Pierre Maurage, Alexandre Heeren et Mauro Pesenti, chercheurs à l'Institut de recherches en sciences psychologiques de l'UCL, ont rédigé un article scientifique dans lequel ils mettent en garde contre les dangers liés à la simplification des résultats scientifiques en vue de leur diffusion vers un large public. Les auteurs ont pris, pour illustrer leur propos, un article du New England Journal of Medicine qui établissait une corrélation entre intelligence élevée et consommation de chocolat.
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Dans cet article intitulé " Chocolate consumption, cognitive function, and Nobel laureates ", le professeur F.H. Messerli rapportait une corrélation forte entre la consommation de chocolat et le nombre de lauréats du prix Nobel dans 23 pays. Selon cet article, ce lien pourrait s'expliquer par le fait que le cacao est riche en flavanols, dont l'action anti-oxydante aurait un effet positif sur les fonctions cognitives. Sur cette base, l'auteur concluait que le chocolat pourrait améliorer les fonctions cognitives dans l'ensemble de la population et qu'accroître la consommation de chocolat augmenterait le nombre de prix Nobel.Plus spécifiquement, l'article des trois chercheurs de l'UCL insiste sur trois messages centraux. Tout d'abord, le fait que la concentration élevée en flavanols dans le cacao ne permet pas d'expliquer la corrélation entre consommation de chocolat et nombre de prix Nobel. Les chercheurs UCL ont réussi à démontrer qu'aucune corrélation n'existe au sein des mêmes 23 pays entre d'autres aliments très riches en flavanols (en l'occurrence le thé et le vin rouge) et le nombre de prix Nobel, ce qui invalide l'hypothèse avancée dans l'article original. Ce résultat montre également la nécessité de corroborer une proposition par des analyses complémentaires avant de la diffuser à large échelle, même si elle semble a priori plausible. Ensuite, une corrélation entre deux variables n'implique jamais une causalité. En d'autres termes, la corrélation entre consommation de chocolat et nombre de prix Nobel ne signifie pas qu'un lien réel existe entre ces variables, ni qu'une des variables influe sur l'autre. Pour prouver ce principe par l'absurde, les chercheurs UCL ont montré une corrélation entre le nombre de prix Nobel obtenus et le nombre de magasins IKEA au sein des 23 pays. Bien que cette corrélation soit encore plus forte que celle avec le chocolat, elle semble totalement fortuite et ne repose sur aucune relation causale. En effet, il serait farfelu de supposer qu'IKEA limite son marché aux pays ayant obtenu beaucoup de prix Nobel, ou à l'inverse que la nécessité de comprendre et d'appliquer les instructions de montage des meubles IKEA conduit à augmenter le niveau d'intelligence de la population d'un pays (et pourrait ainsi augmenter son nombre de prix Nobel). Enfin, la corrélation entre deux variables peut ne pas être due à un lien direct entre elles, mais plutôt au fait qu'elles sont toutes deux liées à une troisième variable. Ainsi, les chercheurs UCL montrent que tant la consommation de chocolat que le nombre de prix Nobel d'un pays sont fortement corrélés au produit intérieur brut de ce pays, c'est-à-dire à son niveau de développement économique. Cela suggère que la corrélation observée dans l'article initial pourrait être en partie expliquée par le fait que le chocolat, qui constitue un produit de luxe, serait davantage consommé dans les pays où le développement économique permet un financement optimal du système éducatif et de la recherche scientifique (ce qui augmente la probabilité d'obtenir des prix Nobel). Le développement économique d'un pays pourrait donc être une variable latente expliquant le lien observé entre chocolat et prix Nobel. L'article des chercheurs UCL souligne la nécessité d'interpréter correctement les résultats scientifiques avant de les diffuser vers un public large et non expert, puisque le risque de surinterprétation ou d'interprétation erronée est toujours présent lorsqu'une découverte scientifique est réduite à un simple message percutant. Identifier les limites inhérentes aux données présentées et spécifier les implications correctes qui peuvent en être tirées est un préalable indispensable à la publication de messages ayant un fort impact potentiel sur les comportements du consommateur et la santé publique.L'article de Pierre Maurage, Alexandre Heeren et Mauro Pesenti est paru dans le Journal of Nutrition.