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Depuis son apparition au début du 19e siècle comme un dédoublement de la personnalité à sa dénomination actuelle, le trouble dissociatif de l'identité (TDI) a bien changé et sa présence dans le DSM illustre l'évolution dans la société, a expliqué la Dre Sandrine Launay, médecin psychiatre en formation à l'ULB [1]: "Dans le DSM-II, le trouble était considéré comme un sous-type d'hystérie. Il faut attendre le DSM-III (1980) pour qu'il soit individualisé, lui conférant une certaine légitimité. On parle alors de trouble de la personnalité multiple, dont la survenue est favorisée par des mauvais traitements dans l'enfance."Dans la version revisitée du DSM-III-R (1987), l'étiologie est précisée en supposant que le trouble est lié avec les agressions sexuelles. "Pour certains, les critères sont flous et entraînent un risque de surdiagnostic. Le terme de trouble de la personnalité multiple va être tellement connoté négativement qu'il est renommé trouble dissociatif de l'identité dans le DSM-IV (1994), avec la dissociation comme mécanisme de coping. Dans le CIM-10, ils prennent des précautions et parlent d'un trouble rare et controversé, on ignore dans quelle mesure il est iatrogène ou spécifique d'une culture donnée.""Quelques années plus tard, ce trouble est revenu sur le devant de la scène", poursuit-elle. "La différence, c'est qu'actuellement, les réseaux sociaux permettent une diffusion des informations au-delà des frontières. Mais il n'a pas fallu attendre TikTok pour remarquer que les réseaux ont un impact dans la diffusion des troubles. En 2011, on en parlait déjà avec le cas Le Roy où 18 jeunes filles scolarisées à New York ont présenté des tics fonctionnels au même moment et les ont postés sur Facebook et YouTube. Finalement, tout s'est résolu à la fin de l'année scolaire quand elles ont été séparées."À cette époque, le neurologue David Litcher a estimé que le mimétisme était lié à l'exposition sur Facebook, que c'était le nouveau moyen par lequel les symptômes pourraient diffuser. "Treize ans plus tard, on peut imaginer à quel point cela a pris de l'ampleur. Dans ce type de cas, le conseil classique est de rassurer, de séparer les victimes et de rester discret. Ce qui est difficile avec les réseaux sociaux."En anglais, on parle de 'mass sociogenic illness', des troubles de conversion qui diffusent dans des groupes sociaux cohésifs, sans étiologie organique. Suite au cas Le Roy, certains se sont demandé si ces troubles pourraient diffuser uniquement via les réseaux sociaux, en bypassant la nécessité d'un contact direct entre les victimes. C'est ce qu'ont montré des chercheurs [2] en analysant l'augmentation du nombre d'ados présentant des tics, tant sur TikTok qu'en consultation, survenue en 2019. Ils ressemblaient à de la Tourette, mais il s'agissait de tics fonctionnels. Les auteurs ont repéré en Allemagne ce qu'ils appellent le premier cas index virtuel en la personne d'un jeune homme qui a posté des vidéos de ses tics sur YouTube. Il a rapidement gagné une large audience de deux millions de followers, suivie trois mois plus tard par une "épidémie" sur TikTok. "La contagion sociale est liée aux émotions suscitées en regardant les vidéos. Pour ces chercheurs, c'est le premier cas de 'mass sociogenic illness' diffusée uniquement sur les réseaux sociaux, qu'ils appellent 'mass social media induced illness'", souligne-t-elle. Peu d'études relatives au TDI sur TikTok sont disponibles, mais les constatations sont identiques, fait observer la Dre Launay: similitude entre les vidéos postées et exagération des manifestations par rapport à ce qui est observé en clinique. "Le nombre de vues des différents # montre l'importance du phénomène. Il y a les vidéos 'Meet the system' où la personne présente ses différentes personnalités et 'Catch my switch on camera' où elle change de personnalité au cours de la vidéo."