dans un car de la Croix-Rouge, puis dans des conteneurs à partir du 10 août. " Quelque 819 jours plus tard, l'équipe peut enfin réintégrer des locaux en dur. Les assurances n'ont pas tout pris en charge, il a fallu y aller de sa poche, " heureusement, le centre est en bonne santé financière ", souffle Véronique Letocart. De nouveaux patients sont inscrits chaque jour (trois en ce matin d'inauguration). Les travaux de restauration ont été pensés pour accueillir un étage supplémentaire si besoin.À l'arrière du bâtiment, le long d'une Hoëgne qui cache bien son jeu, une partie des conteneurs témoignent encore de la catastrophe. Pèlerinage. Catriona Barclay (34 ans), Camille Schnackers (30 ans) et Justine Laverdeur (31 ans), trois jeunes médecins " 2.0 " comme elles aiment se qualifier, dont le début de carrière était déjà marqué du sceau du covid-19, n'oublieront jamais la galère : l'odeur de mazout du générateur, les pannes d'électricité, l'absence d'internet (et donc de DMI), la promiscuité (" on mettait de la musique pour ne pas entendre les conversations médecins-patients "), la fournaise (40°) en été, le froid qui meurtrit pieds et mains en hiver, les deux cambriolages pour voler le peu de matériel... Et les pathologies aussi : une médecine quasi de guerre pour ces jeunes femmes à peine sorties de leur assistanat. " Des brûlures chimiques aux jambes à cause des produits échappés dans l'eau ", se souvient Catriona, " des pathologies cutanées et respiratoires dues à l'humidité. Le manque d'hygiène et l'insalubrité ont causé des hépatites et fait proliférer la gale. " Véronique Letocart embraie : " Psychologiquement, il y a encore beaucoup de séquelles, nous voyons des stress post-traumatiques chaque semaine. On est parfois gêné de dire qu'on ne se sent pas bien alors que la vie a repris... " Avoir partagé l'enfer des patients est une force : " C'était un réconfort de ne pas se sentir seul, pour eux comme pour nous. Aujourd'hui encore, nous nous comprenons et savons exactement ce que l'autre a vécu. "Le Centre médical Thier Mère Dieu (8.700 patients et 37 collaborateurs) compte trois sites : celui de Verviers inauguré en 2004, Heusy (2015) et enfin Pepinster, ouvert en 2018 dans les anciens cabinets mis en commun des Dr Guy Bruyère (69 ans) et Donat Bonhomme (65 ans), alors proches de la retraite et désespérés face à l'absence de jeunes confrères dans la région. À cet exemple de désertification médicale, les trois maîtres de stage du Centre - les Drs Letocart, Darssi et Rousseau - peuvent aujourd'hui opposer pas moins de... 25 assistants formés depuis 2005 ! " Les solutions ont toujours été portées avec les médecins du coin et les autorités communales ", rappelle André Nebie, directeur. " C'est une bonne formule pour terminer sa carrière et partir en douceur en laissant sa patientèle entre de bonnes mains sans se tracasser. Quand on est habitué à travailler seul, il faut s'adapter, mais cela offre un meilleur confort de travail. " Le Dr Bruyère corrobore : " J'estime qu'on ne peut plus travailler seul. " Et de rappeler qu'il gérait à lui seul quasi toute la population du centre de Pepinster (9.000 habitants) avant 2018. " Aujourd'hui, il faut deux à trois jeunes médecins pour remplacer un ancien, et l'augmentation des numéros Inami n'aura pas d'effet immédiat ", tempère Véronique Letocart.L'équipe de 2023 compte 14 médecins généralistes (dix ETP), un dentiste, un psychologue, trois infirmières, huit kinés et une médiatrice interculturelle qui gère les besoins en traduction, notamment pour l'importante diaspora biélorusse de Pepinster (la deuxième après Anvers). Le centre fait beaucoup de prévention. "Par exemple, nous avons constaté un retard de vaccination chez les 11-12 ans, nous avons donc lancé une campagne" explique Julien Hauglustaine, coordinateur infirmier. Il vient de terminer une formation en trajet de soins diabète, qu'il va mettre en application tout de suite, histoire de soulager les médecins généralistes. "A Verviers, nous avons une salle de remise en forme, avec des cours collectifs, à titre préventif car la santé passe par le mouvement, et pour faciliter l'autonomisation des patients pour qu'ils soient acteurs de leur santé." Un pôle nutrition va également être développé bientôt. Julien Hauglustaine souligne aussi le rôle crucial des (six) accueillantes du Centre médical : " Elles représentent le premier contact avec les patients, elles déchargent les médecins et font aussi tampon. Elles filtrent les demandes et tempèrent en cas de conversation désagréable. Tous les collaborateurs de l'équipe, même les médecins, passent un moment à l'accueil pour se rendre compte de leur travail. "Si Thier Mère Dieu attire autant les jeunes, c'est grâce à son organisation et à sa chouette ambiance, avec ses temps de midi partagés à la cuisine, son petit déjeuner d'équipe chaque mois, ce couloir qu'il suffit de traverser pour demander éventuellement l'avis d'un collègue... " Donner une prime financière ne suffit pas ", poursuit la généraliste, " il faut offrir une structure, une bonne communication et gestion des ressources humaines. " " La preuve, nous sommes restées même dans des conteneurs ! ", conclut Camille Schnackers en riant.