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Le SABCS 2019 a-t-il été une édition exceptionnelle ? Selon le Pr Hannelore Denys (chef de clinique d'oncologie médicale, UZ Gent), cette année ne fut pas un grand cru. Toutefois, quelques résultats sont sortis du lot. Ils concernaient principalement la population de patientes atteintes d'un cancer du sein présentant une surexpression du HER2 (HER2+). Cet article n'a pas pour but de passer une nouvelle fois en revue les nombreuses présentations intéressantes du SABCS, mais plutôt de pointer trois présentations majeures concernant les patientes atteintes d'un cancer du sein HER2+. Deux études ont été menées dans le cancer du sein HER2+ primitif, les études APHINITY et ATEMPT. L'étude HER2CLIMB a été réalisée dans le cancer du sein HER2+ métastatique. L'idée de procéder à un double blocage du HER2 chez les patientes présentant une surexpression du HER2 est venue de la constatation qu'après un traitement adjuvant par trastuzumab, environ 30 % des patientes présentaient encore une récidive. Le raisonnement sous-jacent était que l'ajout du pertuzumab au traitement par trastuzumab + chimiothérapie permettrait peut-être d'assurer un blocage encore plus solide du HER2. À l'instar du trastuzumab, le pertuzumab est un anticorps monoclonal humanisé recombinant qui se lie spécifiquement au récepteur HER2. L'étude APHINITY est une étude de phase III pour laquelle une première analyse a démontré que cet ajout du pertuzumab au traitement adjuvant par trastuzumab + chimiothérapie améliorait de façon statistiquement significative la survie sans maladie invasive (iDFS). Entre-temps, le pertuzumab associé au trastuzumab et à la chimiothérapie est devenu le traitement adjuvant standard chez les patientes atteintes d'un cancer du sein HER2+ à haut risque. Le Pr Martine Piccart (Institut Bordet, Bruxelles) a eu l'honneur de présenter cette année les résultats de la deuxième analyse intermédiaire préplanifiée après un suivi médian de 74,1 mois. Le critère d'évaluation principal, l'iDFS (défini comme le délai avant la récidive invasive ou le décès) s'élevait, après six ans de suivi, à 90,6 % dans le groupe trastuzumab + pertuzumab (TP) et à 87,8 % dans le groupe trastuzumab + placebo (T) (HR : 0,76 [IC à 95 % 0,64-0,91]). La différence entre les deux groupes dans la population en intention de traiter ( intent-to-treat) a augmenté avec une durée de suivi plus longue (2,8 % après 6 ans contre 1,7 % après 4 ans). La sous-analyse a montré que l'ajout du pertuzumab apporte uniquement un bénéfice dans les cancers du sein avec ganglions positifs. (? 4,5 %). En revanche, le résultat de l'ajout ou non du pertuzumab n'est pas influencé par le statut du récepteur hormonal. Une diminution des récidives à distance (5,9 % vs 7,7 %) et des récidives loco-régionales (1,2 % vs 2,0 %) est à l'origine de l'allongement de l'iDFS dans la population traitée par trastuzumab + pertuzumab (TP). Il est intéressant de signaler qu'au sein du groupe de récidives à distance, environ un tiers des cas sont liés à des métastases cérébrales, ce qui correspond parfaitement aux données rapportées dans d'autres études évaluant des cancers du sein à haut risque. Un point important est que l'incidence des événements cardiaques primaires est restée inférieure à 1 % dans les deux groupes. Ces résultats à six ans de l'étude APHINITY confirment le bénéfice clinique d'un double blocage du récepteur HER2. Il est très important d'assurer un suivi complémentaire de ces patientes, dans la mesure où il permettra de déterminer le bénéfice éventuel du pertuzumab en termes de survie globale. Une troisième analyse intermédiaire est prévue d'ici deux ans et demi. Une analyse finale de la survie ne sera réalisée que lorsque 640 décès auront été enregistrés dans le cadre de cette étude. Le trastuzumab emtansine (T-DM1) est un conjugué anticorps-médicament dirigé contre le récepteur