Le 14 décembre 2021, l'UZ Leuven - certifié ENETS Center of Excellence depuis 2010 - a organisé le webinaire "NET near to your heart" en collaboration avec Ipsen et Roularta HealthCare. Le Pr Eric Van Cutsem (UZ Leuven) a modéré les sessions interactives. Trois intervenants y ont partagé leur expérience en matière de SC.
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Le Pr Chris Verslype (UZ Leuven) s'est ainsi penché sur le SC et le contrôle hormonal ; le Dr Timmermans (Virga Jesse Ziekenhuis Hasselt/UZ Leuven), sur la cardiopathie carcinoïde ; et le Pr Christophe Deroose, sur la thérapie par radionucléides des récepteurs peptidiques (PRRT) pour le SC. Les néoplasies neuroendocrines (NNE) proviennent de cellules entérochromaffines du système neuroendocrinien diffus. D'un point de vue histologique, elles se subdivisent en tumeurs neuroendocrines (TNE) bien différenciées et en carcinomes neuroendocrines (CNE) mal différenciés. L'incidence et la prévalence des TNE augmentent lentement, du fait de la détection de la maladie à un stade précoce et d'une survie plus longue, principalement pour les TNE gastro-intestinales et pancréatiques (1-2). Les TNE ont des récepteurs de la somatostatine (RSS), ce qui offre des possibilités diagnostiques et thérapeutiques. Elles peuvent également sécréter des hormones, ce qui peut donner lieu à un syndrome hormonal. Toutes les NNE ne sont pas fonctionnelles. Leur prévalence au sein des TNE est de 19 à 35%. Elles surviennent lors de TNE gastro-intestinales avec métastases hépatiques et, dans de rares cas, la cause en est une localisation rétropéritonéale, ovarienne, testiculaire ou pulmonaire. Les TNE produisent plusieurs amines et peptides bioactifs, en particulier la sérotonine, la bradykinine, la tachykinine et l'histamine. Lorsqu'ils sont libérés dans la circulation systémique, ils provoquent un syndrome carcinoïde (SC). Dans la circulation porte, ils sont inactivés par le foie. Les symptômes du SC sont la diarrhée de type sécrétoire, le flushing et le bronchospasme. Les symptômes, en particulier la diarrhée, s'accompagnent d'une détérioration de la qualité de vie. Le labo révèle une valeur augmentée de sérotonine ou de son métabolite, l'acide 5-hydroxy-indol-acétique, dans les urines (valeur seuil pour le diagnostic de SC: > 50 mol/24 h). Les patients atteints d'un SC ont une espérance de vie moins bonne que les patients souffrant d'une TNE non fonctionnelle (4,7 ans vs 7,1 ans) (3).Le Pr Verslype a détaillé une méta-analyse (4) des études qui ont évalué l'efficacité des traitements des symptômes liés au SC. Il a relevé l'existence de 6 essais randomisés centrés sur ce syndrome, et ce non seulement sur le nombre de réponses, mais aussi sur leur durée. La réponse était définie par une réduction > 30-50% des symptômes ou une diminution de l'excrétion de 5-HIAA. Les analogues de la somatostatine (ASS) octréotide et lanréotide constituent le traitement de première intention et produisent une amélioration des symptômes chez 65-72% des patients ainsi qu'une réponse biochimique chez 45-46% des patients. (Fig. 1) La tolérance est bonne et le traitement a aussi un effet antiprolifératif. Le SC est considéré comme réfractaire si les symptômes ou l'excrétion de 5-HIAA augmentent en dépit du traitement par la dose maximale approuvée d'ASS, après exclusion d'autres causes expliquant les diarrhées. Le traitement dépend de la gravité des symptômes, de l'évolution de la tumeur et de sa localisation. Une concertation multidisciplinaire est nécessaire en vue de faire la balance entre traitement locorégional et traitement systémique. Les traitements locorégionaux consistent en une embolisation transartérielle, une radiothérapie interne sélective ou une chirurgie de réduction tumorale. Parmi les options systémiques, le Pr Verslype a retenu l'optimisation de la dose d'ASS, la PRRT, le télotristat et l'évérolimus. Un traitement ciblant le foie a permis d'améliorer les symptômes chez 80% des patients atteints d'une maladie à dominante hépatique. L'inhibiteur de la synthèse de la sérotonine éthyle de télotristat a réduit la fréquence des selles chez 40% des patients avec diarrhée réfractaire aux analogues de la somatostatine. Le télotristat n'a pas eu d'influence sur les bouffées de