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Qu'il s'agisse de la prise en charge du syndrome métabolique, du diabète de type 2 ou de l'hypertension, les recommandations officielles mettent l'accent sur la complémentarité des mesures hygiéno-diététiques et médicamenteuses. Mais comment évolue l'alimentation chez les patients qui doivent prendre un ou plusieurs médicaments pour faire baisser leur cholestérol, leur glucose sanguin ou leur tension artérielle? Pour le savoir, une équipe canadienne, emmenée par le Pr Jean-Philippe Drouin-Chartier, de la faculté de pharmacie de l'Université Laval (Québec), a réalisé trois études à partir de la base de données CARTaGENE. Mise sur pied en 2009, cette dernière contient des informations sur plus de 43.000 adultes vivant au Québec. Les chercheurs ont sélectionné des sujets qui avaient des taux élevés de cholestérol ou de glucose sanguin, ou qui avaient une pression artérielle élevée, certains prenant des médicaments, d'autres pas. Leurs résultats ont paru dans le Canadian Journal of Cardiology Open [1]. Dans la première étude, les chercheurs ont évalué la relation entre la qualité de l'alimentation et l'utilisation des statines chez les adultes atteints du syndrome métabolique et exempts de maladie cardiovasculaire. Il a déjà été démontré que l'introduction de ces médicaments peut nuire à la qualité de l'alimentation. Dans cette cohorte d'adultes, l'utilisation d'une statine en monothérapie en prévention primaire était associée à une qualité d'alimentation légèrement inférieure, marquée par une plus faible consommation de légumes et de céréales complètes. Ceci s'observait notamment chez les hommes de ? 50 ans et les femmes de ? 60 ans, et chez les personnes ayant déclaré des antécédents d'hypertension artérielle. La seconde étude a évalué la relation entre la qualité de l'alimentation et l'intensité des médicaments hypoglycémiants (à savoir aucun médicament, monothérapie orale, polythérapie orale, insuline avec/sans médication orale), chez les adultes atteints de diabète de type 2. Dans cette cohorte, les auteurs ont observé un manque général de complémentarité entre la qualité de l'alimentation et l'intensité des médicaments hypoglycémiants. Ce problème était particulièrement important chez les jeunes adultes, pour lesquels la qualité de l'alimentation était inversement associée à l'intensité de la médication. Enfin, qu'en est-il chez les personnes souffrant d'hypertension artérielle associée à un syndrome métabolique? La prise en charge de ces patients repose sur le régime alimentaire et les médicaments. Ici, les chercheurs canadiens ont voulu savoir si ces mesures étaient bien complémentaires dans la vie réelle. Leur étude a analysé la relation entre la qualité de l'alimentation et l'intensité de la médication antihypertensive chez les adultes souffrant d'un syndrome métabolique. L'intensité du traitement antihypertenseur a été évaluée en fonction du nombre de classes d'hypotenseurs utilisées simultanément et la qualité du régime alimentaire a été évaluée à l'aide du score DASH. Résultats? Dans cette cohorte d'adultes hypertendus, il y avait un manque global de complémentarité entre la qualité de l'alimentation et les médicaments hypotenseurs. En particulier chez les sujets plus jeunes et chez ceux à risque cardiovasculaire plus faible, où la qualité de l'alimentation était inversement associée à l'intensité de la médication. Dans les trois études, le constat est le même, les personnes qui utilisent des médicaments ont une alimentation de plus faible qualité que les personnes qui n'en prennent pas. "Il est tentant d'interpréter les constats de nos travaux comme une indication que les personnes qui ont ces problèmes de santé jugent plus simple et plus facile de prendre des médicaments que de changer leur alimentation. Nous pensons toutefois qu'au-delà de la responsabilité individuelle, des facteurs qui relèvent des professionnels de la santé, du système de santé et de choix de société contribuent à expliquer nos observations", explique le Pr Drouin-Chartier [2]. Il pointe encore le manque flagrant de complémentarité et d'adéquation entre la qualité de l'alimentation, l'usage des médicaments et l'intensité de leur utilisation. Or, les lignes directrices pour la prise en charge des personnes ayant des problèmes de cholestérol, de glucose sanguin ou de pression artérielle préconisent, dans un premier temps, une modification des habitudes de vie. Et d'envisager la médication, dans un second temps, lorsque les résultats ne sont pas satisfaisants. Ainsi, pour le chercheur, "une partie du problème pourrait être attribuable au fait que les personnes qui prennent des médicaments pour traiter leur condition de santé peuvent se sentir protégées et croire qu'elles peuvent manger tout ce qu'elles veulent. Mais il y a des causes qui ne relèvent pas des individus. Par exemple, il est fort probable que la perception d'efficacité supérieure des médicaments par rapport à l'alimentation soit répandue chez les professionnels de la santé."Dès lors, comment améliorer la situation? "Le problème doit être attaqué sur trois fronts", estime le Pr Drouin-Chartier. "Il faut sensibiliser davantage les personnes aux prises avec des problèmes de santé à l'importance de modifier leurs habitudes de vie. Les médicaments agissent souvent sur un élément particulier, le cholestérol par exemple, alors que l'alimentation agit sur toutes les composantes de la santé. Il faudrait aussi miser davantage sur la collaboration interprofessionnelle entre médecins, diététiciens et pharmaciens afin d'assurer une complémentarité entre la qualité de l'alimentation et la médication. Enfin, comme société, il est important de consentir davantage d'efforts et d'argent à la prévention."