épidermique humain 2 (HER2). Le trastuzumab se lie au récepteur HER2 et assure la libération sélective du médicament cytotoxique DM1 dans les cellules tumorales qui surexpriment le HER2. Le T-DM1 a déjà prouvé son efficacité dans des études antérieures, tant dans le cancer du sein HER2+ métastatique que dans le cancer du sein HER2+ primitif, avec maladie résiduelle invasive après un traitement néoadjuvant à base de taxane ciblant le HER2. Lors du symposium, les résultats de l'étude ATEMPT ont été présentés. Il s'agit d'une étude randomisée, multicentrique, de phase II, qui poursuit un double objectif : d'une part, évaluer si le traitement adjuvant par T-DM1 chez des patientes atteintes d'un cancer du sein HER2+ de stade I est associé à une survie sans maladie cliniquement acceptable (DFS) et d'autre part, vérifier si le T-DM1 est moins toxique que l'association paclitaxel + trastuzumab (TH). Les patientes atteintes d'un cancer du sein HER2+ de stade I ont été randomisées selon un rapport 3 : 1 pour recevoir le T-DM1 (N = 383) ou le TH (N = 114). L'étude ne disposait pas de la puissance suffisante pour détecter une différence d'efficacité entre les deux bras de traitement. Dans le cadre d'un suivi médian de trois ans, un total de 10 événements de maladie a été rapporté dans le groupe T-DM1 (1 récidive à distance, 2 récidives locales, 3 cancers du sein controlatéraux, 1 décès à la suite d'une récidive de cancer du sein, 3 décès par autres causes), contre 7 dans le groupe TH (2 récidives à distance, 4 récidives locales et 1 cancer du sein controlatéral). La survie sans maladie à trois ans était de 97,5 % chez les patientes du groupe T-DM1 et de 93,2 % dans le groupe TH. Les toxicités cliniquement significatives ont été définies comme suit : toxicité non hématologique de grade III ou plus, neurotoxicité de grade II ou plus, toxicité hématologique de grade IV ou plus, neutropénie fébrile ou toute toxicité nécessitant le report ou l'arrêt du traitement. L'étude montre un nombre identique de toxicités cliniquement significatives (46 %) dans les deux groupes. Les patientes traitées par TH ont présenté plus de neurotoxicités (23 % contre 11 %). Les patientes traitées par T-DM1 ont été plus nombreuses à devoir arrêter le traitement en raison d'une toxicité. Parmi les patientes ayant arrêté le traitement en raison d'une toxicité liée au T-DM1, environ 40 % l'ont fait dans les six mois suivant le début du traitement. Toutefois, 66 % des patientes ayant arrêté le traitement par T-DM1 pour cause de toxicité ont pu poursuivre leur traitement par trastuzumab. Au cours de l'étude, il a également été demandé aux patientes de répondre à des questionnaires destinés à surveiller la qualité de vie. Par ailleurs, un questionnaire de " résultats rapportés par les patients " ( patient reported outcome - PRO) a également été rempli, qui évaluait les troubles spécifiques propres au traitement, tels que la neuropathie et la chute des cheveux. Les patientes du groupe TH ont obtenu un score FACT-B total moyen considérablement plus faible, en particulier à 12 semaines et à 18 mois. Une neuropathie sensitive modérée à sévère a été observée chez 8 % des patientes traitées par T-DM1 après 12 semaines ; cet effet indésirable a atteint un taux maximal, soit 15 %, à 18 mois. Dans le groupe des patientes traitées par TH, le taux de neuropathie sensitive modérée à sévère était de 35 % à 12 semaines et de 26 % à 18 mois (p < 0,001 à 12 semaines et p = 0,018 à 18 mois). La chute de cheveux à la semaine 12 était de 13 % dans le groupe T-DM1 contre 77 % dans le groupe TH (p < 0,001). L'étude ATEMPT montre les premiers résultats de la monothérapie par T-DM1 en tant que traitement adjuvant du cancer du sein HER2+ de stade I. Ce traitement a été associé à très peu de récidives dans la population de l'étude, mais le suivi est encore trop court. Les patientes traitées par T-DM1 bénéficieraient d'une