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La pandémie de COVID-19 a déstabilisé les soins de santé et a sévèrement impacté la prise en charge des patients cancéreux. À court terme, tant les diagnostics que les traitements ou le suivi des patients cancéreux ont été bouleversés. Des priorités ont été définies en matière de soins, et les traitements tels que la chirurgie et la chimiothérapie ont souvent été reportés. Grâce à la numérisation, bon nombre de patients ont pu être suivis par téléconsultation et télémonitoring. Le Pr Ahmad Awada (oncologue médical, Institut Jules Bordet) s'attend à ce que cette approche soit en partie maintenue après la pandémie. L'analyse du Registre national du Cancer a révélé une diminution du nombre de nouveaux diagnostics de cancers entre mars et septembre 2020, comparativement à la même période en 2019 (figure 1). Les retards de diagnostics de cancers dus au confinement et au report des programmes de dépistage auront un impact à plus long terme. Il est également difficile d'estimer les conséquences à plus long terme des retards ou des modifications des traitements, a déclaré le Pr Awada. Le Pr Pierre Coulie (immunologiste, Institut De Duve) a évoqué le virus SARS-CoV-2 d'un point de vue immunologique. Ce virus appartient aux virus à ARN monocaténaire à polarité positive et possède une couronne (" corona ") autour des particules virales libres. Les protéines spike (S) assurent la liaison du virus à la cellule hôte grâce à des sous- unités de la protéine S appelées S1 (pour la liaison) et S2 (pour la fusion). La protéine S du SARS-CoV-2 se lie au récepteur de l'enzyme de conversion de l'angiotensine (ACE2). Le profil d'expression de l'ACE2 est présent dans de nombreux organes et est responsable des symptômes de la COVID-19. La co-expression de l'ACE2 et de la protéase membranaire TMPRSS2 à la surface des cellules est nécessaire pour contracter une infection par le SARS-CoV-2. En outre, ce virus possède un site de liaison spécifique à la furine, clivé par l'enzyme furine, ce qui le rend potentiellement plus contagieux. D'un point de vue immunologique, le virus SARS-CoV-2 est classique, et induit des réponses immunitaires innées et adaptatives contre lesquelles il offre une résistance partielle. Sa particularité semble être une réponse proportionnellement faible de l'interféron 1. La production d'interféron est moindre, pour une même quantité de cytokines, ce qui peut provoquer des réactions inflammatoires et une septicémie dans les cas sévères. Les vaccins visent à stimuler la production d'anticorps neutralisants contre le SARS-CoV-2. Tous les vaccins en cours de développement visent à induire des anticorps anti-protéine spike. À ce jour, la Belgique a signé des contrats avec BioNtech-Pfizer (vaccin à ARNm), Moderna (vaccin à ARNm), AstraZeneca/Oxford (vaccin à vecteur viral non réplicatif ChAdOx1), Johnson & Johnson (vecteur viral non réplicatif, Ad26) et Curevac (vaccin à ARNm) (Figure 2). Jusqu'à présent, il n'existe pas de différences majeures entre l'efficacité immunologique et clinique de ces vaccins. Lors de la discussion, le développement rapide des vaccins a été évoqué. Le Pr Coulie a souligné que les vaccins actuels étaient basés sur des plateformes existantes qui facilitent leur production. La Pr Tessa Kerre (hématologue, UZ Gent), le Dr Rauh (oncologue médical, Centre Hospitalier Emile Mayrisch) et le Pr Vansteenkiste (oncologue respiratoire, UZ Leuven) ont respectivement discuté de la prise en charge des patients atteints de tumeurs hématologiques, de tumeurs solides et de tumeurs thoraciques. Nous ne savons pas clairement si les patients cancéreux courent un risque accru d'infection par la COVID-19. Les études se contredisent et les résultats montrent des biais. Une étude de cohorte appariée portant sur des personnes infectées par la COVID-19 a donné des résultats comparables entre patients cancéreux et personnes indemnes de cancer. Au Royaume-Uni, le Coronavirus Cancer Monitoring Project a analysé les données de 800 patients cancéreux. Environ la moitié a présenté une forme légère de COVID-19, mais 