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Au Canada, inutile de chercher un généraliste. Il faut plutôt chercher un médecin de famille. Ce n'est pas la seule différence entre la première ligne canadienne et la première ligne belge. Trois points saillants les différencient, estime le PrLise Cusson, directrice-adjointe du département de médecine de famille (MF) et de médecine d'urgence à l'Université de Montréal :1. La définition positive et forte de la médecine de famille, sur les plans académiques et professionnels, dans le système de santé canadien ;2. La pratique de groupe interprofessionnelle ;3. L'implication des patients dans l'amélioration de la qualité." Historiquement, suite à l'essor des connaissances scientifiques dans la première moitié du XXe siècle, l'engouement pour la spécialisation de la médecine relègue en arrière-plan le rôle du généraliste, le bon vieux médecin de famille ", explique le Pr Cusson. " En réaction au morcellement de l'approche des problèmes de santé, des médecins de famille s'unissent et créent, en 1958, le Collège des médecins de famille du Canada afin de faire valoir le rôle spécifique des médecins de famille et l'importance d'une approche globale de l'individu et du suivi longitudinal. La vision que la médecine générale n'est pas une pratique "par défaut" devient un moteur et c'est pour cela que l'on parle progressivement de la médecine familiale ou médecine de famille versus médecine générale. L'idée d'une formation spécifique à la médecine familiale vient alors de soi et des programmes de résidences sont créés progressivement à partir des années 70. "Cette vision a permis une affirmation positive de la médecine familiale, et, in fine, la MF souffre peu/moins d'une vision négative et le recrutement actuel ne rencontre pas de soucis particuliers. Cette définition de la médecine familiale est portée par la population, mais aussi adoptée par le politique et reconnue par les médecins spécialistes.Au départ, la réflexion sur la pratique interprofessionnelle a débuté dans les universités. Pour de nombreuses raisons, tantôt liées à une volonté d'amélioration continue de la qualité de la formation, tantôt aux évidences scientifiques qui pointaient déjà vers la pratique interprofessionnelle.S'il existe toujours des pratiques solistes au Canada, elles tendent à disparaître. Le nombre de médecins exerçant en solo n'est d'ailleurs pas connu. Le confort vie privée/vie professionnelle jouant un rôle majeur, sans doute, dans cette évolution, mais aussi le gouvernement, qui pousse (parfois de maladroitement ou de manière trop rigide) vers la pratique interprofessionnelle.Le manque d'accessibilité de la médecine de famille a sans doute également joué un rôle dans cette transition vers les pratiques groupées. " Il y avait, entre autres, un problème d'effectif de médecins de famille ", explique Lise Cusson. " D'autres professions ont donc saisi l'opportunité de répondre aux besoins non couverts, comme les infirmières en pratique avancée par exemple. " Une profession avec laquelle les médecins de famille ont parfois du mal, à cause d'un manque de collaboration et un sentiment de concurrence entre les prestataires de soins.Enfin, comme chez nous, les omnipraticiens canadiens craignent de perdre la plus-value relationnelle d'un suivi personnalisé entre un médecin et un patient. Dans une pratique groupée, celui est en effet morcelé entre plusieurs praticiens. " Cela est effectivement toujours en construction au Canada ", répond Lise Cusson. " Mais avec l'expérience acquise que la continuité relationnelle peut être partagée à une équipe-fixe-de patients et que la relation individuelle est tout de même conservée. Dans des situations de turn-over des soignants, le suivi par une équipe permet même de conserver une continuité des soins. Par ailleurs, les patients s'habituent assez bien à cette modalité de suivi par plusieurs. Une condition étant que ce " plusieurs " reste stable dans le temps. "Les universités sont réellement le moteur de la médecine générale au Canada. Ce sont également elles qui ont introduit la notion de patient comme " agent d'amélioration de la qualité des pratiques individuelles "et de l'organisation de ces pratiques, via la notion de " patient partenaire ". " Cela s'inscrit, d'une certaine manière, dans la continuité de l'approche centrée sur le patient et de la place accordée au patient dans ses soins ", détaille la Québecoise. " La communication professionnelle en santé, ou l'approche centrée sur le patient, fait partie du cursus de formation initiale à l'université depuis plus de 30 ans. "Le Canada bénéficie d'une sorte d'aura de succès. Mais il n'empêche que ce bon élève dans toutes les matières fait également face à des difficultés. C'est le cas, par exemple, de la pratique de la médecine familiale en milieu hospitalier. Une particularité canadienne qui date des années 80, moment où certains hôpitaux, plutôt ruraux, souffraient de l'absence de médecins spécialistes et où les médecins de famille palliaient cette carence. Mais aujourd'hui, ce risque de pénurie se retrouve au sein même de la première ligne. " Au Québec, à ce jour, les médecins de famille exercent à 40% de leur temps en établissement et 60% en première ligne... des pénuries sont à venir! ", s'inquiète Lise Cusson.Le problème d'accessibilité aux soins - majeur, particulièrement au Québec - s'ajoute à la pénurie des MF. Des mesures gouvernementales sont prises pour sortir les MF des hôpitaux. Mais le gouvernement local rencontre une résistance auprès de la profession.Pour terminer, un problème commun aux deux pays : l'informatisation des données médicales. Elle soulève les mêmes questions éthiques en lien avec la protection de la vie privée des communications électroniques entre patient et soignant. Un peu à l'image de la Belgique, l'informatisation de la médecine de famille se réalise par le biais de logiciels métiers différents, avec peu de compatibilité entre eux et un manque de transfert ou de partage de l'information. Gageons qu'en Belgique, Medispring et Toppaz arrivent en fin d'année avec la promesse (tenue ?) d'une interopérabilité garantie.Sources :Module La médecine générale, ici et ailleurs, 21 avril 2018. Cours préparatoire à la spécialisation en médecine générale dispensé par Jean-Luc Belche, département de médecine générale de l'Université de Liège.