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Selon Wim Distelmans, oncologue et professeur en médecine palliative (UZ Brussel/VUB), les deux fonctionnent en vases communicants. Il plaide dès lors en faveur d'un enregistrement obligatoire de la sédation palliative. "Il existe quelques différences fondamentales entre les deux. Avant tout, la sédation palliative est exclusivement réservée aux patients en phase terminale. Les recommandations de la KNMG (société royale néerlandaise de médecine) indiquent une espérance de vie estimée de maximum 2 semaines," explique le Pr Distelmans: "Il existe aussi une différence d'intention. Si l'euthanasie vise l'interruption de vie, ce n'est pas le cas de la sédation palliative: son but est de délivrer le patient en phase terminale d'une souffrance insupportable en lui administrant une dose de sédatifs proportionnelle au degré de douleur, jusqu'à son décès spontané des suites de sa maladie. Par ailleurs, l'euthanasie ne peut être pratiquée qu'à la demande expresse du patient, alors que dans la sédation palliative, le médecin peut décider seul si le patient n'est plus à même de communiquer. L'obtention d'une analgésie et/ou d'une sédation fait dès lors partie des droits humains, donc du patient. Puisque le médecin n'a pas obligation de l'enregistrer, la sédation palliative peut aussi être mise en place par une infirmière, sous la supervision du médecin, et un deuxième avis n'est pas nécessaire." Dans la pratique, le Pr Distelmans cite quelques difficultés qui créent un certain flou sur la frontière entre sédation palliative et euthanasie. "La première réside dans l'évaluation correcte de l'espérance de vie. Les recommandations préconisent 2 semaines, ce qui correspond à la période durant laquelle une personne peut survivre sans manger ni boire. Sachant que l'apport nutritif et hydrique est stoppé lors d'une sédation palliative, la procédure n'aurait donc aucune influence sur le moment du décès. Mais, en réalité, il est impossible d'évaluer correctement une espérance de vie exacte de 2 semaines. Et quand bien même: imaginons que vous puissiez évaluer correctement l'espérance de vie et que vous vous retrouviez face à une personne qui a encore un mois à vivre, par exemple, et qui souffre le martyre. Vous devriez donc la laisser souffrir 2 semaines de plus avant d'intervenir! Une deuxième difficulté concerne la dose de sédatifs à administrer, qui doit être proportionnelle au degré des symptômes impossibles à traiter. Comment mesurer et suivre le degré de souffrance d'un patient comateux? La méthode utilisée actuellement est purement clinique et repose sur le contrôle de certains réflexes, ce qui est insuffisant. Les fonctions vitales ne sont pas observées en permanence. Sans oublier qu'un grand nombre de personnes développent une accoutumance aux sédatifs: leur dose doit donc être augmentée au fil de la sédation, faute de quoi le patient risque de se réveiller. De ce fait, les praticiens désireux de 'bien' sédater auront peut-être tendance à administrer une dose un peu trop élevée. La combinaison de ces difficultés - d'une part la difficulté d'estimer l'espérance de vie et d'évaluer la dose nécessaire au regard du degré de souffrance, entraînant l'administration d'une dose trop élevée, et d'autre part l'interruption de l'apport nutritif et hydrique - a bel et bien une influence sur le moment du décès. La sédation palliative aboutit donc souvent à raccourcir la durée de vie, la seule différence étant l'intention du médecin. Qui plus est, les produits utilisés sont les mêmes que pour l'euthanasie: le midazolam, une benzodiazépine dont la dose et l'effet connaissent une énorme variabilité interindividuelle. Et, si le midazolam s'avère insuffisant, il peut passer au propofol, un anesthésique. Enfin, si ce dernier ne donne pas de résultat suffisant, il peut encore administrer une faible dose de barbiturique." "Depuis l'entrée en vigueur de la loi sur l'euthanasie en 2002, le nombre de décès par sédation palliative a augmenté d'au moins 50% en Belgique. Cela s'explique peut-être par une vigilance accrue des médecins face aux souffrances inutiles des patients en phase terminale. Mais elle est sans conteste également liée aux demandes d'euthanasie non rencontrées, ainsi qu'aux interruptions de vie pratiquées de manière intentionnelle, sans demande expresse du patient. Une récente étude menée à l'UZ Brussel/VUB révèle en effet qu'on débute souvent par une sédation palliative, mais que l'intention peut évoluer au fil de la procédure vers une volonté d'euthanasie1. En outre, selon certains indicateurs, il y aurait beaucoup plus de sédations palliatives du côté francophone que du côté néerlandophone du pays. À l'inverse, 80% des euthanasies enregistrées sont réalisées en Flandre. Une étude sociologique nous apprend qu'il s'agit là d'une conséquence de différences de culture, principalement dans le chef des médecins. La sédation palliative et l'euthanasie sont donc deux vases communicants. En plus de cela, les études montrent que la sédation palliative n'est mise en place à la demande du patient que dans 10% des cas en Belgique. Dans les 90% restants, c'est donc le médecin qui prend la décision de l'instaurer. Et dans 70% de ces 90%, le patient n'en a pas été informé ou n'a pas pu en être informé, car il était devenu incapable d'exprimer sa volonté2." Le Pr Distelmans plaide dès lors en faveur d'un enregistrement obligatoire des sédations palliatives. "Il arrive encore que de mauvais produits soient utilisés pour la sédation. Une obligation d'enregistrement permettrait d'y apporter plus de clarté. En effet, la sédation palliative est proportionnellement plus pratiquée par des médecins qui n'ont pas ou peu d'expérience dans les soins palliatifs. La consultation obligatoire d'un médecin EOL ou d'une équipe de soins palliatifs expérimentée dans l'évaluation des souffrances insupportables y aurait donc sa place. Enfin, un enregistrement obligatoire offrirait aussi une sécurité juridique au médecin concerné3." À la demande du Pr Distelmans, l'UZ Brussel a d'ores et déjà mis en place un système d'enregistrement obligatoire des sédations palliatives au sein de l'établissement.