Pour ce numéro, nous avons rencontré le Pr em. Paul Van de Heyning (UZA/UA), chez qui une LMA a été diagnostiquée en 2020, alors qu'il était âgé de 67 ans.
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Malgré le pronostic sombre de cette affection rare, il est rapidement entré - et resté - en rémission après avoir reçu des traitements expérimentaux. Jusqu'à présent, il estime qu'il se porte bien et souhaite témoigner ici son soutien à ces projets de recherche prometteurs. Comment avez-vous appris que vous aviez un cancer? Fin juin 2020, j'avais demandé une analyse sanguine de routine, sans avoir de problème particulier. Je souhaitais plutôt vérifier mon taux de PSA, étant donné mon âge. Lorsque j'ai reçu mes résultats, je l'ai vu immédiatement: j'avais des blastes et une forte neutropénie. Je ne savais pas encore de quel type, mais je me suis dit: "Aïe, j'ai une leucémie." Immédiatement après, j'ai appelé mon confrère, le Pr Zwi Berneman, hématologue, que je connais depuis le début de notre carrière. Et la machine s'est mise en marche avec un examen supplémentaire. Deux jours plus tard, le diagnostic de leucémie myéloïde aiguë était posé. Qu'est-ce qui vous est passé par la tête lorsque vous avez réalisé que vous aviez une leucémie? C'était très inattendu. Un cancer de la prostate ne m'aurait pas étonné, mais un cancer rare? C'était la dernière chose à laquelle je m'attendais. Je n'avais aucun symptôme, ni aucun facteur de risque spécifique: je ne fume pas et je bois avec modération. J'ai travaillé plus de 40 ans au service d'oto-rhino-laryngologie (ORL) et de chirurgie de la tête et du cou. J'ai donc été en contact avec des gaz anesthésiants toxiques au bloc opératoire, lorsque j'opérais la bouche de patients, et avec du formaldéhyde. Mais je n'ai rien trouvé dans la littérature au sujet de ces substances en tant que facteur de risque de la LMA. 40% de la population sont à un moment de leur vie confrontés à un cancer. Alors, pourquoi pas moi? Je ne suis pas le seul. La dernière chose que je m'inflige, ce sont des pensées négatives. Je me suis donc dit: "Quelle est la solution et comment puis-je faire au mieux?" En tant que médecin, vous êtes-vous plongé immédiatement dans la littérature? À vrai dire, le soir où j'ai découvert mes résultats, mes connaissances en matière de leucémie et de son traitement étaient très générales. J'avais une idée du traitement classique et du fardeau qui l'accompagne. La perspective ne me semblait pas réjouissante. Mais je n'ai effectué aucune recherche à ce moment, car je devais d'abord savoir de quel sous-type j'étais atteint. Une fois que j'ai été informé de mon diagnostic précis, j'ai recherché quelques informations, mais pas trop, car c'est un domaine tellement spécialisé que vous devez vous appuyer sur le jugement de l'hématologue. Vous avez d'emblée, et presque sans hésiter, entamé un traitement expérimental. Pourquoi? Le vendredi soir, les Prs Sébastien Anguille et Zwi Berneman m'ont annoncé mon diagnostic. Nous avons tout de suite discuté des options possibles. Le traitement classique, d'une part, offre un pronostic très pessimiste, avec une survie à 5 ans de 10%. Tous les articles relatifs à la LMA que j'ai trouvés sur PubMed décrivaient ce pronostic dès la première ligne. Vous vous dites: "Qui sont ces 10% qui survivent cinq ans?" Ce sont peut-être ceux qui ont reçu un diagnostic erroné (rire). D'autre part, je connaissais déjà les protocoles expérimentaux auxquels je pouvais participer. J'ai été doyen de la faculté de Médecine et de Sciences de la santé de l'UA pendant six ans et président du conseil médical de l'UZA pendant deux mandats. Les projets de recherche dans le domaine de l'hémato-oncologie étaient de ce fait un sujet fréquemment abordé. Au fil des ans, j'ai donc pu relativement bien évaluer l'évolution des projets du Pr Berneman et je sais qu'il fait partie de l'élite internationale dans ce domaine. J'ai donc peu hésité à lui demander son avis d'expert. En outre, il s'agissait d'études cliniques en phase III avancée, dont les résultats intermédiaires avaient mis en évidence un pronostic beaucoup plus favorable qu'avec les traitements classiques de