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Depuis la crise pandémique, nous assistons à une crise de l'expertise. Le Vif-l'Express a récemment publié un article revenant sur une liste (loin d'être exhaustive) de contradictions entre les experts. Tantôt le virus est saisonnier, tantôt il ne l'est pas. Tantôt il y aura une deuxième vague ou pas. Ce à quoi on assiste en ce moment n'est pas une deuxième vague. Ou peut-être que si. Les masques sont " inefficaces " (Maggie De Block et l'OMS en début de pandémie) puis ils sont rendus obligatoires sur la voie publique dans toute la Région bruxelloise... La population (et parfois même les journalistes) ne sait plus à quel saint se vouer... Ne devrait-on pas un moment avouer qu'on ne sait pas grand-chose sur ce Sars-Cov-2 ?On ne sait pas grand chose sur le Sars-CoV-2, en janvier 2020, on ne savait rien. Et tout ce que l'on sait aujourd'hui indique que ce virus ne se comporte pas du tout comme ses congénères Coronaviridæ. En effet, les coronavirus occasionnent des rhumes et sont sans réel danger. Deux souches de coronavirus ont toutefois provoqué une pandémie, en ce sens qu'elles ont envahi la planète entière, le Sars en 2002 et le Mers en 2012 et ce dernier court encore au Moyen Orient dont il est, il faut le dire, peu sorti. Le Sars a causé 750 décès et le Mers, 850 environ. Avec les 750.000 morts qu'on lui attribue Sars-CoV-2 est donc mille fois plus meurtrier et il se retrouve bien seul en son genre jusqu'à présent.Les dommages qu'il occasionne sont en réalité dus à une réponse immunitaire du patient qui prend des allures incontrôlables et conduit à des insuffisances respiratoires graves et à la mort. Même si la proportion de décès plafonne à 3,5% des contaminés confirmés, et même si ces chiffres ne sont certainement pas d'une très grande précision mais donnent une idée de l'ordre de grandeur, on voit que ce virus n'est pas le plus grand tueur qu'on ait connu (les pandémies de grippe de 1957 et de 1968 ont été plus meurtrières en dépassant nettement le million de morts, et surtout le HIV du Sida, avec 40 à 50 millions de décès et qui est toujours actif, alors que le confinement a fait chuter de façon très inquiétante les demandes dans les centres de dépistage du HIV).Les " experts " tiennent leur nom du fait qu'ils ont une " expérience " sur laquelle ils peuvent faire leur diagnostic et leurs prédictions. Dans ce cas-ci, il n'y a pas d'experts, même si c'est le nom qu'on donne aux virologues et épidémiologistes convoqués pour aider les décideurs. Personne ne peut avoir l'expertise de la Covid-19 (l'Académie française l'a féminisée). On se repose donc sur l'expertise des spécialistes par rapport à d'autres épidémies ou pandémies qu'ils ont connues précédemment. Ceci explique les discordances qui, souvent, opposent diamétralement ces experts. Et c'est absolument déboussolant pour le grand public et même pour un public relativement averti.Mon attitude -- mais je ne suis pas consulté et je ne demande pas à l'être -- est de regarder les choses au jour le jour et ne surtout pas me baser sur une expertise précédente pour m'exprimer. Je ne m'exprime que lorsque j'entends des énormités et que je vois prendre des décisions inadéquates, exclusivement sur base des chiffres auxquels je souhaite qu'on fasse dire ce qu'ils disent, et non ce qu'on voudrait leur faire dire. Je pense qu'on peut conduire une politique sur cette base, sans rétention d'information, et en se donnant les cadrans nécessaires sur le tableau de bord, c'est-à-dire tous les indicateurs de suivi quotidien qui éclairent sur l'évolution de la situation. Encore faut-il choisir les critères réellement significatifs et non pas les manipuler pour les rendre plus effrayants pour la population quand on a décidé de lui imposer des règles difficiles à supporter. Mais les gens ne sont pas stupides, un masque n'a rien de magique et chacun peut comprendre qu'en roulant à bicyclette dans un parc bruxellois, on peut se passer de le porter sans mettre quiconque, ni soi-même, en danger.Ce qui est propre à cette crise (lire par exemple " Ce virus qui rend fou " de Bernard-Henri Lévy et " Trois mois qui ont changé le monde " de Drieu Godefridi), c'est la confusion sur des notions de base : morts en valeurs absolues/morts par million (qui fait écrire à l'AFP erronément que les Etats-Unis " sont de loin le pays le plus touché " alors qu'il est 8e en morts par