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Selon le Système européen d'information sur le cancer (ECIS), 61% des nouveaux diagnostics de cancer et 77% de la mortalité due au cancer concernent des patients âgés de 65 ans et plus. 1 À l'échelle mondiale, on estime que le nombre de nouveaux diagnostics de cancer dans ce groupe d'âge devrait doubler d'ici 2035.2 Cependant, nous accordons trop peu d'attention aux soins et aux besoins liés à l'âge de ce groupe de patients. Les comorbidités constituent un problème très important: la majorité de ces patients ont plus d'une maladie chronique et l'incidence des comorbidités augmente avec l'âge. Ceci est associé à une toxicité liée au traitement et à de moins bons résultats en termes de survie, ce qui complique le choix des traitements. 3 En outre, comme les patients cancéreux âgés sont fortement sous-représentés dans les études cliniques, il n'existe pas suffisamment de données sur la posologie appropriée ou les effets indésirables des traitements dans ce groupe d'âge4, ce qui peut conduire à un surtraitement, mais aussi à un sous-traitement. Par ailleurs, bien que la majorité des patients atteints d'un cancer appartienne à la catégorie plus âgée, les infirmiers en oncologie n'ont pas reçu pas de formation spécifique concernant leur prise en charge. Il existe dès lors très peu d'éléments indiquant comment soutenir au mieux ce groupe de patients. Ce phénomène implique également un manque d'interventions possibles, principalement en ce qui concerne la multimorbidité, le soutien aux dispensateurs de soins, la polypharmacie et les syndromes gériatriques multiples. 5 Chez les patients cancéreux âgés, il existe des questions prioritaires spécifiques qui peuvent accroître la complexité du trajet de soins du cancer. Ainsi, les personnes âgées présentent un déclin lié à l'âge dans divers domaines (fonction rénale, fonction cardiaque, risque accru de chutes...), ce qui peut réduire la capacité de réserve et la résistance aux facteurs de stress tels qu'un traitement anticancéreux, et accroît la vulnérabilité. En outre, le déclin cognitif augmente également avec l'âge, et il faut tenir compte de la polypharmacie (? 5 médicaments) et de ses effets indésirables et interactions éventuelles avec le traitement. Le soutien peut également être différent par rapport aux patients cancéreux "plus jeunes". Beaucoup vivent seuls et dépendent des autres, par exemple pour les trajets (vers l'hôpital) et/ou ont de faibles capacités d'autogestion. Cependant, le groupe des 65 ans et plus est le plus hétérogène de tous les groupes d'âge. Ainsi, un patient âgé n'est pas l'autre et, lors du diagnostic de cancer, il convient d'identifier ceux qui ne pourront pas supporter un traitement oncologique ou qui ont besoin d'interventions gériatriques précoces. Pour ce faire, l'on ne peut toutefois pas se fier à l'âge chronologique, car il n'est pas toujours corrélé avec le statut fonctionnel du patient. Il ne s'agit donc pas d'un bon élément prédictif du risque de toxicité. De plus, les scores de performance traditionnels n'ont été validés que pour les patients oncologiques plus jeunes. En ce qui concerne la décision relative à un traitement, il convient également de s'enquérir des souhaits du patient (" shared decision making"). Des études ont montré que certains patients cancéreux âgés fragiles préféraient le maintien de leur autonomie et de leur fonctionnalité à un traitement potentiellement toxique (et invalidant). Dans ce cas, la prise en charge des symptômes doit être mise à l'avant-plan. La fragilité ( frailty) est un syndrome complexe, qui nécessite souvent l'intervention de plusieurs spécialités. Il n'existe pas de consensus au sujet de sa définition. Les caractéristiques générales indiquant une fragilité incluent la polypharmacie (? 5 médicaments), la sarcopénie, la dénutrition, un faible niveau d'activité et la dépression/l'anxiété. Toutefois, dans le contexte oncologique, d'autres facteurs supplémentaires peuvent avoir un impact différent sur la fragilité. Ainsi, l'âge est un facteur important qui peut varier fortement d'un patient cancéreux à l'autre: certains octogénaires ont une bonne mobilité et sont suffisamment en forme pour effectuer toutes leurs tâches quotidiennes, tandis que certaines personnes très jeunes peuvent être fragiles sans pour autant en avoir l'air. En outre, tant l'affection maligne elle-même que le traitement du cancer exercent un impact physiologique. Le délai du déclin est un facteur additionnel, car la progression de la maladie favorise la fragilité et raccourcit la durée de vie. Enfin, la fatigue constitue également un aspect de la fragilité chez les patients cancéreux, environ 95% de tous les patients hospitalisés présentant ce symptôme. Dans une étude des Newcastle upon Tyne Hospitals ( NHS Foundation Trust), la fragilité a été évaluée à l'aide de la rapide Clinical Frailty Scale (CFS), dans le but de déterminer si cet outil pouvait également être utilisé chez les patients de moins de 65 ans. 237 patients souffrant d'un cancer du poumon nouvellement diagnostiqué ainsi que des patients souffrant de tumeurs hématologiques et solides nécessitant une intervention thérapeutique ont été évalués, dont 100 patients de moins de 65 ans. L'âge médian était de 67 ans. L'échelle a été légèrement adaptée pour le contexte oncologique et la fragilité a été évaluée sur une échelle de 8, un score de 4 indiquant une vulnérabilité (seuil de fragilité). La plupart des patients avaient un score ? 