la LMA. J'ai donc opté pour le traitement expérimental. Sans attendre, car cela n'avait aucun sens. Le lundi suivant, j'ai commencé le traitement. Qu'impliquent ces traitements? Le premier traitement consiste en une combinaison du traitement de base classique par azacitidine et d'un nouveau traitement, le vénétoclax. En fait, ce n'était pas si nouveau que cela: le médicament est déjà autorisé en Europe et aux États-Unis pour une autre forme de leucémie. Depuis, il a reçu l'autorisation de la FDA pour la LMA, mais pour les personnes qui récidivent. L'équipe de recherche des Prs Berneman et Anguille m'a convaincu qu'il s'agit là du traitement du futur pour toute nouvelle LMA diagnostiquée. Et après une cure, j'étais en rémission... Une cure comprend 5 jours d'azacitidine, lors desquels je dois aller à l'hôpital de jour, et 14 jours de vénétoclax par voie orale. Ensuite, la moelle épinière a 14 jours pour récupérer. Cette cure est administrée tous les mois, avec chaque fois un examen cytologique de contrôle et, tous les trois mois, une ponction de moelle osseuse. Chez moi, le traitement a réussi et à ce jour, je suis en rémission et bénéficie toujours de ce traitement. Le deuxième a pu être administré lorsque la tumeur a été sous contrôle, après 6 mois. Classiquement, si vous remplissez les conditions, vous pouvez subir une greffe de moelle osseuse. Mais cela ne semblait pas très attrayant. D'une part, du fait de mon profil, une greffe de moelle osseuse s'accompagne d'environ 25% de mortalité et d'autre part, si vous survivez à la greffe, celle-ci n'apporte aucune garantie, dans le cas de la LMA, que votre tumeur soit sous contrôle. De plus, il n'y avait aucun donneur compatible. Le nouveau traitement consiste en une immunothérapie par vaccin à base de cellules dendritiques. Pour ce faire, les monocytes sont filtrés du sang et cultivés jusqu'à l'obtention de cellules dendritiques. Ces cellules sont chargées afin de reconnaître l'antigène WT1 (Wilms' Tumor 1) par électroporation d'ARNm, une technologie que l'équipe du Pr Berneman a commencé à développer dès le début des années 2000. J'ai reçu, et je reçois encore aujourd'hui, une injection intradermique tous les deux mois, pour laquelle je dois simplement me rendre à la consultation. Avez-vous ressenti des effets indésirables à la suite de ces nouveaux traitements? Pratiquement aucun. En ce qui concerne l'azacitidine, je prends un antiémétique au début de la cure, car elle peut provoquer des nausées. Cela m'aide suffisamment. À la fin d'une cure d'azacitidine, je ressens parfois de la fatigue, mais très peu. À l'endroit des injections, je développe également une légère rougeur, mais elle disparaît après quelques jours. J'ai pu continuer à vivre comme d'habitude, à rouler à vélo, à nager, etc. Ces traitements n'ont donc aucune répercussion sur ce que je fais, à part le temps qu'ils nécessitent. Votre diagnostic et le traitement sont tombés en pleine crise du Covid. Quel impact cela a-t-il eu sur votre parcours dans la maladie? La LMA et le traitement réduisent de manière considérable votre résistance face aux infections, particulièrement contre le Covid. J'ai donc mené une vie d'ermite, en quelque sorte. Mais en période de Covid, cela n'a pas eu beaucoup d'impact, car tout le monde a tout à coup dû porter un masque, avoir peu de contacts et assister aux réunions par ordinateur. Exactement ce que je devais faire. Je n'ai donc dû demander à personne de porter un masque spécialement pour me rencontrer. En octobre 2018, je suis devenu professeur émérite, mais je suis resté actif, tant à l'UZA qu'à l'UA. J'ai arrêté de soigner des patients juste avant la première vague de Covid. Depuis la première vague de Covid, je m'en suis donc tenu au domaine scientifique et à l'enseignement. Étant donné les mesures de lutte contre le coronavirus en vigueur pour tout le monde, j'ai pu facilement tout poursuivre et assister à tout sur le plan professionnel. Toutes les réunions et tous les congrès sont en effet d'un coup devenus numériques. J'ai également participé alors à une étude de Sciensano, dans laquelle l'immunité cellulaire et humorale était surveillée dans le contexte des