million), surmortalité (critère le plus pertinent mais peu publié), chiffres sur le nombre de nouveaux cas en oubliant le plus important : le taux de positivité... C'est sur ce dernier point que vous avez enfourché votre cheval de bataille... Expliquez.Je suis convaincu qu'on peut obtenir du public une obéissance à des règles, même contraignantes, à condition que ce public comprenne les règles, leur raison d'être, leur accord avec le bon sens et leur proportionnalité par rapport aux événements dont elles sont sensées nous protéger.Mes chevaux de bataille sont simples et compréhensibles par tout un chacun.Un : J'ai d'abord réclamé, au nom du principe de l'Open Data soutenu par tous les gouvernements de Belgique (et il y en a beaucoup !) et au nom de celui de l'accès public libre aux données publiques (qui, par définition, appartiennent au public), que les données brutes de l'épidémie en Belgique soient librement accessibles, et pas seulement sous forme d'informations formatées, traitées, manipulées (honnêtement, je n'en doute pas, et ce n'est pas là mon propos) et prédigérées. Cette demande visait à ce que, hors du petit cénacle de Sciensano (par ailleurs bien utile car très riche en données), on puisse traiter les données à notre façon en en sortir la mine d'informations qu'elles renferment et qui peuvent ne pas apparaître comme intéressantes au premier abord par Sciensano. C'était ma première demande et elle a été honorée relativement rapidement, fin mars. J'en suis très satisfait, pas tant pour moi, mais pour les épidémiologistes du pays et tous ceux que cela intéresse et qui peuvent tester leurs idées et théories, sans devoir invoquer des mobiles malfaisants ou abusifs de ceux qui détiennent les données. Cela détend l'atmosphère (un peu).Deux: Ensuite, j'ai souhaité qu'on n'exprime pas la croissance par sa dérivée première mais qu'on le fasse par rapport à l'ensemble des données. Je m'explique: chaque jour, on nous assène le pourcentage d'augmentation des contaminations par rapport à la veille (en moyennant ces données sur 7 jours). On obtient ainsi, tous les jours, un pourcentage d'augmentation de 50, 60, 70%. Cela devient hallucinant et ça ne veut plus rien dire pour le public. Au contraire, ça crée une angoisse terrorisée chez certains, une banalisation pour d'autres. A la limite, il commence à ne plus y faire attention. Prenons un exemple enfantin: avec une grue, je dépose tous les jours, sur un tas de dix mètres de haut, une épaisseur d'un mètre. Demain, le tas atteindra onze mètres. Après-demain, douze mètres. Dirai-je, après-demain, que mon augmentation du jour est de 100% (1m demain, 1m après-demain) ou de 9% (1m sur un tas de 11 m) ? Pour moi c'est clair, on doit exprimer la croissance ou décroissance en pourcentage de l'ensemble, au moins depuis le plus récent début de montée, sinon on lui donne une ampleur qui n'a rien à voir avec la réalité.Trois : Plus récemment, j'ai insisté pour que, lorsqu'on expose le nombre brut de tests positifs, on dise au moins sur combien de tests effectués ce résultat a été obtenu. On apprend ça dès l'âge où on se familiarise avec les pourcentages et les notions élémentaires de statistique. Il y a une grande différence entre " je participe à une loterie et j'ai une chance de gagner " et " je participe à une loterie et j'ai une chance sur mille de gagner ". C'est ce qu'on appelle le pourcentage ou taux de positivité. Ça, c'est réglé, on en dispose depuis la mi-août.Etant donné votre CV (universitaire, virologue, recteur, etc.) vous avez semblé faire plier les experts officiels. Sciensano en particulier a rétropédalé en annonçant lundi 10 août qu'au niveau national, "la croissance exponentielle du virus semble avoir été interrompue"... Etes-vous satisfait ?La croissance n'était pas encore devenue exponentielle, il s'agissait, comparé à l'échelle de la première vague, d'un frémissement, mais oui, je suis, comme tout le monde, satisfait d'apprendre que ce frémissement se calme. On me dit évidemment que c'est grâce aux mesures imposées et je m'en réjouis.Mais ce n'est pas un rétropédalage de Sciensano, c'est la réalité des chiffres. Quand on a dit que j'avais fait plier les experts, c'était évidemment une manière très exagérée de mettre l'événement en première page, et ça portait précisément sur la décision de Sciensano d'afficher sur son site le résultat graphique du taux de positivité que j'avais si souvent demandé.Mais il reste encore plusieurs améliorations à apporter.