À l'instar de la diffusion des tics de la Tourette, peut-on parler de 'mass social media induced illness'? "Sur TikTok, l'algorithme joue un rôle hyperimportant dans la diffusion des troubles: si on s'intéresse à un sujet, on va être inondé de contenus similaires. Si on se questionne, ce trouble peut donner des explications au chaos interne, on peut commencer à s'identifier au diagnostic et à présenter les symptômes du trouble regardé. On peut ensuite passer d'usager passif à actif en postant des vidéos de ses symptômes. Or, quand on poste du contenu émotionnel, il y a un plus grand feedback positif de la communauté, ce qui va renforcer le fait de poster ce type de vidéo qui induit plus de 'like'."Par conséquent, si pour certains la diffusion du TDI sur les réseaux sociaux correspond à un 'mass social media induced illness', soit quelque chose d'involontaire qui diffuse, pour d'autres, ce n'est pas aussi involontaire que ça, il pourrait s'agir d'un 'Münchausen par internet'. "Ce terme a été inventé par Marc Feldman en 2000", apprend-elle. "C'est la recherche d'attention en feignant une maladie sur les réseaux sociaux. Les débuts datent des années 1990, quand internet est devenu omniprésent et a rendu la littérature médicale accessible. Les gens choisissent un trouble dont les informations médicales sont facilement accessibles et connu du grand public.""Pour Marc Feldman, TikTok modifie la façon dont le Münchausen s'exprime puisqu'il permet une présentation dynamique via la vidéo, et le TDI est un trouble attirant parce qu'il est impossible de contredire quelqu'un qui dit en souffrir en ligne. Les gens recherchent ainsi l'attention (quantifiable sur les réseaux), la visibilité, une audience plus importante et monnayable puisque les vidéos sur TikTok sont rémunérées."Résultat? "Le scepticisme commence à croître au sein de la communauté TikTok où beaucoup s'engagent dans le 'Fake claiming' (envahir les commentaires des personnes suspectées de mentir) et où certains postent des preuves qu'ils souffrent bien d'un trouble", précise-t-elle. Le scepticisme croît aussi dans la communauté scientifique parce que des conseils circulent, expliquant comment être diagnostiqué d'un TDI. Dès lors, comment distinguer un vrai d'un faux TDI? "Un article [3] vise à assister les psychiatres dans le diagnostic, considérant que les critères du DSM-V ne sont plus adaptés à l'évolution actuelle du trouble. Les chercheurs ont identifié les red flags qui font penser à un TDI imité: l'utilisation de jargon clinique (parler de 'switch', 'd'alters'...), le fait de justifier la perte de contrôle ou d'être capable de prévenir quand un switch va apparaître, avoir des gains associés (groupes de soutien...)..."Sur les réseaux sociaux, les personnes sont conscientes de ces critiques et expliquent que ces vidéos sont mises en scène pour s'amuser, qu'elles permettent une déstigmatisation et apportent du soutien. "Malgré ça, l'inquiétude des professionnels reste entière parce que ces vidéos peuvent atteindre les plus jeunes."Quant à la pertinence de ces vidéos, la Dre Launay prend l'exemple de celles sur le TDAH postées sur TikTok dont seuls 21% diffusent des informations pertinentes. "On observe aussi une banalisation des troubles, avec comme conséquence une augmentation de l'autodiagnostic sous la supervision du Dr TikTok, et plus du tout sous celle du thérapeute!"Enfin, il faut noter le changement d'audience: "Dans les années 1980, les manifestations avaient lieu dans l'espace thérapeutique. Aujourd'hui, elles ont lieu sur les réseaux sociaux et ensuite, il y a l'intervention d'un thérapeute dont l'opinion pourra être méprisée si elle est en conflit avec l'idée de la personne, voire si elle questionne le diagnostic.""Au fil du temps, la popularité du TDI a fluctué selon l'intérêt des médias, mais il y a toujours eu des psychiatres sceptiques par rapport à ce diagnostic. Les changements dans la société ont énormément influencé ce trouble à toutes les époques. Récemment, les réseaux sociaux ont permis qu'il diffuse et dépasse les frontières. Le challenge pour le futur sera de réaliser à quel point les réseaux sociaux impactent les présentations cliniques et la dissémination des troubles", conclut Sandrine Launay.