vaccins contre le Covid. Je sais ainsi que le premier vaccin contre le Covid n'a pas déclenché de réaction chez moi et que le deuxième a provoqué une réaction minime, car mes anticorps n'étaient déjà plus dosables après un mois. C'est pour cette raison que ma famille proche et moi-même avons dû être très prudents. Heureusement, j'ai développé une bonne réaction après la troisième dose. En plus des mesures contre le Covid, de nombreuses restrictions m'ont été imposées pendant les six premiers mois en ce qui concerne l'alimentation, afin de réduire autant que possible le risque d'infection. Une sorte de régime de grossesse strict (rire). Je prends aussi chaque jour des anti-infectieux. Entre-temps, je n'ai plus de restrictions alimentaires, car mon taux de globules blancs est à un niveau sûr. Il semble que dans votre cas, vous ayez pris la bonne décision en suivant ces traitements expérimentaux. Y pensez-vous parfois? Effectivement. J'apprécie chaque jour la manière dont les choses se sont passées et je pense à la façon dont elles auraient pu se dérouler. La semaine qui a suivi le diagnostic, l'idée que je serais peut-être mort dans six mois me hantait parfois. Je me suis alors demandé: "Ai-je terminé ma mission ici?" Mais j'ai vite enfoui ces pensées et me suis remotivé. Avec ce nouveau traitement, je me donne 50% de chances de survie, et non pas 10% à cinq ans. Avec 10%, vous ne pouvez pas vivre ; avec 50%, il y a de l'espoir. Je me suis dit que ça allait fonctionner. Depuis, je ne me suis plus torturé l'esprit à ce sujet. Pour ma famille, cela a sans doute été beaucoup plus difficile, mais elle a fait face à la situation avec un esprit très positif et m'a entouré de beaucoup d'amour. Ma vie quotidienne me rend aujourd'hui heureux et je passe de bons moments avec les miens. Il va de soi que je suis satisfait des traitements dont j'ai bénéficié. Supposons que je subisse malgré tout une récidive, je n'aurai aucun regret d'avoir fait ce choix. J'ai pu faire ce que je voulais pendant un an et demi, ou même plus longtemps, avec une qualité de vie de 100%, plutôt que de suivre une chimiothérapie lourde avec une qualité de vie médiocre. Je n'avais jamais pris autant conscience de ce que signifie la qualité de vie ; j'ai publié et donné des conférences sur le sujet, mais ce n'est que maintenant que je comprends vraiment (rire). De plus, la relation de confiance que j'ai avec les Prs Berneman et Anguille, et ma connaissance de la qualité de leurs projets au cours des 15 dernières années, m'ont évidemment aidé. Lorsqu'ils m'ont présenté, en toute franchise et avec sérieux, leur expérience actuelle en ce qui concerne ces traitements et qu'ils m'ont expliqué qu'ils étaient convaincus que c'était le traitement du futur, je n'ai pas hésité, même s'il s'agit de traitements encore inconnus. Au contraire, je me suis plutôt senti privilégié de connaître un groupe de recherche en avance de dix ans sur la thérapie classique et qui peut me proposer ce traitement. Il ne faut donc pas toujours avoir peur des nouveaux traitements, mais il est très important d'être informé avec honnêteté. Avez-vous un message pour nos lecteurs? Je crois très fermement dans les études scientifiques cliniques de qualité telles que celle à laquelle j'ai participé. De telles études nous font progresser et si on parvient à montrer qu'un nouveau traitement est utile dans une maladie grave, tout doit être mis en oeuvre pour qu'il soit disponible le plus vite possible pour tous. Je souhaite témoigner ici mon soutien à ces projets de recherche. Enfin, je voudrais souligner l'importance de toute forme de soutien que vous apportent vos collègues, vos amis et votre famille lorsque vous apprenez que vous avez un cancer. Je pense que de nombreuses personnes, y compris moi-même, craignent de sombrer dans une sorte d'isolement après un tel diagnostic. J'ai donc été très étonné de recevoir autant de témoignages de soutien de la part de collaborateurs du service d'ORL et du bloc opératoire. Je ne m'attendais pas non plus à ce que cela me fasse autant plaisir. Mon conseil est dès lors de ne pas éviter les personnes atteintes d'un cancer ni d'avoir peur d'en parler.