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Les yeux de beaucoup ne s'écarquillent plus devant l'oeuvre du Viennois pour s'en émerveiller, mais plutôt parce qu'ils sont gagnés par la stupéfaction devant l'ampleur de ce que d'aucuns n'hésitent pas à qualifier d'impostures. "Freud est, sans aucun doute, un génie, non de la science, mais de la propagande, non de la démonstration rigoureuse, mais de la persuasion, non de la mise au point d'expérimentations, mais de l'art littéraire. Sa place n'est pas, comme il le prétendait, avec Copernic et Darwin, mais avec Hans Christian Andersen et les Frères Grimm, des auteurs de contes de fées", écrivait avec une certaine férocité le célébré psychologue scientifique Hans Eysenck, décédé en 1997. Freudo-lacanien défroqué après dix ans de pratique de la psychanalyse, Jacques Van Rillaer, professeur émérite de l'UCLouvain et de l'Université Saint-Louis, à Bruxelles, parle aussi de la psychanalyse comme d'une pseudo-science qu'il s'évertue par ailleurs à déconstruire. En 1981, il publia Les Illusions de la psychanalyse (Mardaga), puis, en 2005, fut l'un des auteurs phares du Livre noir de la psychanalyse (Les Arènes) avant de nous revenir en 2019 avec Freud et Lacan, des charlatans? Remettant l'ouvrage sur le métier, il nous propose aujourd'hui une version revue et enrichie de son livre de 1981, notamment à la lumière de nouveaux documents des Archives Sigmund Freud. Intitulé Les désillusions de la psychanalyse (Mardaga), il met le doigt où ça fait mal avec la force tranquille d'un argumentaire dont la solidité semble difficilement contestable. Le journal du Médecin: Vous avez déjà publié plusieurs ouvrages sur la psychanalyse. Dans quel contexte? Pr Jacques Van Rillaer: Mon premier livre, en 1975, était tout à fait pro psychanalyse. C'était une version simplifiée de mon doctorat défendu à Louvain en 1972. Je n'y faisais qu'une critique importante. Elle portait sur la "pulsion de mort", entité par laquelle Freud expliquait des répétitions compulsives, la "résistance à la guérison", le masochisme, l'agressivité, les guerres, etc. En fait, c'est une pseudo-explication: l'invocation d'une réalité interne censée expliquer quantité de comportements. C'est la "virtus dormitiva" par laquelle le médecin de Molière explique que l'opium fait dormir. Rien n'est expliqué, c'est sans utilité et cela dispense de chercher plus loin. L'éditeur m'ayant proposé d'écrire un autre livre, j'ai choisi de faire un bilan du freudisme sous le titre Science et illusions en psychanalyse. Plus j'ai étudié, plus j'ai trouvé des illusions et très peu de science. En 1979, je donnai ma démission à l'École belge de psychanalyse. Le titre du livre devint en 1981 Les illusions de la psychanalyse. Durant les années 1990, j'ai publié des ouvrages sans rapport avec la psychanalyse: trois respectivement sur les thérapies comportementales, les phobies et les colères, un intitulé La gestion de soi (Mardaga) et un dernier dont le titre était Psychologie de la vie quotidienne (Odile Jacob). En 2004, les violentes réactions de psychanalystes français à la réglementation du titre de psychothérapeute et au rapport de l'Inserm concluant que les thérapies comportementales étaient plus efficaces que la psychanalyse m'ont amené à accepter de participer à la publication du Livre noir de la psychanalyse (Les Arènes). Ensuite, j'ai publié, avec une spécialiste de psychologie pédiatrique, L'accompagnement psychologique des enfants malades (Odile Jacob). Je ne suis donc pas, comme certains le répètent, quelqu'un qui ne fait que de la critique de la psychanalyse. Vous vous y êtes toutefois remis en 2019? ... En effet. Le stock des Illusions de la psychanalyse étant épuisé, les éditions Mardaga m'ont proposé de le rééditer moyennant sa mise à jour. J'ai préféré écrire un ouvrage plus court, intégrant notamment des informations provenant d'archives de Freud publiées depuis 1980. C'est ainsi qu'a paru en 2019 Freud et Lacan: des charlatans? Toutefois, la demande pour l'ancien livre n'ayant pas alors cessé, je l'ai réécrit en développant des questions fort résumées ou éludées dans le livre de 2019. Pouvez-vous expliquer les raisons de votre abandon de la psychanalyse au profit des thérapies comportementales? Durant mes études, entre 1962 et 1967, la psychanalyse était la seule référence en psychologie clinique. En 1968, j'ai eu la chance d'être assistant à l'Université de Nimègue. La psychanalyse n'y était plus "la" référence. Ma foi dans la psychanalyse, que j'ai pratiquée de 1969 à 1979, s'est alors érodée. Les collègues hollandais considéraient la psychanalyse comme une idéologie bourgeoise, qui faisait le jeu des autorités en donnant des explications intrapersonnelles (désirs inconscients, fixation anale, complexe d'OEdipe, etc.) et en négligeant les facteurs socioéconomiques des troubles mentaux. Ils critiquaient aussi le manque de scientificité