chaleur, confirmant que ce symptôme n'est pas causé par la sérotonine, mais par les tachy/bradykinines (5). L'interféron alpha a contrôlé les symptômes du SC dans 45 à 63% des cas, mais il n'est pas disponible en Belgique. Les symptômes d'une crise carcinoïde sont le rougissement soudain, l'instabilité hémodynamique (surtout l'hypotension), la diarrhée et les bronchospasmes oppressifs. La crise carcinoïde est une exacerbation grave et potentiellement mortelle du SC. L'hypothèse avancée est qu'une libération massive d'hormones vasoactives par les cellules NNE déclenche une crise, mais ce n'est pas prouvé. Une crise carcinoïde peut survenir malgré les mesures prises pour l'éviter, comme l'a souligné le Pr Verslype. Les patients atteints d'un SC risquent d'en développer une pendant les examens de petite ou de grande envergure ou pendant d'autres interventions. Le schéma idéal et la dose d'octréotide à administrer en prévention d'une crise carcinoïde ne sont pas clairement établis. Le traitement préventif se compose d'ASS à courte durée d'action ou d'une perfusion continue d'octréotide. Pour la PRRT, un schéma de prévention spécifique est indiqué. Le traitement optimal reste également sujet à controverse et l'efficacité des ASS dans cette situation n'est pas bien connue non plus. En cas de crise carcinoïde, les recommandations préconisent l'administration intraveineuse d'ASS à forte dose. Si le patient est hypotendu, l'administration d'une solution d'hydratation, de corticoïdes, de vasopressine et de phényléphrine est indiquée. Les sympathomimétiques doivent s'utiliser avec prudence. Pour conclure, le Pr Verslype a souligné la nécessité d'une meilleure compréhension de la relation entre les hormones et les symptômes du SC, du mécanisme d'action et de résistance des traitements et de la séquence optimale des traitements. Le Dr Timmermans a présenté le cas d'une patiente âgée de 75 ans qui a connu des symptômes atypiques pendant 10 ans avant que des anomalies à l'échocardiographie éveillent une suspicion de cardiopathie carcinoïde (CC). Le diagnostic de TNE fonctionnelle a été confirmé, avec des valeurs fortement augmentées de chromogranine A et d'excrétion de 5-HIAA. Il a détaillé le diagnostic et le traitement de la CC. Les TNE sécrètent des substances vasoactives, qui provoquent un syndrome et une cardiopathie carcinoïdes. Leur sécrétion par les métastases hépatiques peut entraîner la présence de grandes quantités de ces substances dans le coeur droit avant leur métabolisation dans le foie, occasionnant une fibrose des valves tricuspide et pulmonaire. La rétractation, la mobilité réduite et, finalement, la fixation des feuillets valvulaires en position semi-ouverte conduisent à une combinaison de fuite et de sténose. La CC touche principalement le coeur droit, car la circulation pulmonaire inactive les médiateurs vasoactifs sécrétés par la tumeur avant qu'ils n'atteignent le coeur gauche. La sévérité de l'atteinte cardiaque est le principal facteur pronostique chez les patients atteints d'un SC. Une étude rétrospective menée à l'UZ Leuven, à laquelle le Dr Timmermans a collaboré, a confirmé la difficulté et l'importance d'un diagnostic précoce. Le délai entre le diagnostic de SC et le constat de cardiopathie à l'ETT était en moyenne de 2 à 3 ans. Sur les 15 patients, 13 avaient déjà des signes ou des symptômes évoquant une insuffisance cardiaque, ce qui indiquait qu'on était passé à côté du stade préclinique. Ces résultats ont confirmé la difficulté de distinguer, pendant un suivi oncologique de routine, une insuffisance cardiaque débutante de symptômes liés au cancer tels qu'hypoalbuminémie, insuffisance hépatique et obstruction veineuse. Une survie postopératoire supérieure à 12 mois après une chirurgie cardiaque était corrélée à un intervalle en moyenne plus court entre le diagnostic de SC et celui de CC. De quoi souligner l'importance d'un diagnostic et d'un traitement précoces (6). Une CC donne des anomalies caractéristiques à l'échocardiographie, à savoir une hypertrophie auriculaire et ventriculaire droite, un mouvement anormal du septum ventriculaire et un épaississement, un raccourcissement et une rétractation des feuillets de la valve tricuspide et des structures subvalvulaires, avec coaptation incomplète