28% des patients sont décédés. Le risque létal augmentait avec l'âge, le sexe masculin et les comorbidités. Après correction pour ces facteurs de risque, il est apparu que les patients qui suivaient un traitement actif contre le cancer (chimiothérapie, immunothérapie ou hormonothérapie) ne présentaient pas plus de risques de décéder de COVID-19. Sur base de ces premiers résultats, nous pouvons affirmer que les patients cancéreux doivent poursuivre leur traitement, surtout s'ils ont une chance de guérison. Il existe des tableaux de risque pour les patients cancéreux, qui tiennent compte de l'âge, du sexe et du type de tumeur, pour aider les médecins à prendre des décisions. Pour les patients atteints de tumeurs thoraciques, le nomogramme TERAVOLT, basé sur des facteurs de risque tels que l'âge, les habitudes tabagiques, le stade du cancer et surtout l'indice de performance ECOG, est un outil utile pour prédire le risque de décès en pratique clinique. La Pr Els Wauters (oncologue respiratoire, UZ Leuven) a souligné combien il était important de distinguer une pneumopathie interstitielle constituant un effet indésirable de l'immunothérapie (pneumopathie due aux ICI) de la pneumonie induite par la COVID-19. Certains symptômes et observations radiologiques sont similaires, mais l'identification de la cause exacte est capitale, pour pouvoir débuter immédiatement le traitement le plus approprié. La bronchoscopie peut aider à prendre une décision en cas de suspicion de COVID-19, si le frottis nasopharyngé est négatif. Il va de soi que la bronchoscopie doit pouvoir être pratiquée en toute sécurité, c'est-à-dire chez des patients cliniquement stables et dans le respect des mesures de sécurité pour le personnel soignant. Dans ces conditions, le SARS-CoV-2 peut être détecté dans le liquide de lavage bronchoalvéolaire (LBA) avec une sensibilité élevée (93%) chez les patients atteints de COVID-19. Elle permet de poser un diagnostic différentiel ; ainsi, les neutrophiles sont nettement plus nombreux en cas d'infection par la COVID-19 qu'en cas de pneumopathies dues aux ICI ; les lymphocytes sont présents en plus grandes concentrations en cas de pneumopathies dues aux ICI que dans le liquide de LBA normal et chez les patients atteints de COVID-19 (Wauters E. Cell Res 2020). La valeur diagnostique de ces résultats doit être évaluée plus en détail. La COVID-19 est d'abord une maladie respiratoire, mais un nombre croissant de rapports décrivent des sous-groupes de patients présentant des symptômes gastro-intestinaux (GI) concomitants (diarrhée, anorexie, nausées et vomissements), explique le Pr Eric Van Cutsem (oncologue digestif, UZ Leuven). Les symptômes GI de l'infection par la COVID-19 peuvent survenir avant les symptômes respiratoires, mais également sans ces derniers. Les symptômes GI, en particulier la diarrhée, sont associés à des cas de COVID-19 plus graves et à un pronostic plus défavorable. Une réhydratation adéquate et une surveillance du potassium doivent être effectuées en cas de diarrhée induite par la COVID-19, comme chez tous les patients atteints de diarrhée. Comme les antibiotiques et les antiviraux sont souvent utilisés pour le traitement de la COVID-19, ils pourraient modifier le microbiote intestinal et provoquer la diarrhée. À cet égard, les probiotiques pourraient jouer un rôle dans la prise en charge de la COVID-19. Une amélioration rapide de la diarrhée a également été constatée après le début du traitement antiviral. Le Pr Awada a clôturé cette réunion sur un message d'espoir. En Europe, le premier vaccin a été approuvé. Après la pandémie, il pense qu'il sera possible de conserver certaines approches " COVID " des patients cancéreux et certaines méthodes de travail. Les téléconsultations ont permis de travailler en toute sécurité, et elles semblent avoir été acceptées par les patients et les médecins. En outre, un certain nombre de tâches administratives ont été simplifiées pendant la pandémie. La poursuite de l'implémentation de ces applications après la crise du coronavirus pourrait réduire la pression sur le système des soins de santé.