Le Dr Sylvain Dal, chef du service psychiatrie adulte à l'hôpital Saint-Jean a fait part de son expérience sur l'informatisation de son service, lors d'un webinaire de LBSM sur le partage des données, la confidentialité et les enjeux de la numérisation.

" Il ne faut bien sûr pas diaboliser la technologie", commente d'emblée le Dr Dal, " mais il ne faut pas non plus être dans une approche naïve ou aveugle. Il faut rester vigilant. Il y a des risques qui modifient nos pratiques ", précise-t-il.

La numérisation : Un grand avantage administratif

" Avant la numérisation, le travail se basait sur des notes manuscrites, des dossiers difficiles à localiser et des notes éparses dans de multiples lieux où chercher les informations ainsi que le besoin de passer du temps et de l'énergie à les rassembler ", se rappelle le psychiatre. " il y avait un manque de cohérence d'une unité à l'autre, parfois sans aucunes traces des épisodes précédents. "

Face à ce tableau, le Dr Dal a soutenu à l'époque avec enthousiasme l'informatisation et le regroupement des données éparpillées dans un dossier intégré, informatisé et partagé au sein du service. " C'était un projet qui visait une forme de continuité, de disponibilité des informations de travail, une traduction de ce qui existait déjà mais en regroupant et en formalisant les choses. "

" Par ailleurs, il y a aujourd'hui une pression à la production de données mesurables du côté du management, et une pression à la création d'indicateurs chiffrables pour les accréditations de l'hôpital. Autour de ce travail clinique et de management, il y a aussi la loi sur les hôpitaux qui donne des missions, quant à la continuité des soins et à leur qualité ", explique le Dr Dal. " Il y a en outre en service aigü une exigence d'avoir certains résultats rapides, pour lesquels recevoir les informations d'emblée peut signifier un gain de temps et d'efficacité. "

Des lignes de fuites

" Avec cet outil, on a cependant été progressivement confrontés à toute une série de lignes de fuite ", constate le psychiatre. Lignes de fuite à entendre au sens Deleuzien : ce qui défait ce qui en nous est de l'ordre d'une organisation fondatrice, au profit d'une autre visée.

" Un jour a surgi la demande que ces dossiers et documents puissent être mis en ligne dans le Réseau Santé Bruxellois (RSB) et nous avons dû intervenir pour empêcher tout cela. Nous n'avons pas voulu que nos lettres de sorties soient mises à disposition d'un réseau public. Il a fallu marquer le désaccord et argumenter ", explique le Dr Dal. Actuellement, toutes les informations concernant la santé mentale, la génétique, la gynécologie et la santé sexuelle y compris les maladies sexuellement transmissibles ne sont pas accessibles. Dans certains champs, seuls les services spécialisés du domaine concerné peuvent y avoir accès sauf en situation d'urgence où il y a le principe de "breaking the glass". " En ce qui concerne la psychiatrie, au sein de l'hôpital, seuls parmi les collègues d'autres spécialités, les urgentistes ont un accès en lecture ; hors de l'hôpital, personne n'y a accès. "

" Cependant, nous avons tous entendu des choses inquiétantes ", poursuit le chef de service de psychiatrie. Comme récemment, le Chwapi qui a fait l'objet d'attaques. Ou encore, plus proche de notre spécialité, le groupe de psychothérapie finlandais Vastaamo, dont des données de consultation se sont retrouvées sur le dark web. On réalise que ces dossiers restent fragiles et qu'ils ne sont pas tout le temps bien sécurisés. "

Une autre complication est apparue par la suite. " La direction a souhaité que l'on scanne tous les dossiers papiers des 30 années précédentes. Ceux-ci se sont retrouvés en appendice des nouveaux dossiers informatisés, sauvés sous un format dans lequel on ne peut pas intervenir. Aujourd'hui, au quotidien, nous avons beaucoup de patients qui nous demandent de transmettre leurs rapports. C'est devenu plus à l'avant plan qu'auparavant. Je dois relire tous ces dossiers et j'ai parfois une quarantaine de pages à parcourir où je dois me demander à chaque paragraphe s'il y a exception thérapeutique ou pas, ou si des tiers sont concernés. Il y a donc un réel travail fastidieux ", poursuit le psychiatre.