de Freud. Le Viennois avait généralisé de façon absurde. Il expliquait la plupart des troubles mentaux par le refoulement de souvenirs et de désirs sexuels. Il apparaissait évident qu'il suggérait subrepticement ses idées et obsessions à ses patients. La façon dont Freud maniait le concept d'inconscient lui permettait d'expliquer absolument n'importe quel lapsus, rêve ou pathologie. Tout ce qui contestait sa doctrine était considéré comme "victime de résistances inconscientes", voire même de névrose. Je crois qu'une troisième critique concernait l'efficacité de la thérapie psychanalytique. Oui, c'était la plus importante à mes yeux. Des recherches anglo-saxonnes montraient que les résultats des différentes psychothérapies se valaient. C'était une mauvaise nouvelle pour la psychanalyse, la plus coûteuse en temps et en argent. L'approche comportementale, alors naissante, apparaissait plus efficace, au moins pour traiter les phobies, un trouble fréquent parfois très invalidant. J'ai assisté à Nimègue à des traitements de phobies d'ascenseur, de pigeons, etc. Ces troubles disparaissaient rapidement et les patients reprenaient confiance en eux-mêmes. Il n'y avait pas de "substitution de symptôme" mais un "effet boule de neige positif". En outre, j'étais devenu méfiant à l'égard des discours ésotériques, considérés à Nimègue comme du charlatanisme. Ainsi j'en suis venu à ne plus prendre au sérieux Jacques Lacan, qui déclarait des choses du genre: "L'interprétation doit être preste pour satisfaire à l'entreprêt [sic]. De ce qui perdure de perte pure à ce qui ne parie que du père au pire". Des collègues analystes, au lieu de reconnaître que cela n'avait pas de sens, essayaient d'en trouver, sans s'accorder sur leurs interprétations. Ma chance a été d'être nommé à l'Université de Louvain chargé de cours en 1974 et professeur en 1980. J'ai ainsi pu lire, étudier, pratiquer et réfléchir en toute liberté, sans le souci de gagner ma vie comme thérapeute. Votre "déconversion" a-t-elle néanmoins pris du temps? Une dizaine d'années. Parmi les divers facteurs qui y ont contribué, il y a la lecture en 1975 de l'extraordinaire ouvrage de Henri Ellenberger The Discovery of the Unconscious publié en 1970 et traduit en français en 1974. Ellenberger était un psychiatre formé à la psychanalyse, qui n'est pas devenu un dévot. Il a dégonflé la légende de l'originalité absolue de Freud. Il a montré en détail ce qu'avait déjà dit en 1908 le psychiatre Alfred Hoche: dans la doctrine de Freud, il y a du nouveau et du bon, mais le bon n'est pas neuf et le neuf n'est pas bon. Beaucoup d'idées attribuées à Freud ne sont que la reprise d'idées anciennes. Par exemple, Griesinger, célèbre psychiatre allemand du 19e siècle, avait écrit que le rêve dissimule l'accomplissement de désirs. Freud a repris son idée mais en affirmant que tout rêve est toujours la satisfaction hallucinatoire d'un désir refoulé. Pour expliquer les cauchemars, il a dû recourir à des explications alambiquées. En fait, nous rêvons de nos désirs, mais aussi de nos peurs, de nos dégoûts, de nos préoccupations, de nos anticipations. L'erreur de Freud, ici comme ailleurs, est d'essentialiser prématurément et de généraliser à outrance. Plus grave: Ellenberger a remis en question la probité scientifique de Freud. Il a découvert que la soi-disant guérison de "tous" les symptômes d'Anna O., la patiente paradigmatique, était une mystification. Il a retrouvé les archives de l'institut psychiatrique où elle avait été internée à la fin de sa "cure par la parole": son état s'était fort dégradé. Freud mérite-t-il, comme cela apparaît dans le titre de votre livre de 2019, le qualificatif de "charlatan"? Un charlatan est quelqu'un qui prétend avoir des moyens de guérison merveilleux et séduit son public avec de beaux discours. Ce terme convient à Freud. Je ne suis pas le premier à l'utiliser pour lui. Han Israëls, de l'Université d'Amsterdam, a commencé par publier des éloges de Freud, grâce à quoi il a pu avoir accès aux lettres, non encore publiées, de Freud à sa fiancée. Il y a découvert un pot aux roses. Entre 1884 et 1887, Freud avait publié des articles sur les succès de son traitement de la morphinomanie par la cocaïne. Or, la correspondance avec sa fiancée révèle que le seul patient qu'il a traité -- son ami Ernst von Fleischl-Marxow -- est resté morphinomane et est devenu gravement cocaïnomane. Israëls a fait d'autres découvertes et a publié en néerlandais, en 1999, De Weense kwakzalver (Le charlatan de Vienne) . Le qualificatif convient davantage à Lacan, de qui le célèbre linguiste Noam Chomsky disait après l'avoir écouté au Massachusetts Institute of Technology: "Je crois franchement qu'il était un charlatan conscient de l'être et que tout simplement il jouait avec la communauté intellectuelle de Paris pour voir combien d'absurdités il pouvait continuer à produire en étant encore pris au sérieux."