et insuffisance tricuspide. La classification du grade de l'insuffisance tricuspide - légère, modérée, grave - est complétée de deux grades supplémentaires: "massive" et "torrentielle". Cette gradation est simple à déterminer par une mesure échocardiographique de la vena contracta, selon le Dr Timmermans. Ces deux grades supplémentaires ont une valeur pronostique pour la mortalité et l'hospitalisation chez les patients dont la maladie est avancée (7). Les peptides natriurétiques sont des neurohormones que le coeur sécrète en réaction à une augmentation du stress pariétal due à une surcharge de volume et de pression. Le BNP est la molécule active, mais le test mesure le précurseur NT-proBNP. Le NT-proBNP est un biomarqueur utile en vue d'exclure une insuffisance cardiaque et est surtout un facteur prédictif négatif lorsque sa valeur est inférieure à 100 pg/ml. En présence de valeurs plus élevées, l'interprétation est plus difficile et dépend de l'âge du patient (tableau 1). Le test manque de sensibilité. Les études montrent que le NT-proBNP est un biomarqueur utile pour le dépistage d'une CC. La sensibilité et la spécificité du dosage du NT-proBNP étaient respectivement de 92% et 91% à une valeur seuil de 260 pg/ml (31 pmol/l) (8). Le Dr Timmermans privilégie le dépistage par l'échocardiographie seule, du fait que le dosage du NT-proBNP manque de sensibilité et que le patient doit lui-même payer le test. Le Dr Timmermans a noté que le bon timing de l'intervention chirurgicale pour CC n'est pas encore défini, mais qu'il est important en vue de prévenir les lésions cardiaques irréversibles et la défaillance organique. Une intervention opportune réduit le risque chirurgical. L'évolution du processus oncologique constitue également un facteur déterminant. Le Dr Timmermans a mentionné que l'étude louvaniste a, elle aussi, montré une meilleure survie postopératoire après la chirurgie cardiaque chez les patients lorsque l'intervalle moyen entre le diagnostic de SC et celui de CC était plus court. La tendance en faveur d'une intervention précoce en cas d'insuffisance tricuspide primitive, avant la survenue d'une insuffisance cardiaque droite et d'une pathologie valvulaire gauche, se reflète dans les nouvelles recommandations de la Société européenne de cardiologie (ESC). Contrairement aux versions antérieures, elles préconisent une chirurgie valvulaire, y compris en présence d'une fonction cardiaque gauche normale, et ce chez les patients symptomatiques avec insuffisance tricuspide primitive et chez une sélection de patients asymptomatiques ou légèrement symptomatiques avec dilatation ou dysfonction du ventricule droit (9). Le Dr Timmermans a illustré l'importance d'examens cardiaques spécialisés approfondis et la difficulté de déterminer le bon timing du traitement chirurgical à travers un cas. Une femme âgée de 58 ans, atteinte d'une TNE fonctionnelle avec métastases hépatiques, s'est présentée avec une dyspnée croissante. L'échocardiographie a révélé un coeur gauche normal, mais une insuffisance tricuspide sévère avec rétractation des feuillets. Les anomalies, y compris au cathétérisme cardiaque, étaient insuffisantes pour proposer une chirurgie valvulaire. L'IRM cardiaque avec cathétérisme de l'artère pulmonaire a montré des anomalies avec une augmentation du volume télédiastolique du ventricule droit pendant l'effort, n'entraînant aucune augmentation du volume d'éjection systolique. Ce constat expliquait les symptômes associés à l'effort. Elle a subi une chirurgie au niveau de la valve tricuspide et son statut cardiaque est resté stable. La patiente a survécu cinq ans après la procédure, la progression de son affection oncologique l'emportant ensuite. La prise en charge de référence évolue vers une intervention chirurgicale précoce en cas de cardiopathie carcinoïde, ce qui requiert une concertation multidisciplinaire comme l'a martelé le Dr Timmermans. L'ETT 2D est l'examen de premier choix pour le suivi et le dépistage en série de la CC chez les patients atteints d'un SC. Le dosage du NT-proBNP est une solution alternative, mais n'étant pas remboursé en Belgique dans cette indication, il n'est pas repris dans l'algorithme. Si l'échocardiographie est normale, il est recommandé de la répéter tous les ans. Si la