" Tout ceci nous a amené à être vigilants et à apprendre aux assistants, aux collègues et aux équipes de rédiger de façon plus défensive ", précise-t-il. " Il faut relire ses notes, faire attention à ce que les autres médecins vont pouvoir lire et comprendre, mais aussi garder en tête ce qu'un patient lui-même fera de ce dossier. A les relire avec les yeux d'un juriste également, dans le cas d'un passage à l'acte par exemple : ce que vous avez laissé comme notes, concernant les moments qui précèdent ces passages à l'acte, aura une grande importance. " Mais écrire de manière défensive ou prudente sans mentionner une pathologie n'est pas toujours concevable, comme dans le cas où une personne doit introduire un dossier auprès de la Vierge Noire et doit avoir un dossier très précis, définis en termes médicaux. Cela laissera des traces écrites à double tranchant.

" Il y a également le cas de patients qui viennent nous demander des dossiers alors que les thérapeutes ne travaillent plus chez nous ", poursuit le psychiatre. " Que faisons-nous dans ce cas-là ? Par ailleurs, nous avons également des demandes insistantes, voire pressantes, de transfert de dossiers par mail, sans aucune sécurité. Il nous est arrivé très ponctuellement de constater que des membres du personnel d'une unité s'informaient de ce qui se passait, concernant des patients qu'ils avaient auparavant pris en charge, dans les dossiers d'une autre unité. Il y a un brassage des motivations et des possibilités pratiques qui n'est pas évident ", observe le Dr Dal.

Un autre effet pervers, des dossiers psychiatriques se retrouvent lorsqu'un patient se présente aux urgences. " D'emblée ", explique le psychiatre, " aux urgences, chaque clinicien voit au minimum qu'un dossier psy existe. Là où cela peut être un indice dans une lecture bienveillante, on va y prêter attention ; il ne faut juste pas que ça devienne un signe stigmatisant, qui définirait d'emblée que le patient ne peut venir que pour un problème psychiatrique. "

Les demandes de patients qui ont un manque de confiance en eux et aimeraient néanmoins savoir ce que l'équipe pense d'eux sont également problématiques. Il est déjà arrivé qu'ils exigent alors l'intégralité de leur dossier et le service doit s'y soumettre. " Ce sont des interactions très compliquées, avec ce genre de situations ", précise le psychiatre. " Du côté de la paranoïa également, nous avons des patients qui n'ont pas confiance en nous, et qui exigent que nous montrions les notes qui les concernent. Le dossier n'est pas dans ce cas, un élément de dialogue, ou de soutien du patient. Il passe du côté de la preuve, avec des dimensions de vérité, voire d'emprise et représente quelque chose qui vient toucher à l'intime et au secret. Pour ces patients paranoïaques, ce genre d'objet ou de situation est quelque chose d'extrêmement angoissant. Et là, je pense qu'on a mis les pieds, avec la loi sur les droits du patient et l'informatisation de dossiers parfois rendus plus ou moins publics ou consultables hors dialogue, dans quelque chose qui risque de nous revenir d'une façon un peu compliquée. "

" Face à toutes ces questions, il y a des principes déontologiques, des lois, des valeurs morales, et plus que tout, une réflexion éthique à mener. Il faut repérer les dilemmes et s'aider de la réflexion pluridisciplinaire, tout en documentant bien les arguments pris pour décider ", observe le chef de service.

Pour le Dr Dal, le dossier n'est pas au centre de la relation patient-médecin. "En pensant ainsi, nous risquerions de ne plus être dans le dialogue entre le patient et son médecin, nous serions dans une forme d'automatisation. Or la médecine n'est pas une accumulation de données."

