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Depuis des années, le Dr Gert Van den Bogaert cherche à peaufiner et à améliorer la technique d'ostéotomie. Jusqu'il y a peu, c'était un travail laborieux qui nécessitait un savoir-faire particulier, presque "artisanal". Il énumère les divers avantages des implants spécifiques aux patients. Le Dr Frederik Verstreken, chirurgien de la main, évoque quelques autres applications 3D en orthopédie, et plaide en faveur de leur remboursement. "On ne peut plus ignorer que cette technologie est le présent et l'avenir."En cas d'arthrose isolée à un compartiment du genou, une correction axiale doit réaligner l'axe mécanique1 de la jambe pour diminuer la charge sur le compartiment dégénératif. L'ostéotomie tibiale consiste à réaliser une incision juste au-dessus ou en-dessous du genou. La tranche de section osseuse est ouverte jusqu'à obtenir un angle de correction (préalablement calculé), remplie d'un greffon ou d'un substitut osseux, puis stabilisée par une plaque et des vis. Or, la popularité de cette méthode a pris un sérieux coup lorsque la prothèse du genou est arrivée sur le marché: bien moins complexe sur le plan technique et avec un résultat postopératoire plus prévisible. Mais au fil du temps, on a constaté que le genou artificiel était lui aussi sujet à l'usure et que les prothèses pouvaient en plus s'infecter. La gonarthrose unilatérale se manifestant de plus en plus souvent à un jeune âge, l'ostéotomie a trouvé un nouvel élan ces dernières décennies. Il fallait toutefois simplifier la procédure et la rendre plus précise. "Au départ, nous nous sommes concentrés sur la mise au point des instruments chirurgicaux existants", explique le Dr Van den Bogaert. "En tant que chirurgien, on essaie toujours de peaufiner ce qu'on connaît, ce qu'on fait depuis des années. Parfois, il est utile de voir les choses sous un angle différent."Aux côtés d'une équipe d'ingénieurs, supervisés par le professeur Maurice Mommaerts, et avec son confrère chirurgien du genou, le Dr Winnock de Grave (Roulers), il a examiné le problème sous l'angle 3D. Leur approche a abouti à la création d'un implant spécifique au patient, dont la forme unique permet une correction parfaite de l'axe. Le guide de coupe associé permet de réaliser l'incision osseuse exactement à l'endroit prévu. "Par le passé, nous avions déjà étudié la corrélation entre l'angle de correction prévu et la correction réelle (post-ostéotomie). La variabilité s'est avérée considérable: la courbe de Gauss était assez large et comportait des valeurs aberrantes. L'objectif principal ici était donc d'améliorer la précision", ajoute le Dr Van den Bogaert. Dans un premier temps, il a effectué des tests et s'est entraîné sur des cadavres. En juin, il a opéré avec succès le premier patient à l'hôpital de la Citadelle à Liège. L'implant imprimé en 3D offre toute une série d'avantages. "Le principal atout, c'est la grande précision: l'implant en soi garantit un angle d'écartement exact. Son ancrage solide dans l'ouverture de l'os rend superflue une plaque de fixation supplémentaire. Celle-ci se révélait souvent gênante et devait être enlevée dans un second temps. On évite ainsi au patient de devoir subir une deuxième opération", explique le Dr Van den Bogaert. "De plus, cette méthode est beaucoup moins technique, ce qui réduit aussi considérablement le temps d'intervention. Les plaies et les cicatrices sont plus petites. Et comme nous n'utilisons pratiquement plus de fluoroscopie pendant l'intervention, tant le patient que le personnel sont beaucoup moins exposés aux rayons X", poursuit le Dr Van den Bogaert. "Le fait de se passer de la banque d'os est un avantage supplémentaire, car l'utilisation des greffes osseuses est de plus en plus réglementée de nos jours."Il reste toutefois prudent. "Il est dangereux et prématuré de déjà tirer des conclusions. En plus, venant de moi, elles ne paraîtront pas très objectives. (Rires.) Mais deux jours après l'ostéotomie bilatérale, le patient en question marchait déjà assez bien, et la radiographie postopératoire a montré une correction axiale parfaite. En raison de sa simplicité et de sa précision, cette technique pourrait élargir les indications de l'ostéotomie."La technologie 3D n'est pas que positive. "Elle a un prix considérable et, pour l'instant, les patients