4. Les résultats ont montré que le degré de fragilité avait une influence sur le statut fonctionnel du patient. Plus le score est faible, plus le patient a de chances de pouvoir rentrer chez lui tout en conservant son autonomie. Plus le score de fragilité est élevé, plus il y a de probabilités qu'il décède dans le service ou doive entrer en maison de repos. En ce qui concerne le score CFS (lié à la survie), plus il était élevé, plus les patients ont connu un déclin rapide. Ainsi, la survie médiane des patients hématologiques ayant un CFS de 5-6 était de 108 jours, contre 58 jours pour un CFS de 7-8. Dans le cas des tumeurs solides, ce délai était de 72 jours en cas de CFS de 5-6 et de 52 jours seulement pour un score CFS de 7-8. Après une analyse multivariée, il est apparu que la fragilité avait un fort caractère pronostique, quel que soit l'âge du patient. Idéalement, une évaluation gériatrique approfondie (EGA) ou " comprehensive geriatric assessment" (CGA) devrait être effectuée chez chaque patient âgé atteint d'un cancer, et ce dès le diagnostic. C'est ce que préconisent les dernières recommandations de l'ASCO pour l'oncologie gériatrique. 6 Cette EGA permet d'évaluer la fragilité. Une EGA englobe une évaluation diagnostique interdisciplinaire multidimensionnelle, axée sur les domaines suivants: cognition, état mental, état fonctionnel, mobilité, soutien social, nutrition, comorbidités et médication. Des outils d'évaluation gériatrique validés peuvent être utilisés pour chaque domaine (p. ex. Katz ADL & Lawton iADL, Charison Comorbidity Index...). 7,8 Cette évaluation gériatrique permet de détecter divers problèmes qui ne seraient pas identifiés lors d'une évaluation oncologique standard. Des interventions ciblées (avec la participation d'autres professionnels de la santé) sont alors possibles, et peuvent donner aux patients de plus grandes chances de tolérer et de terminer le traitement anticancéreux, ou permettent de maximiser la qualité de vie. Elle a également une valeur prédictive concernant la toxicité du traitement et la survie globale, et a donc un impact important sur le choix du traitement. Ainsi, Mohile et al. ont montré que les interventions basées sur l'EGA diminuaient la proportion de patients âgés présentant une toxicité de grade 3-5 suite à un traitement anticancéreux palliatif à haut risque, sans pour autant nuire à la survie globale. 9 Cependant, une EGA prend du temps et nécessite l'intervention d'un gériatre. Plusieurs outils de dépistage ont donc été développés pour détecter la fragilité (par exemple, le G8). Une fois que les patients "vulnérables" sont identifiés, les différents aspects de la fragilité peuvent être déterminés plus en détail au moyen d'une EGA. L'outil CARG ou CRASH peuvent également être utilisés pour calculer le risque de toxicité de la chimiothérapie. Dans un document de prise de position, des organisations internationales, canadiennes et européennes préconisent une meilleure définition du rôle des infirmiers en oncologie dans les soins aux patients cancéreux gériatriques, ainsi que des compétences requises à cet égard. En effet, les infirmiers ont un rôle crucial dans la conception et la supervision d'un plan de soins individualisé, la coordination des orientations et la dispensation d'informations aux patients et aux aidants proches. Ils jouent également un rôle important en soutenant les patients lors de la prise de décisions concernant le traitement du cancer. Ils doivent donc disposer des connaissances, du soutien et des ressources nécessaires pour fournir des soins adéquats aux patients cancéreux âgés. Un programme de formation reconnu en oncologie gériatrique devrait donc être proposé aux infirmiers référents en oncologie, afin de développer une expertise dans ce domaine, en l'occurrence la connaissance des problèmes complexes liés à l'âge, ainsi que les aptitudes de soutien et de gestion nécessaires à cette prise en charge. Ainsi, ils pourraient utiliser des outils de dépistage gériatrique pour identifier le patient âgé "fragile" qui pourrait tirer des bénéfices d'une EGA. De plus, dans un contexte d'oncologie gériatrique, les infirmiers référents pourraient être impliqués dans le processus d'évaluation gériatrique, ainsi que dans la prise en charge des patients cancéreux âgés et de leur famille. Tout au long du trajet de soins, les patients cancéreux âgés peuvent avoir besoin de diverses formes (spécialisées) de soutien, comme un soutien éducatif, psychologique, social, spirituel, physique et émotionnel. Un réseau de soins multidisciplinaire est donc recommandé. Les infirmiers jouent un rôle de coordination clé dans la collaboration avec les membres de l'équipe soignante, tels que les oncologues, ergo- et kinésithérapeutes, gériatres, les membres de l'équipe de soins palliatifs, les pharmaciens, diététiciens, psychologues et assistants sociaux. Il est important de référer les patients de manière proactive dès le début du trajet de soins, car cela peut donner de meilleurs résultats. Parallèlement, le degré d'autogestion et de surveillance chez le patient âgé est important: en effet, la gestion des effets indésirables et des symptômes se déroule principalement à domicile. Offrir le soutien nécessaire aux patients et aux aidants proches pour apprendre et appliquer l'autogestion peut véritablement conduire à une meilleure compréhension de la maladie et de sa gestion, à de meilleurs résultats sur le plan de la santé, ainsi qu'à une meilleure qualité de vie. Toutefois, des recommandations plus claires doivent être formulées au sujet de l'importance de l'autogestion chez les patients âgés, mais aussi de la manière dont les soignants peuvent offrir un soutien adéquat dans cette démarche.