Le Dr Sylvain Dal, chef du service psychiatrie adulte à l'hôpital Saint-Jean a fait part de son expérience sur l'informatisation de son service, lors d'un webinaire de LBSM sur le partage des données, la confidentialité et les enjeux de la numérisation." Il ne faut bien sûr pas diaboliser la technologie", commente d'emblée le Dr Dal, " mais il ne faut pas non plus être dans une approche naïve ou aveugle. Il faut rester vigilant. Il y a des risques qui modifient nos pratiques ", précise-t-il." Avant la numérisation, le travail se basait sur des notes manuscrites, des dossiers difficiles à localiser et des notes éparses dans de multiples lieux où chercher les informations ainsi que le besoin de passer du temps et de l'énergie à les rassembler ", se rappelle le psychiatre. " il y avait un manque de cohérence d'une unité à l'autre, parfois sans aucunes traces des épisodes précédents. "Face à ce tableau, le Dr Dal a soutenu à l'époque avec enthousiasme l'informatisation et le regroupement des données éparpillées dans un dossier intégré, informatisé et partagé au sein du service. " C'était un projet qui visait une forme de continuité, de disponibilité des informations de travail, une traduction de ce qui existait déjà mais en regroupant et en formalisant les choses. "" Par ailleurs, il y a aujourd'hui une pression à la production de données mesurables du côté du management, et une pression à la création d'indicateurs chiffrables pour les accréditations de l'hôpital. Autour de ce travail clinique et de management, il y a aussi la loi sur les hôpitaux qui donne des missions, quant à la continuité des soins et à leur qualité ", explique le Dr Dal. " Il y a en outre en service aigü une exigence d'avoir certains résultats rapides, pour lesquels recevoir les informations d'emblée peut signifier un gain de temps et d'efficacité. "" Avec cet outil, on a cependant été progressivement confrontés à toute une série de lignes de fuite ", constate le psychiatre. Lignes de fuite à entendre au sens Deleuzien : ce qui défait ce qui en nous est de l'ordre d'une organisation fondatrice, au profit d'une autre visée. " Un jour a surgi la demande que ces dossiers et documents puissent être mis en ligne dans le Réseau Santé Bruxellois (RSB) et nous avons dû intervenir pour empêcher tout cela. Nous n'avons pas voulu que nos lettres de sorties soient mises à disposition d'un réseau public. Il a fallu marquer le désaccord et argumenter ", explique le Dr Dal. Actuellement, toutes les informations concernant la santé mentale, la génétique, la gynécologie et la santé sexuelle y compris les maladies sexuellement transmissibles ne sont pas accessibles. Dans certains champs, seuls les services spécialisés du domaine concerné peuvent y avoir accès sauf en situation d'urgence où il y a le principe de "breaking the glass". " En ce qui concerne la psychiatrie, au sein de l'hôpital, seuls parmi les collègues d'autres spécialités, les urgentistes ont un accès en lecture ; hors de l'hôpital, personne n'y a accès. "" Cependant, nous avons tous entendu des choses inquiétantes ", poursuit le chef de service de psychiatrie. Comme récemment, le Chwapi qui a fait l'objet d'attaques. Ou encore, plus proche de notre spécialité, le groupe de psychothérapie finlandais Vastaamo, dont des données de consultation se sont retrouvées sur le dark web. On réalise que ces dossiers restent fragiles et qu'ils ne sont pas tout le temps bien sécurisés. "Une autre complication est apparue par la suite. " La direction a souhaité que l'on scanne tous les dossiers papiers des 30 années précédentes. Ceux-ci se sont retrouvés en appendice des nouveaux dossiers informatisés, sauvés sous un format dans lequel on ne peut pas intervenir. Aujourd'hui, au quotidien, nous avons beaucoup de patients qui nous demandent de transmettre leurs rapports. C'est devenu plus à l'avant plan qu'auparavant. Je dois relire tous ces dossiers et j'ai