n'ont pas droit au remboursement", dit le Dr Van den Bogaert. De plus, la planification et la production, qui doivent se faire à l'avance et qui prennent du temps, peuvent être un frein. "En tout, il faut compter un mois entre la consultation avec le patient et la livraison du produit dans la pharmacie hospitalière. Un inconvénient qui n'est pas insurmontable puisqu'une telle intervention ne se fait de toute façon jamais sur-le-champ", note le spécialiste du genou. "Un dernier bémol potentiel de cette technique est que nous bloquons une partie de la croissance osseuse verticale, là où nous fixons l'implant", commente le Dr Van den Bogaert. "Mais on ne s'attend pas à ce que cela pose problème. D'une part, la masse osseuse qui reste est amplement suffisante pour assurer la stabilité et, d'autre part, l'implant est conçu de telle manière qu'il n'est pas nécessaire de le retirer. Même si, un jour, le patient aurait quand même besoin d'une prothèse de genou."À la clinique AZ Monica d'Anvers, on va encore plus loin: on y imprime en 3D dans l'hôpital même. "Cela rend le tout plus flexible. Pour la plupart des applications, nous n'avons pas besoin de faire appel à des tiers. Nous avons d'ailleurs un ingénieur à l'hôpital, et bientôt un deuxième, qui nous aide à planifier et à dessiner", dit le Dr Frederik Verstreken. En tant que chirurgien de la main et du poignet, il s'intéresse aux techniques 3D en orthopédie depuis 2009. Initialement, la technologie était utilisée pour corriger des fractures du poignet mal consolidées (cal vicieux). "L'image miroir du bras 'sain' nous sert de modèle", explique le chirurgien. "Avec les ingénieurs, nous définissons ensuite les endroits exacts où scier et percer, et comment assembler les pièces. Ensuite, nous concevons et imprimons des instruments et des accessoires sur mesure." Ceux-ci servent de référence lors de l'opération et permettent de réaliser la correction planifiée. "Les résultats ne sont pas simplement bons, ils sont excellents", ajoute le Dr Verstreken. Ils sont si bons qu'on utilise désormais la même technique pour les traumatismes aigus. "Nous imprimons des modèles 3D (des images CT) des fractures complexes. Cela fait qu'il n'y a plus aucune surprise sur la table d'opération. Nous pouvons regarder, à l'avance, à l'intérieur de l'articulation, et nous planifions tout dans les moindres détails", précise le Dr Verstreken. L'imprimante 3D utilise une poudre agréée pour un usage médical et imprime avec une précision de 1/100 mm. Pour les implants ou prothèses sur mesure en titane, l'hôpital fait appel à des partenaires tels que Materialise et CADskills. Le Dr Verstreken insiste sur les nombreux avantages de cette technologie. "Elle rend nos opérations beaucoup plus précises, plus rapides, plus prévisibles et plus simples sur le plan technique. Le patient a une meilleure fonction et risque moins de complications. Les gens sont plus rapidement remis sur pied et de retour au travail. Avec ce que nous savons aujourd'hui, il est difficile de justifier une autre façon de procéder."Mais après, il y a le prix... Il y a l'imprimante même, il y a les licences logicielles (qui coûtent près de 20.000 euros/an) et les ingénieurs qui travaillent sur les cas. "Nous attendons le remboursement de l'Inami, mais notre dossier est dans l'impasse depuis un bon moment. Il y a quelque temps, un patient a dû mettre en place un crowdfunding pour pouvoir payer son opération. Cela ne devrait pas exister dans un pays comme la Belgique", estime le Dr Verstreken. "Dans le domaine de la chirurgie, la 3D est un outil vaste et polyvalent", poursuit-il. "Avec mes collègues chirurgiens du genou, de l'épaule, du coude et du dos, nous avons recours à cette technologie quasiment au quotidien. Comme nous sommes le premier service d'orthopédie en Belgique (et l'un des seuls en Europe) à disposer d'un laboratoire aussi bien organisé, nous recevons chaque semaine des demandes de médecins qui souhaitent venir y jeter un coup d'oeil."Il y a quelques semaines, le Dr Verstreken a assisté au Congrès mondial de la chirurgie de la main2: entre 20 à 30% des projets de recherche en cours portent sur la technologie 3D. "Actuellement, il ne s'agit plus d'une activité en pleine expansion, mais d'une activité qui explose. Les gens l'ont enfin compris: la 3D est l'avenir", conclut le Dr Verstreken.