qualité des images n'est pas satisfaisante ou si le patient a des symptômes inexpliqués, un examen cardiologique plus poussé s'impose. La confirmation d'une CC requiert la mise en place d'une concertation multidisciplinaire. Le timing de l'opération dans la CC ne fait pas l'unanimité. Les indications acceptées sont une CC symptomatique, une dilatation ou une dysfonction du ventricule droit et une chirurgie hépatique programmée. Le pronostic oncologique, le calendrier de traitement et les comorbidités sont autant de facteurs qui interviennent dans la décision et le timing. L'étude de phase II NETTER-1 a révélé que, chez les patients qui ont des TNE de l'intestin moyen bien différenciées et métastatiques, le traitement par 177Lu-Dotatate conduisait à une survie sans progression plus longue et à une réponse significativement plus élevée par rapport à une forte dose d'octréotide LAR, a expliqué le Pr Deroose (10). Le traitement avait également un effet bénéfique sur la qualité de vie et sur les symptômes liés au SC (fig. 3), produisant une diminution significative des douleurs abdominales, des diarrhées et des bouffées vasomotrices (11-12). Selon une étude rétrospective, la PRRT est également sûre et efficace pour le traitement des symptômes associés au SC réfractaire. (13) Pendant la PRRT, le 177Lu-DOTATATE entre en compétition avec l'ARSS "froid" au niveau du RSS. Une étude a montré qu'une injection de lanréotide administrée avant la TEP/TDM au 68Ga-DOTATATE n'entraînait pas de captation réduite dans la tumeur ; au contraire, le rapport tumeur/foie était augmenté (14). Mais la dose thérapeutique de DOTATATE étant supérieure à la dose diagnostique, une période de wash-out est tout de même indiquée pour éviter toute interférence (tableau 2). La PRRT n'a pas d'influence sur la cardiopathie, mais l'apport hydrique pendant la procédure peut surcharger le coeur. Comme nous l'avons déjà dit, le timing optimal pour la chirurgie est difficile à définir, mais une intervention effectuée en cours de PRRT a des effets délétères. Une concertation multidisciplinaire avec les cardiologues et les chirurgiens cardiaques s'impose avant l'instauration de la PRRT. Les métastases cardiaques sont possibles et la TNE est l'une des tumeurs qui métastasent fréquemment dans le coeur. Lorsqu'elles sont RSS positives, elles constituent une indication pour la PRRT (15). De Keizer et al. ont rapporté une crise (pas seulement carcinoïde) d'induction hormonale après 10 des 1691 (0,6%) administrations de 177Lu octréotate chez 6 patients (1%) (16). Une série australienne a mentionné une incidence accrue de plus de 3% de CC après une PRRT. Tous avaient un antécédent de CC, ce qui constitue un important facteur prédictif (17). Le Pr Deroose a souligné la rareté de cette succession, y compris dans son expérience personnelle. La physiopathologie de la CC n'est pas suffisamment connue. L'explication de la soudaine libération massive d'hormones carcinoïdes n'a pas pu être confirmée par les mesures des concentrations hormonales pendant l'opération (18). Le Pr Deroose juge peu probable l'hypothèse selon laquelle la cause réside dans la lyse tumorale suite à l'émission de particules bêta par le 177Lu. Le traitement préventif se compose d'antagonistes des récepteurs H1 et H2 (et non d'ARSS!). En revanche, les ARSS sont indiqués dès la survenue d'une CC, le traitement étant complété de corticoïdes, de l'administration d'une solution d'hydratation, de phényléphrine et de vasopressine, comme pour un SC dans d'autres circonstances. Nous pouvons faire appel au Fonds spécial de solidarité pour un remboursement du traitement. Le radio-isotope médical lutétium peut être composé en préparation magistrale. Le Pr Deroose attend pour 2022 le remboursement des PRRT dans les centres spécialisés (KU Leuven, Institut Jules Bordet). Les TNE gastro-entéropancréatiques, pulmonaires et d'étiologie primitive inconnue, mais aussi les paragangliomes et les phéochromocytomes, peuvent y être éligibles. Pour conclure, il a signalé l'existence de preuves solides en faveur de la PRRT pour les TNE bien différenciées à forte densité de récepteurs SSTR2, souligné que la PRRT a un bon effet sur les symptômes du SC et rappelé que la crise carcinoïde est une complication procédurale rare.