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Cette édition de BOhN détaille quelques présentations importantes relatives aux patientes atteintes d'un cancer du sein à récepteurs hormonaux positifs (HR+). Le prochain numéro de BOhN (mars 2022) vous proposera un résumé du Post San Antonio Meeting organisé par l'Institut Bordet, en collaboration avec la BSMO.On sait que le tamoxifène réduit d'un tiers la mortalité à 15 ans due au cancer du sein en cas de maladie ER+. Les inhibiteurs de l'aromatase (IA) sont plus efficaces que le tamoxifène (TAM) chez les femmes postménopausées. En revanche, ils ne sont pas efficaces chez les femmes préménopausées. La question est de savoir si les IA pourraient aussi être bénéfiques chez les femmes préménopausées si elles étaient également traitées par suppression ovarienne. C'est en vue de répondre à cette question que Bradley et coll. ont conduit une méta-analyse sur les données de patientes individuelles extraites de 4 études. Au total, 7030 femmes préménopausées atteintes d'un cancer du sein ER+ à un stade précoce et qui recevaient un traitement par suppression ovarienne ont été randomisées pour recevoir un inhibiteur de l'aromatase ou du tamoxifène. Les femmes ont été traitées pendant 3 ans (étude ABCSG-12) ou pendant 5 ans (études SOFT, TEXT et HOBOE). Le suivi médian était de 8,0 ans. Sur les 7030 femmes étudiées, 40% avaient des ganglions positifs.Les critères d'évaluation principaux de cette méta-analyse étaient le délai jusqu'à la récidive de cancer du sein invasif (à distance, locorégional ou nouveau cancer du sein primitif controlatéral) ou le décès dû au cancer du sein. Quand on compare le TAM aux IA, le taux de récidive à 5 ans s'élève respectivement à 10,1% et 6,9% et celui à 10 ans, à 17,5% et 14,7%. Le taux annuel de récidive était en moyenne 21% plus faible avec les IA qu'avec le TAM (intervalle de confiance (IC) à 95%: 0,69-0,90 ; p = 0,0005). Le plus grand bénéfice pour les IA était observé durant les années 0 à 4, la période au cours de laquelle les patientes recevaient effectivement un autre traitement, moyennant un ratio de 0,68 (IC à 99%: 0,58-0,80). Durant les années 5 à 9, les investigateurs n'ont noté ni bénéfice ni perte de bénéfice (RR: 0,98 ; IC à 99%: 0,73-1,32). Les données de suivi après l'année 10 étaient limitées. Le taux de récidive à distance était également plus faible avec les IA, moyennant un ratio de 0,83 (IC à 95%: 0,71-0,97 ; p = 0,02). Après 10 ans, le risque absolu de récidive de cancer du sein était 1,9% plus faible dans le groupe IA par rapport au groupe TAM (12,1% vs 10,2%). Le décès dû au cancer du sein connaissait toutefois des chiffres comparables dans les deux groupes.Le Pr Bradley a conclu que l'utilisation d'un inhibiteur de l'aromatase au lieu du tamoxifène chez les femmes préménopausées sous suppression ovarienne diminue d'environ 21% le risque de récidive de cancer du sein et réduit de 17% le risque de récidive à distance. Aucun effet n'a été observé sur la mortalité due au cancer du sein, pas plus que sur la survie globale. Une analyse plus poussée de cet effet nécessite un suivi à long terme.Dans la foulée de l'étude précédente, le Pr Regan a présenté une mise à jour des études TEXT et SOFT. Démarrées en 2003 parmi une population de femmes préménopausées atteintes d'un cancer du sein HR+ à un stade précoce, les deux études visaient à examiner la pertinence d'ajouter - en première instance - une suppression ovarienne au traitement par TAM, en particulier chez les femmes qui restent en préménopause après une chimiothérapie. (SOFT) Les investigateurs y ont également étudié si l'IA exémestane apportait plus de bénéfices que le TAM. (SOFT & TEXT). Les résultats de ces études avaient déjà été présentés et publiés après un suivi médian de 5 et 8 ans. D'après ceux-ci, l'ajout d'une SFO au TAM réduisait tant le risque de récidive que le risque de décès. Le risque de récidive, mais pas celui de décès, était encore davantage réduit avec l'exémestane (EXE) en association avec une SFO qu'avec l'association TAM + SFO. Dans la mise à jour actuelle, le suivi médian était de 12 et 13 ans, respectivement, pour les études SOFT et TEXT, et 76% des patientes étaient toujours en vie. La figure ci-dessus illustre une nouvelle