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"N ous voulions créer une première mission pour voir ce qu'on pouvait faire sur place pour aider au diagnostic et à la prise en charge thérapeutique dans des régions peu médicalisées", explique le Dr Nathalie Renard.Du matériel a été apporté sur place également. Plus de 900 kg acheminés dans les valises et le reste par bateau. "Nous avons amené du matériel pour effectuer des biopsies et des ponctions, du matériel pour aider dans la prise en charge de la chimiothérapie, des échographes, ainsi que des systèmes portables d'échographie qu'on a pu offrir à la Ligue sénégalaise contre le cancer (LISCA). Là-bas, la chimio est remboursée mais elle se fait dans des conditions de travail qui mettent en danger les infirmières." Le Dr Renard a eu son premier contact avec le Sénégal en 2015. Interpellée par une ONG, Sénégal santé, qui rassemble des soignants de la région Wallonie picarde pour faire des consultations bénévoles au Sénégal, elle lui propose de suivre des missions itinérantes pour réaliser des dépistages du cancer du col de l'utérus. "Je suis partie comme anapath avec mon microscope et on a mis au point un labo portable", raconte Nathalie Renard. Une fois sur place, elle rencontre une homologue qui essayait de développer le métier dans le nord du pays. La prise en charge de la santé est centrée sur Dakar mais le Nord, qui représente pourtant 20% de la population du pays, est très mal desservi. Sa première action a été d'aider sa consoeur, en partenariat avec le Chwapi, hôpital où elle travaille. " On a fait expédier du matériel et on a monté un labo d'anatomopathologie à St Louis."De 2015 à 2019, plusieurs missions se sont succédé pour équiper le labo et développer le dépistage du cancer du col par des frottis qui n'étaient pas réalisés dans cette région. " Ensuite, j'ai rencontré sur place, la directrice de l'ONG belgo-sénégalaise "Action Sénégal", Marie-Pierre Decocq, qui travaille depuis 25 ans dans le nord du Sénégal pour lutter contre le fléau des enfants esclaves "faux" talibés1. Dans cette ONG, il y a une branche santé. Et en amont, à l'égard des mamans qui vivent notamment dans le désert du Sahel, elle oeuvre pour y ouvrir des dispensaires.De là, a émergé l'idée de travailler ensemble", poursuit-elle . Avec tous ses contacts et le soutien enthousiaste du Dr Anne Pascale Schillings, radiologue à la Clinique d'Ottignies et responsable du club belge de sénologie, elle a monté un projet pour le cancer du sein au Sénégal. Les démarches ont commencé en 2019. Ils rencontrent la firme Hologic qui décide de les aider, et plusieurs hôpitaux (les Cliniques universitaires Saint Luc, Erasme, le Chirec, la Clinique Saint-Pierre à Ottignies, l'Hôpital de Jolimont et le GHDC) très enthousiastes à l'égard du projet . Lorsque la crise sanitaire arrive, ils continuent à plancher sur le projet et créent une mission. "Je suis allée en repérage au Sénégal en 2021 où j'ai rencontré les responsables de la ligue Lisca et des responsables du ministère de la santé pour obtenir tous les accords nécessaires. Ensuite, nous avons pu partir les 15 premier jours de novembre 2021." Sur place , la Lisca avait lancé une campagne avec un camion itinérant de dépistage qui couvre toutes les régions. " Lapolitique d'octobre rose au Sénégal consiste à toucher des femmes très jeunes, mais ce n'est pas très pertinent quand on est sur le terrain parce que toutes ces femmes viennent se faire dépister trop jeunes et on ne trouve rien ou juste des fibroadénomes. Il y a toute une catégorie de femmes qui ne vont pas être dépistées", explique la spécialiste .Cependant, l'âge moyen des femmes atteintes du cancer du sein est plus bas que chez nous. " Les facteurs environnementaux de pollution doivent jouer, et les conditions sanitaires ne sont pas les mêmes que chez nous. Il y a peut-être aussi des facteurs génétiques, car on observe plus de fibroadénomes et de cancers du sein non hormono-dépendant dans la population noire", poursuit le Dr Renard .Par ailleurs, il y a une grande différence entre Dakar et le reste du pays. " Dakar est une mégapole, où il y a pas mal de problèmes d'hypertension, de diabète, d'obésité et des faits pro-hormonaux qui favorisent le cancer du sein. Et ce qui est relaté à Dakar n'est pas le reflet de l'ensemble du pays."Au Sénégal, le dépistage ne se fait pas facilement pour une raison culturelle car le cancer est considéré comme une malédiction qui frappe la famille. "Les cancers sont souvent diagnostiqués à un stade avancé quand souvent il faut faire de la chimio. Ils sont plus dans une stratégie de diagnostic et de traitement avec la formule la plus efficace que dans une politique de dépistage précoce. Les différences culturelles se trouvent également à un autre niveau, le sein n'a pas la même image culturelle que chez nous, il n'y a pas eu de problèmes de pudeur par exemple", constate Nathalie Renard ."Il y a un point intéressant sur lequel nous voulions travailler, c'est l'apprentissage de la palpation des seins par les matrones", insiste le Dr Renard. " Le rôle de la matrone est très important, il est le relais de santé dans les dispensaires et aide à l'accouchement. Une étude au Kenya a d'ailleurs montré l'impact de la formation des matrones à la palpation des seins pour repérer la présence de nodules. L'étude démontre une diminution de l'incidence des cancers graves. Les radiologues de notre groupe ont d'ailleurs donné des cours sur la palpation."A l'inverse de chez nous, la chimio va être le premier traitement proposé. 15 chimiothérapies sont remboursées au Sénégal depuis 2019. La chirurgie coûte plus cher, et la radiothérapie n'est possible qu'à Dakar et non remboursée. " L'hormonothérapie quant à elle n'est pas trop chère mais pour pouvoir l'utiliser, il faut pouvoir réaliser des examens en anapath, ce qui n'est pas fait", ajoute la spécialiste . "Nous avons essayé aussi d'aider au développement de la chirurgie, mais on s'est rendu compte que quand on opère au Sénégal, l'hôpital ne fournit rien. C'est la famille qui doit apporter le matériel disposable et tous les médicaments. Pour nous, il a été important de ne pas juger les modes de fonctionnement", ajoute-t-elle . "Et c'est tout un art de s'ajuster et de travailler sans jugement."De cette mission, le Dr Renard retire une expérience remplie de joie de vivre et compte bien la reproduire l'année prochaine ou dans deux ans. Mais face aux demandes d'autres régions, l'hésitation se fait entre se focaliser sur une seule région pour ne pas se disperser ou aider d'autres régions en alternance et tisser des liens avec d'autres pathologistes.