- Le rapport quotidien est exprimé en 'nouveaux cas'. On comprend, en regardant bien, qu'il s'agit de nombre de 'tests positifs' et pas de 'personnes positives'. Même s'il existe une logique à procéder de la sorte, cela induit une erreur chez le lecteur peu attentif et chez la majorité des gens pour qui, logiquement, 'nouveau cas' semble indiquer 'nouvelle personne infectée'. Or il n'est pas rare de tester une même personne plusieurs fois. Le personnel soignant, par exemple, lorsqu'il est testé positif, est mis l'écart et ne peut reprendre que quand le test devient négatif. Il faut donc modifier cela ou faire clairement la différence entre un nombre de tests positifs et un nombre de personnes contaminées. Par la même occasion, on éviterait d'utiliser le terme " cas " qui, en médecine, est plutôt attribué à un patient symptomatique;- la publication de la ventilation entre les nombres de différents statuts cliniques parmi les personnes contaminées au moment du test (asymptomatique, symptomatique léger, symptomatique grave, hospitalisé, en soins intensifs).- la ventilation entre les nombres de personnes des différentes tranches d'âge parmi les hospitalisés;- la publication du nombre de tests " Anticorps " ou " sérologiques ", nouveaux et cumulés, qui donnerait un reflet de l'état potentiel de protection immunitaire de la population, même s'il plane encore un sérieux doute aujourd'hui sur l'immunité protectrice des anticorps dans le sang;- et encore d'autres précisions, la liste est longue.Récemment, il est apparu que les dossiers en retard étaient ajoutés au statistiques, non pas à la date du prélèvement mais à la dernière date du jour. C'est ainsi que le 15 août, on annonçait 922 'nouveaux cas' alors que 227 d'entre eux dataient de plus de 5 jours et certains même de plusieurs mois... Ceci donne évidemment une vision extrêmement fausse de la situation et contribue indûment à la notion à la mode: celle de deuxième vague. Que pensez-vous de l'idée de Steven Van Gucht et Marc Van Ranst de maintenir la bulle sociale à 5 personnes " jusqu'à l'arrivée d'un vaccin " alors qu'un vaccin totalement efficace n'arrivera peut-être que mi-2021 ou peut-être jamais comme l'expérience sur le sida nous le démontre ? Est-ce parce que cette bulle est vraiment efficace ou bien parce qu'elle repose entièrement sur les épaules de nos concitoyens et n'a que peu de conséquences économiques ?Je ne comprends pas le moins du monde cette injonction. Il est aujourd'hui clairement démontré partout que la principale source de contamination est au sein des familles. La bulle familiale est donc précisément un foyer potentiel. En créer une bulle primaire est parfaitement logique pour ne pas disloquer les familles, ça se comprend bien. L'extension à une bulle secondaire de 5 personnes est tellement étriquée qu'elle n'est respectée que par très peu de monde, demandez autour de vous à des gens qui sont susceptibles de vous répondre en toute honnêteté.Personnellement, je suis contre les contraintes excessives. Elles ont, de tout temps, poussé à l'infraction. Essayez d'imposer la vitesse limite de 30 km/h sur une route à quatre voies et vous comprendrez ce que je veux dire. J'en reviens à cette absolue nécessité de proportionner les contraintes aux risques réels, en tout cas aux risques tels qu'ils sont clairement perceptibles pour les gens.C'est probablement ce qui pousse les autorités à mettre des amendes d'un coût extravagant, pour la dissuasion, et à favoriser la publication de traitements des données de l'épidémie qui les rendent effrayantes.De même, trouvez-vous rationnel d'imposer le masque partout même dans les rues à peu près désertes de la banlieue bruxelloise mais, forcément, pas dans les restaurants une fois installé ? On pourrait d'ailleurs ergoter longtemps sur ces gens qui portent le même masque en tissu pendant une semaine sans le laver !Ici, je ne peux même pas imaginer que cette suggestion vienne d'un " expert " ou alors cela le disqualifie immédiatement. C'est évidemment l'idée la plus stupide qu'on ait eue durant toute cette année noire. Le port du masque est certes incontestablement le meilleur moyen de se protéger des autres et de protéger les autres de soi-même. Cela vaut vraiment la peine de le porter dans les lieux fermés où on rencontre d'autres personnes que celles qu'on fréquente sans masque (en principe la bulle primaire !). Vu par un virologue, cela n'a aucun sens dans des lieux ouverts et aérés, rues (sauf dans une cohue), avenues, boulevards, places, quais, digues, plages, campagnes. Aucun sens. Imposer cela, c'est d'abord faire preuve d'une ignorance absolue des principes de la contamination par des virus respiratoires, ce qui est excusable. Mais si les autorités politiques prennent des initiatives de ce genre, aussi privatives de liberté individuelle, elles doivent avoir derrière elles, pour une fois au moins, un consensus de virologues et d'épidémiologistes qui parlent au nom de la science, du savoir, et non d'une quelconque idéologie liberticide.Le professeur de Dermatologie de l'ULiège, Arjen Nikkels, a récemment donné une interview dans Le Vif rappelant les notions de bon sens dans l'usage du masque et ses dangers en cas d'utilisation abusive. A retenir.Je ne peux m'empêcher de vous faire réagir sur le virologue Marc Van Ranst, militant du PTB... Sans remettre en question sa compétence, son " idéologie " communiste sous-jacente ne le pousse-t-il pas à privilégier les mesures qui " brident " l'économie de marché mondialisée incarnée notamment par la liberté sans borne de circulation et le tourisme de masse ?Je réagis volontiers. Il s'agit d'un bon virologue, même si je me méfie de ceux qui affirment publiquement être le meilleur. Mais depuis le début de cette crise, il a rarement failli à donner systématiquement des conseils inappropriés. Son idéologie politique (qui n'est un secret pour personne puisque, dans ces messages sur Twitter, il alterne les avis sentencieux de virologue et la propagande PVDA-PTB). Si quelqu'un avait le temps de reprendre toutes ses interventions et prédictions et les mettre en regard avec les faits qui se sont déroulés, le contraste serait frappant. Il est étonnant de voir l'emprise de ce scientifique-gourou sur le gouvernement de droite en Flandre, rejaillissant bien sûr sur le Fédéral. Un émoi sérieux avait secoué la presse en 2009 à propos de ses conflits d'intérêt entre son rôle de commissaire fédéral pour la crise de la grippe H1N1 avec les producteurs de vaccins. Resté sans suite.Alors que l'Angleterre a trouvé une astuce pour diminuer de 5.300 unités le nombre de morts du Covid-19 (ndlr: dorénavant, les autorités sanitaires anglaises s'aligneront sur les services sanitaires des trois autres provinces britanniques et publieront quotidiennement le nombre de personnes décédées du Covid-19 " dans les 28 jours après avoir été testées positives en laboratoire " pour éviter de compter pour mort-Covid une personne écrasée par un bus par exemple et mieux tenir compte des guérisons), la Belgique demeure première mondiale en morts covid par million d'habitants (autour de 900). Sommes-nous masochistes de compter tous les suspects Covid ou sommes-nous simplement trop honnêtes ?Aucune idée. La question, très logique, est posée depuis longtemps et reste sans réponse.Comme il n'y a plus que très peu de morts aujourd'hui (5 le 15 août); pour rappel, la mortalité moyenne annuelle en Belgique est de 304 décès par jour), la question est devenue moins cruciale. En outre, les décès Covid sont aujourd'hui, je pense, ceux de patients Covid confirmés, ce qui clarifie les choses. Ce qui ne veut pas dire que la Covid-19 est la cause principale du décès, on connaît l'importance des co-morbidités dans l'issue fatale de l'infection. Beaucoup de malades meurent avec la Covid-19 et pas nécessairement de la Covid-19.Oserais-je vous demander une prédiction, ce qui en matière d'avenir est toujours compliquée : combien de temps cette pandémie va durer ?Pierre Dac a dit: " La prédiction est difficile, surtout lorsqu'elle concerne l'avenir ".Aucun être humain sur cette planète ne peut répondre à votre question, à moins d'être un charlatan ou un illuminé. Ma conviction est que toutes les possibilités restent envisageables. Un rebond, une deuxième vague (ne parlons pas de la troisième de M. Van Ranst, la deuxième n'a pas encore montré plus qu'un tout petit bout de son nez) n'est pas digne de l'appellation de vague et semble vouloir s'en aller), un sursaut au printemps prochain... Allez savoir. Pour les raisons que j'ai énoncées au début, et en particulier que personne ne connait encore vraiment ce virus, on ne peut se risquer à un pronostic sans avoir (tiens, revoilà la statistique !) au moins 50% de chances de se tromper !Un entretien de Nicolas de PapeBernard Rentier