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Quand le système immunitaire s'épuise Les personnes vivant avec le VIH présentent un risque plus élevé de cancer que la population générale en partie à cause de l'immunosuppression mais aussi à cause de la prévalence plus élevée des virus mis en cause dans le développement de cancers sans oublier le tabagisme, fort présent chez ces patients.S'il est déjà bien établi qu'un taux faible en CD4 est prédictif d'un risque plus élevé de certains cancers non liés directement au SIDA, il est intéressant d'identifier d'autres marqueurs plus sensibles. Un de ces marqueurs pourrait être le rapport CD4/CD8.Dans la population générale, ce rapport est en général de 1 avec des extrêmes allant parfois jusque 3. Il en va autrement chez les personnes vivant avec le VIH. Ainsi, une vaste étude internationale, menée auprès de personnes vivant avec le VIH dont la charge virale est indétectable, a montré, qu'après 8 ans de traitement antirétroviral, le rapport moyen CD4/CD8 est de 0,8. Cette étude a aussi montré que, si ce rapport a tendance à s'améliorer au fil du temps, il est cependant moins susceptible de s'approcher du taux normal chez les personnes qui ont commencé un traitement antirétroviral avec un taux faible de cellules CD4.Un faible rapport CD4/CD8 est l'indicateur, tout à la fois, d'une intense activité immunitaire, d'un épuisement des lymphocytes T et d'une sénescence réplicative des lymphocytes T, autant de caractéristiques d'un vieillissement accéléré du système immunitaire et d'un risque accru de développement d'un cancer.Un groupe d'investigateurs associés à la North American AIDS Cohort Collaboration on Research and Design (NA-ACCORD) ont cherché à savoir si ce rapport CD4/CD8 pourrait constituer un marqueur prédictif intéressant du risque accru de cancer au sein de la population des patients vivant avec le VIH. Leur analyse a été publiée en mars de cette année dans la revue Journal of the National Cancer Institute.Une étude d'envergureNA-ACCORD regroupe de nombreuses cohortes d'adultes séropositifs aux USA. Quinze de ces cohortes qui ont recueilli des informations sur les diagnostics de cancer entre 1998 et 2016 ont été prise en compte pour cette étude. Un total de 83.893 personnes ont été incluses: 43% de race caucasienne, 37% d'Afro-américains et 11% de Latinos. De plus, 22% présentaient une hépatite C, 7% une hépatite B, 29% avaient des antécédents de forte consommation d'alcool et 33% avaient des antécédents de tabagisme.Le nombre moyen de cellules CD4 était de 437 et le rapport CD4/CD8 médian était de 0,47 à l'inclusion. La majorité des participants suivaient déjà un traitement antirétroviral au début du suivi ou l'ont initié peu de temps après leur inclusion et 58% présentaient une charge virale indétectable.Cancers et VIHSur une période de suivi de 8,5 ans, les investigateurs ont constaté l'émergence de 5.628 cancers ce qui signifie que 6,7% des personnes de cette cohorte ont présenté une tumeur maligne. Les plus fréquentes étaient, par ordre décroissant, le cancer de la prostate, le cancer du poumon, le sarcome de Kaposi, le lymphome non Hodgkinien, le cancer anal, le cancer du foie et le cancer colorectal.Impact du rapport CD4/CD8 sur le risque de cancerPour évaluer l'impact du ratio CD4/CD8 sur le risque de présenter un cancer, les investigateurs ont comparé deux valeurs, 0,3 et 0,5, au ration médian de 0,8 retrouvé au sein de la population des personnes vivant avec le VIH lors d'études antérieures.De plus, ils ont également examiné les différents risque associés à de faibles ratios CD4/CD8 présents 6,12,18 et 24 mois avant le diagnostic de cancer et qu'ils ont baptisé du terme de "rapport CD4/CD8 décalé".Un rapport de 0,3 ou inférieur et déjà présent 6 mois avant diagnostic augmente le risque de tout cancer de 24%. Si ce ratio de 0,3 ou moins était présent depuis plus longtemps, soit 24 mois avant diagnostic, le risque de développement d'un cancer est de 24% et donc quasi identique à celui observé si le ratio bas était présent 6 mois avant diagnostic.Dans un second temps, les investigateurs ont analysé ces résultats en fonction des cancers spécifiques. Première constatation, un faible ratio CD4/CD8 (0,3 ou moins) était associé à un risque accru de lymphome non Hodgkinien, de sarcome de Kaposi, de cancer du poumon, de cancer anal et de cancer colorectal, encore une fois avec très peu de différence en terme de risque que ce ratio faible soit présent 1,6,12 ou 24 mois avant diagnostic patent du cancer. Comme il y a toujours une exception à la règle, on constate cependant que, pour le lymphome non Hodgkinien, un ratio décalé de 6 mois était associé à un risque plus élevé qu'un ratio décalé de 24 mois.Seconde constatation, pour plusieurs autres cancers, un faible ratio CD4/CD8 décalé de 6 mois n'a augmenté le risque à aucun moment. Ainsi en est-il du cancer du col de l'utérus, des cancers de la tête et du cou, du cancer de la prostate, du cancer du sein et du cancer du foie. Concernant les lymphomes Hodgkinien, le risque n'était augmenté que lorsque le ratio décalé de 12 et 18 mois était pris en considération.Troisième constatation, l'analyse multivariée montre que le tabagisme, la consommation d'alcool, le poids corporel et un faible ratio CD4/CD8 décalé de 6 mois était associé à un risque accru de lymphome non Hodgkinien, de cancer du poumon et de cancer anal.Ratio CD4/CD8: un outil de dépistage à creuserIncontestablement, la force de cette étude réside dans la taille de la population étudiée et le grand nombre de cancers recensés ce qui autorise les investigateurs à conclure, qu'en l'état, les données recueillies plaident pour l'intérêt du rapport CD4/CD8 comme biomarqueur utile dans le cadre du dépistage du cancer du poumon et de l'anus chez les personnes vivant avec le VIH dont l'âge moyen, au moment du diagnostic, est plus jeune qu'au sein de la population générale. Cependant, des recherches complémentaires sont nécessaires pour définir comment et quand le rapport CD4/CD8 peut être utilisé dans le dépistage du cancer chez les personnes vivant avec le VIH.Réf: Castilho JL et al. Journal of the National Cancer Institute, publication en ligne 16/03/2022.