meilleure qualité de vie, surtout au cours des 12 premières semaines du traitement. Au vu de ces résultats, il semble que l'on dispose aujourd'hui de deux traitements pour les femmes atteintes d'un cancer du sein HER2+ à faible risque dans cette indication curative. Le T-DM1 peut donc offrir une solution chez ces patientes dont on pense qu'elles ne toléreront pas bien un traitement par TH. De nouvelles études restent nécessaires, qui devront éventuellement évaluer un traitement par T-DM de plus courte durée. Les résultats de l'étude HER2CLIMB, menée auprès de patientes souffrant d'un cancer du sein HER2+ métastatique ayant déjà reçu un traitement par trastuzumab, pertuzumab ou T-DM1, constituaient probablement le point fort du SABCS cette année. Nous savons que jusqu'à 20 % des patientes chez qui un cancer du sein est diagnostiqué chaque année présentent une surexpression du récepteur HER2. Entre 30 % et 50 % de ces patientes développeront à un moment donné des métastases cérébrales, pour lesquelles il n'existe encore à ce jour aucun traitement efficace. Le tucatinib est un inhibiteur oral de la tyrosine kinase qui cible très spécifiquement le HER2, avec une inhibition minimale du récepteur EGFR. Ce médicament a montré une activité prometteuse dans une étude de phase Ib menée dans cette population de patientes. Dans cette étude multicentrique en double aveugle, 612 patientes présentant un cancer du sein HER2+ localement avancé ou métastatique, déjà traitées par trastuzumab, pertuzumab et T-DM1, ont été randomisées pour recevoir le tucatinib ou un placebo selon un rapport 2 : 1, en association avec la capécitabine et le trastuzumab. Les patientes présentant des métastases cérébrales traitées ou non qui ne nécessitaient pas un traitement local immédiat représentaient environ la moitié de l'ensemble des patientes dans chaque groupe de traitement. Le critère d'évaluation principal est la survie sans progression (PFS) selon les critères RECIST 1.1, avec évaluation centrale indépendante en aveugle pour les 480 premières patientes incluses dans l'étude. Les critères d'évaluation secondaires sont notamment la survie sans progression chez les patientes présentant des métastases cérébrales et la survie totale (OS) chez l'ensemble des 612 patientes. Le critère d'évaluation principal, à savoir la PFS après un an, atteignait 33,1 % dans le groupe combiné avec tucatinib et 12,3 % dans le groupe combiné avec placebo (HR 0,54 ; P < 0,001). La durée médiane de la PFS était respectivement de 7,8 mois et de 5,6 mois. L'OS après deux ans était de 44,9 % dans le groupe combiné avec tucatinib et de 26,6 % dans le groupe combiné avec placebo (HR 0,66 ; P = 0,005), tandis que l'OS médiane s'élevait respectivement à 21,9 mois et à 17,4 mois. Chez les patientes atteintes de métastases cérébrales, la PFS après un an atteignait 24,9 % dans le groupe combiné avec tucatinib et 0 % dans le groupe combiné avec placebo (HR 0,48 ; P < 0,001). La survie médiane sans progression était respectivement de 7,6 mois et de 5,4 mois. Les effets indésirables très fréquemment observés dans le groupe tucatinib étaient la diarrhée, le syndrome main-pied, les nausées, la fatigue et les vomissements. La diarrhée et l'élévation du taux d'aminotransférases de grade III ou plus ont été plus fréquentes dans le groupe combiné avec tucatinib que dans le groupe combiné avec placebo. Seuls 6 % des patientes du groupe combiné avec tucatinib et 3 % des patientes du groupe combiné avec placebo ont arrêté le traitement en raison des effets indésirables. Chez ces patientes atteintes d'un cancer du sein HER2+ métastatique et lourdement prétraitées, dont la moitié présentait des métastases cérébrales, l'association composée de tucatinib, trastuzumab et capécitabine s'est révélée être une thérapie très efficace. Même les patientes qui présentaient des métastases cérébrales ont tiré un bénéfice significatif de ce traitement.