...

À l'Institut Bordet, tous les patients cancéreux de 70 ans et plus font l'objet d'un dépistage standard de fragilité par l'outil de dépistage G8. "Il vise à identifier ceux qui pourraient tirer bénéfice d'une évaluation gériatrique approfondie (EGA), qui nous permet ensuite d'adapter les interventions gériatriques, afin notamment d'améliorer la tolérance au traitement", explique la Dr Dal Lago. Ainsi, certains patients cancéreux âgés sont trop fragiles pour tolérer le traitement anticancéreux de routine. La fragilité est en effet corrélée au risque de toxicité induite par le traitement. "Le choix de celui-ci implique de tenir compte des conséquences possibles de la toxicité sur leur qualité de vie et leur fonctionnalité. Le fait que la plupart des études cliniques portant sur un médicament anticancéreux incluent principalement des sujets plus jeunes pose problème. Même lorsque des patients plus âgés sont sélectionnés, ils sont en meilleure forme que la population générale de cet âge (" fit"). Nous devons donc extrapoler les résultats de ces études cliniques aux patients cancéreux âgés ' in real life', ce qui ne relève assurément pas de la médecine evidence-based." En outre, la méthode de rapportage des études cliniques peut être trompeuse. Ainsi, les résultats relatifs à la toxicité ne sont pas analysés sur base du statut de fragilité. Des sous-analyses spécifiques à l'âge provenant d'importantes études d'enregistrement concluent que l'âge n'expose pas à un risque accru de toxicité, sans mentionner qu'elle n'a été testée que dans un groupe de patients âgés en meilleure forme. Cela peut donner l'impression qu'un médicament anticancéreux nouvellement enregistré est toléré de la même manière par la population générale plus âgée (1). Il est donc nécessaire de disposer de plus amples études cliniques évaluant des combinaisons (alternatives) de modalités et/ou de schémas de traitement dans la population âgée souffrant d'un cancer et fragile sur base d'une EGA. La Dr Dal Lago donne quelques exemples d'études portant bien sur des patient(e)s plus âgé(e)s et fragiles, souffrant d'un cancer du sein (CS), sa spécialité. En 2018, Wildiers et al. ont publié les résultats d'une étude multicentrique de phase II incluant 80 patients atteints d'un CS HER2+ métastasé, qui n'avaient pas reçu de chimiothérapie (CT) préalable pour ce CS avancé. Ils ont été randomisés (1: 1) vers un traitement par cyclophosphamide oral métronomique + trastuzumab et pertuzumab (anti-HER2), ou vers du trastuzumab + pertuzumab (2). Selon les critères, les patients inclus étaient âgés de ≥ 70 ans, ou ≥ 60 ans en cas de limitations fonctionnelles ou d'un indice de comorbidité de Charlson > 2 (65-69 ans) ou > 3 (60-64 ans). La randomisation a été stratifiée entre autres sur base du score G8 initial. 56 patients (70%) avaient un profil de fragilité potentielle (G8≤ 14). Après un suivi médian de 20,7 mois, la survie médiane sans progression (PFS), critère d'évaluation primaire, était allongée de 7 mois dans le bras CT (12,7 mois) vs un traitement impliquant uniquement un double blocage de HER2 (5,6 mois). En outre, le profil de sécurité est resté acceptable. "Bien sûr, les résultats ne sont pas les mêmes que lors des études cliniques utilisant des combinaisons plus toxiques, comme des taxanes + un traitement anti-HER2, mais cela montre clairement qu'une combinaison thérapeutique similaire peut toujours être administrée à des personnes plus faibles, mais avec une CT moins toxique." La Dr Dal Lago a également parlé de leur étude de phase I multicentrique et non comparative, toujours en cours. Des patients de ≥ 70 ans souffrant d'un CS précoce ER+HER2- de stade II-III ont été randomisés (2: 1) vers un traitement hormonal (HT) adjuvant standard (min. 5 ans) + du palbociclib, un inhibiteur de CDK4/6 (jusqu'à 2 ans), ou vers une CT adjuvante suivie d'une HT adjuvante standard (min. 5 ans) (3). Ici aussi, la randomisation des patients est stratifiée sur la base du score G8. Le critère d'évaluation primaire est l'intervalle sans récidive à distance (DRFI): un DRFI à 3 ans < 88% est considéré comme inacceptable, et comme fructueux lorsqu'il est ≥ 93%. "Les études cliniques sur les inhibiteurs de CDK4/6 dans le contexte adjuvant montrent des résultats controversés: un bénéfice réel n'est pas encore apparu. Ces études n'ont peut-être pas inclus suffisamment de patients avec un risque élevé de récidive, chez qui la CT est indiquée. Par conséquent, notre étude est bien placée et les résultats pourront peut-être également fournir des informations pour la population plus jeune." Dans une étude prospective de phase IV en cours, l'efficacité, la sécurité globale et la tolérance du ribociclib (un inhibiteur de CDK4/6) en combinaison avec du létrozole en 1re ligne est examinée chez 150 patientes de 70 ans et plus, souffrant d'un CS avancé HR+HER2- (4). Les femmes fragiles et celles souffrant d'une multimorbidité sont également incluses. Une EGA est réalisée au départ et après 3 et 12 mois. "Il est important de ne pas exclure d'emblée toute possibilité de traitement pour les patients cancéreux fragiles, mais d'adapter le traitement. De telles études scientifiques sont donc capitales afin d'étayer notre choix."