fois les critères d'inclusion et le plan des deux études.Après un suivi médian de 12 ans, l'étude SOFT montre que l'ajout d'une SFO au TAM produit, par rapport au TAM seul, une réduction absolue du risque de récidive à distance de l'ordre de 1,4% (HR: 0,90 ; IC à 95%: 0,71 - 1,14) et du risque de décès de l'ordre de 2,3% (HR: 0,78 ; IC à 95%: 0,60 - 1,01). Par rapport au TAM seul, l'ajout d'une SFO au traitement par EXE démontre une réduction absolue du risque de récidive à distance de 3% (HR: 0,75 ; IC à 95%: 0,59 - 0,97) et du risque de décès de 2,6% (HR: 0,80 ; IC à 95%: 0,62 - 1,04). Si on compare l'association SFO + TAM à la combinaison SFO + EXE (SOFT & TEXT), on note un avantage en faveur de la bithérapie SFO + EXE avec un suivi médian de 12 ans, moyennant une réduction absolue du risque de récidive de 1,8% (HR: 0,83 ; IC à 95%: 0,70 - 0,98) et une réduction absolue du risque de décès de 1% (HR: 0,93 ; IC 95%: 0,78 - 1,11). Si on examine le groupe de patientes qui n'avaient pas reçu de chimiothérapie préalable, on remarque qu'après 12 ans, plus de 95% de ces patientes sont toujours en vie et que l'ajout d'une SFO au traitement par TAM ou par EXE ne s'accompagne d'aucun gain notable. Toutefois, quand on envisage le groupe de patientes qui avaient reçu une chimiothérapie et qui étaient 57% à présenter des ganglions positifs, on remarque que l'ajout d'une SFO au TAM entraîne une réduction absolue de 2,6% du risque de récidive à distance et de 4,7% du risque de décès. Le même constat est posé pour l'ajout d'une SFO au traitement par EXE, avec une réduction respective 4,5% et 4%. La diminution du risque de récidive avec l'association EXE + SFO, par rapport à la combinaison TAM + SFO, est comparable à ce qui est observé chez les patientes postménopausées. La différence est considérable parmi les patientes à haut risque. Pour les patientes atteintes d'un cancer du sein HER2- qui recevaient aussi une chimiothérapie, le bénéfice de survie pour l'association EXE + SFO était ainsi de 3,3% lors d'un suivi de 12 ans.Le Pr Regan a conclu que cette analyse des études SOFT et TEXT, avec un suivi de 12 ans, confirment que l'ajout d'une SFO au traitement par TAM ou EXE corrobore la réduction relative du risque de récidive et du risque de décès. Les patientes à haut risque tirent clairement plus de bénéfice de l'ajout d'une SFO. Plus tôt dans l'année, une analyse antérieure de MONALEESA-2 - une étude de phase 3 randomisée et en double aveugle - révélait déjà que l'association de ribociclib (RIBO) et de létrozole (LET) augmentait significativement la survie globale (SG) en comparaison de l'association placebo + LET chez des femmes postménopausées atteintes d'un cancer du sein HR+/HER2- avancé. La SG médiane était de 63,9 mois pour l'association RIBO + LET vs 51,4 mois pour la combinaison placebo + LET. (HR: 0,76 ; IC à 95%: 0,63 - 0,93 ; P = 0,004) [Hortobagyi et al., ESMO 2021. Abstract LBA17_PR]. Pendant le SABCS 2021, le Pr O'Shaughnessy a présenté une analyse exploratoire de la SG des patientes de cette étude MONALEESA-2 en sous-groupes définis en fonction de la localisation des métastases, du nombre de sites métastatiques et du traitement antérieur.Les graphiques ci-dessous montrent un bénéfice de survie dans tous les sous-groupes pour les patientes traitées par RIBO + LET vs placebo + LET. Les sous-groupes examinés étaient définis par les métastases dans les os, les métastases dans le foie, le nombre de sites métastatiques (plus ou moins de 3) et la présence ou l'absence d'une chimiothérapie antérieure.Un bénéfice de survie a été observé, tant après 5 ans qu'après 6 ans, pour les patientes traitées par RIBO + LET.Le Pr O'Shaughnessy en a conclu que cette analyse de sous-groupes de l'étude MONALEESA-2 a, elle aussi, démontré une survie globale améliorée pour l'association RIBO + LET en première ligne, par rapport au placebo + LET, chez des femmes postménopausées atteintes d'un cancer du sein HR+/HER2- avancé, indépendamment de la localisation des métastases, du nombre de métastases et de la présence ou de l'absence d'une chimiothérapie (néo)adjuvante antérieure.Le Pr Bardia a présenté une intéressante étude de phase 3 avec un 'nouveau' produit hormonal. Plusieurs centres belges (UZ Leuven, CHU UCL Namur et