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"Tous ceux qui me connaissent savent que je suis une vraie trypophobe". Faite par Kendall Jenner sur son blog personnel, en août 2016, cette révélation en a surpris plus d'un. "Les trucs qui me terrifient, ce sont les crêpes, les nids d'abeille et les têtes de lotus séchés. Ça semble ridicule, mais beaucoup de gens en souffrent ! Je ne peux pas regarder les petits trous, ça me rend trop anxieuse. Qui sait ce qu'il y a là-dedans ?"Devenue à 22 ans la mannequin la mieux payée au monde, la jeune femme de la tribu Kardashian a dit à sa manière l'essentiel sur cette phobie. Les trypophobes éprouvent en effet une forte aversion et une peur démesurée à la vue des grappes de formes circulaires telles que les bulles dans une tasse de café, la mousse au chocolat ou les crêpes, ou que les trous dans la peau, le gruyère, les nids d'abeilles, tuyaux, passoires, coraux, éponges, pains, troncs d'arbre, balles de golf, etc... Bref, tout ce qui est troué ou renfoncé, tout ce qui est alvéolaire ou, au contraire, tout ce qui présente une bosse.Il s'agirait même de la phobie la plus répandue sur la planète. Des groupes Facebook comportent jusqu'à 6.000 adhérents qui échangent quotidiennement sur leur peur des trous et leurs symptômes, lesquels peuvent notamment inclure une sensation de démangeaison, un souffle coupé, des tremblements, frissons, palpitations, mains moites, poils hérissés, nausées, migraines, voire des crises de panique. Toute une palette qui n'a rien de bien réjouissant...Décrite pour la première fois en 2005, cette étrange affection n'est cependant toujours pas reconnue par le corps médical international comme une véritable phobie. Pourtant, la peur irrationnelle des trous existe vraiment et, selon une étude menée en 2013 par des spécialistes de la vision de l'Université d'Essex en Angleterre, la trypophobie concernerait environ 15% de la population mondiale (11% des hommes et 18% des femmes)1.Pour obtenir ce pourcentage édifiant, les chercheurs avaient présenté à des centaines de personnes une vidéo montrant divers types de trous plus ou moins repoussants dont un grand classique, une tête de fleur de lotus contenant les graines de la plante.Mais d'où vient cette phobie ? Les chercheurs d'Essex pensent que cela pourrait être un ancien réflexe de défense qui incitait nos ancêtres à se mettre à l'abri ou à fuir lorsqu'ils rencontraient des animaux présentant des formes semblables à des trous. Ce mécanisme de survie se serait profondément ancré dans leurs structures nerveuses.L'un des auteurs de l'étude a eu une intuition en voyant l'image d'un poulpe bleu annelé. Évidemment, ce poulpe a l'air troué mais c'est aussi un céphalopode connu pour avoir un venin très toxique. Et de fait, en examinant des dizaines d'animaux fortement venimeux (serpents, scorpions, araignées, etc.), les scientifiques ont constaté qu'ils présentent souvent des motifs visuels circulaires très contrastés ressemblant à des trous. En voyant ces motifs, notre oeil a donc l'impression d'être au bord d'un trou, on panique et on croit voir une bête venimeuse...L'hypothèse décrite ci-dessus est séduisante mais elle n'est pas la seule à expliquer ce qui déclenche la trypophobie. Si l'on en croit une autre étude britannique, menée en juillet dernier avec des images, il s'agirait d'une réaction d'anxiété exagérée, issue de l'évolution, liée aux maladies infectieuses et au parasitisme2.Les chercheurs en psychologie de l'Université de Kent constatent que plusieurs maladies infectieuses (variole, rougeole, rubéole, typhus, fièvre écarlate, etc.) se manifestent par des formes rondes sur la peau et que de nombreux ectoparasites, comme dans la gale ou liés à des tiques, entraînent également l'apparition de ce genre de formes sur la peau.De plus, ils estiment, en se basant sur les sentiments exprimés par les participants à la vue des images, que la trypophobie implique davantage un dégoût intense pour les grappes d'objets circulaires, qu'une peur excessive comme c'est le cas pour la plupart des phobies, celle des serpents par exemple.Plus récemment encore, en tout début d'année 2018, une autre équipe, américaine cette fois, a aussi mis en exergue la réaction de dégoût de volontaires auxquels ils ont aussi soumis des clichés. En utilisant une technologie d'"eye tracking", ils ont en outre observé que les images de trous font plutôt intervenir le système nerveux parasympathique, contrairement à celle d'animaux menaçants qui engendrent des réactions de peur liées au système nerveux sympathique.Reste à voir s'il est possible de se débarrasser de la trypophobie qui, malgré sa nature apparemment inoffensive, est tout de même fort handicapante dans la vie quotidienne. Comme pour la plupart des phobies, le traitement recommandé est de suivre une thérapie cognitivo-comportementale. Elle permet de remettre en question des pensées qui ne sont pas réalistes et d'identifier les émotions qui y sont attachées.Enfin, la thérapie d'exposition est une autre stratégie envisageable. Elle consiste à se confronter progressivement à la cause de sa peur, jusqu'à ce que celle-ci finisse par disparaître...