parfois une quarantaine de pages à parcourir où je dois me demander à chaque paragraphe s'il y a exception thérapeutique ou pas, ou si des tiers sont concernés. Il y a donc un réel travail fastidieux ", poursuit le psychiatre." Tout ceci nous a amené à être vigilants et à apprendre aux assistants, aux collègues et aux équipes de rédiger de façon plus défensive ", précise-t-il. " Il faut relire ses notes, faire attention à ce que les autres médecins vont pouvoir lire et comprendre, mais aussi garder en tête ce qu'un patient lui-même fera de ce dossier. A les relire avec les yeux d'un juriste également, dans le cas d'un passage à l'acte par exemple : ce que vous avez laissé comme notes, concernant les moments qui précèdent ces passages à l'acte, aura une grande importance. " Mais écrire de manière défensive ou prudente sans mentionner une pathologie n'est pas toujours concevable, comme dans le cas où une personne doit introduire un dossier auprès de la Vierge Noire et doit avoir un dossier très précis, définis en termes médicaux. Cela laissera des traces écrites à double tranchant." Il y a également le cas de patients qui viennent nous demander des dossiers alors que les thérapeutes ne travaillent plus chez nous ", poursuit le psychiatre. " Que faisons-nous dans ce cas-là ? Par ailleurs, nous avons également des demandes insistantes, voire pressantes, de transfert de dossiers par mail, sans aucune sécurité. Il nous est arrivé très ponctuellement de constater que des membres du personnel d'une unité s'informaient de ce qui se passait, concernant des patients qu'ils avaient auparavant pris en charge, dans les dossiers d'une autre unité. Il y a un brassage des motivations et des possibilités pratiques qui n'est pas évident ", observe le Dr Dal.Un autre effet pervers, des dossiers psychiatriques se retrouvent lorsqu'un patient se présente aux urgences. " D'emblée ", explique le psychiatre, " aux urgences, chaque clinicien voit au minimum qu'un dossier psy existe. Là où cela peut être un indice dans une lecture bienveillante, on va y prêter attention ; il ne faut juste pas que ça devienne un signe stigmatisant, qui définirait d'emblée que le patient ne peut venir que pour un problème psychiatrique. "Les demandes de patients qui ont un manque de confiance en eux et aimeraient néanmoins savoir ce que l'équipe pense d'eux sont également problématiques. Il est déjà arrivé qu'ils exigent alors l'intégralité de leur dossier et le service doit s'y soumettre. " Ce sont des interactions très compliquées, avec ce genre de situations ", précise le psychiatre. " Du côté de la paranoïa également, nous avons des patients qui n'ont pas confiance en nous, et qui exigent que nous montrions les notes qui les concernent. Le dossier n'est pas dans ce cas, un élément de dialogue, ou de soutien du patient. Il passe du côté de la preuve, avec des dimensions de vérité, voire d'emprise et représente quelque chose qui vient toucher à l'intime et au secret. Pour ces patients paranoïaques, ce genre d'objet ou de situation est quelque chose d'extrêmement angoissant. Et là, je pense qu'on a mis les pieds, avec la loi sur les droits du patient et l'informatisation de dossiers parfois rendus plus ou moins publics ou consultables hors dialogue, dans quelque chose qui risque de nous revenir d'une façon un peu compliquée. "" Face à toutes ces questions, il y a des principes déontologiques, des lois, des valeurs morales, et plus que tout, une réflexion éthique à mener. Il faut repérer les dilemmes et s'aider de la réflexion pluridisciplinaire, tout en documentant bien les arguments pris pour décider ", observe le chef de service.Pour le Dr Dal, le dossier n'est pas au centre de la relation patient-médecin. "En pensant ainsi, nous risquerions de ne plus être dans le dialogue entre le patient et son médecin, nous serions dans une forme d'automatisation. Or la médecine n'est pas une accumulation de données."