Institut Jules Bordet) ont d'ailleurs participé à cette étude. L'association hormonothérapie + inhibiteur de CDK4/6 est l'actuel traitement de référence en première ligne pour les femmes atteintes d'un cancer du sein métastatique (CCm) ER+/HER2-. Néanmoins, la plupart des patients avec CCm ER+ développent à terme une progression de la maladie, développant parfois aussi des mutations du gène ESR1 (mESR1). Dans ce contexte post-inhibiteur de CDK4/6, nous remarquons qu'une monothérapie hormonale (p. ex. fulvestrant) ne donne qu'une survie sans progression médiane (SSPm) d'environ 2 mois. La nécessité d'un meilleur traitement endocrinien pour les patientes avec CCm ER+/HER2- est donc criante.L'élacestrant (ELA) est un agent de dégradation sélectif des récepteurs aux oestrogènes (SERD) à usage oral, qui bloque les ER et qui inhibe tant l'induction de la transcription génique dépendante de l'estradiol que la prolifération des cellules dans les lignées cellulaires de CC ER+. [Bihani. Clin Cancer Res. 2017; 23:4793]. En monothérapie, l'ELA a montré une certaine efficacité (y compris des réponses partielles (RP) confirmées) dans une étude de phase I chez des femmes postménopausées avec CCm ER+/HER2- ayant déjà subi de lourds traitements auparavant. Une réponse était observée chez des patientes déjà traitées antérieurement par le fulvestrant et un inhibiteur de CDK4/6, ainsi que chez des patientes atteintes d'une affection qui renferme des mutations du gène ESR1. [Bardia. JCO. 2021; 39:1360] L'étude de phase 3 EMERALD a évalué l'efficacité et l'innocuité d'une monothérapie par ELA chez des patientes CCm ER+/HER2- déjà traitées antérieurement. Les patientes incluses dans l'étude ont connu une progression après 1-2 lignes d'endocrinothérapie pour maladie avancée, dont 1 ligne avec un inhibiteur de CDK4/6. Elles pouvaient aussi avoir reçu 1 ligne de chimiothérapie pour leur maladie avancée. L'étude a randomisé 477 patientes entre 400 mg d'ELA par jour et un traitement hormonal au choix de l'investigateur (fulvestrant, anastrozole, létrozole, exémestane). Les critères d'évaluation principaux étaient la SSP dans la population totale de patientes et la SSP dans le groupe mESR1.D'après les caractéristiques des patientes, la moitié environ des patientes randomisées était porteuse d'une mutation du gène ESR1. La majorité des patientes avaient reçu au moins un traitement hormonal antérieur et seul un quart d'entre elles avait aussi reçu une chimiothérapie dans le contexte métastatique.L'ELA a montré une amélioration statistiquement significative et cliniquement pertinente de la SSP en regard de l'actuel traitement de référence chez les patientes avec cancer du sein ER+/HER2- métastatique après un traitement par un inhibiteur de CDK4/6. L'ELA a démontré une réduction de 30% du risque de progression ou de décès chez ces patientes. Dans le groupe de patientes mESR1, la diminution du risque de progression atteignait même les 45%! La comparaison entre l'ELA et le fulvestrant (FUL) a confirmé les résultats décrits ci-dessus. L'ELA a montré une SSP médiane de 2,79 mois, contre 1,94 mois pour le FUL, dans la population totale. (HR: 0,684 ; IC 95%: 0,521 - 0,897 ; P = 0,0049). Dans le groupe de patientes porteuses d'une mutation du gène ESR1, la SSP médiane était de 3,78 mois pour les patientes sous ELA vs 1,87 mois pour les patientes sous FUL. (HR: 0,504 ; IC 95%: 0,341 - 0,741 ; P = 0,0005). À l'heure actuelle, il n'est pas encore possible d'observer de différence statistiquement significative pour la SG, bien qu'une tendance en faveur de l'ELA se dessine déjà tant dans la population totale que dans le groupe mESR1. Une analyse finale aura lieu fin 2022/début 2023.L'ELA est très bien toléré. Un petit 7,2% de la population traitée par ELA a présenté un effet indésirable lié au traitement de grade 3 ou 4. Le traitement a dû être interrompu chez 6,3% seulement des patientes sous ELA vs 4,4% des patientes sous le traitement de référence.Le Pr Bardia a conclu que l'élacestrant est le premier SERD oral capable de démontrer un bénéfice statistiquement significatif en comparaison du traitement de référence chez des patientes atteintes d'un cancer du sein ER+/HER2- métastatique après un traitement antérieur par un inhibiteur de CDK4/6.