...

L'IA englobe le développement d'algorithmes informatiques pour effectuer des tâches associées à l'intelligence humaine. Cela inclut notamment l'apprentissage machine ( machine learning, ML) et l'apprentissage profond (deep learning, DL). Après avoir été exposés aux données d'apprentissage, les algorithmes de ML peuvent reconnaître des formes cachées, utilisables ensuite pour effectuer des tâches, sans programmation préalable. Le DL est un volet du ML, qui a conduit à de nombreuses avancées ces dernières années. Il se base sur des "réseaux de neurones artificiels" multicouches et possède de puissantes capacités de raisonnement logique et d'apprentissage qui peuvent grandement imiter la pensée humaine. Contrairement au ML, le DL ne nécessite pas de données structurées. En médecine, l'objectif global de ces technologies est de dégager des informations pertinentes au départ de grandes quantités de données médicales et d'offrir une aide à la décision dans le contexte clinique. Cela permet d'obtenir de meilleurs résultats pour les patients, tout en allégeant davantage la charge sur le système des soins de santé. En raison de la prévalence élevée du cancer, ainsi que de l'importante quantité de données générées pendant un traitement anticancéreux, les applications potentielles de l'IA en oncologie suscitent un intérêt spécifique et croissant. Ces développements peuvent notamment déboucher sur des prédictions en termes de risque et sur la stratification des patients, sur une plus grande précision diagnostique, de nouveaux traitements, une prise en charge plus personnalisée et une meilleure gestion des soins ultérieurs. Sur le plan de l'analyse d'images médicales, on observe un essor rapide des nouveaux algorithmes de DL, basés sur des "réseaux de neurones à convolution". Ces développements pourraient conduire à une plus grande efficacité et précision diagnostiques, et avoir un impact majeur surtout sur le plan de la radiologie et de l'anatomopathologie digitale. Ainsi, un modèle d'IA peut collecter et classer des centaines de milliers d'images au pixel près, mais aussi les analyser pour identifier différentes affections. Dans le contexte clinique, l'IA pourrait s'utiliser pour relayer certaines tâches chronophages assurées par les radiologues et anatomopathologistes, réduisant ainsi leur charge de travail. C'est principalement dans le contexte de la détection et de la classification du cancer du sein sur base des mammographies de dépistage que les possibilités des algorithmes d'IA sont étudiées en détail. D'une part, on pourrait y recourir dans le cadre du triage, comme outil de dépistage pour analyser les radiographies en termes de risque d'affection maligne et ensuite sélectionner les images à interpréter en priorité par un radiologue. En outre, l'IA pourrait s'utiliser comme outil interactif pour une meilleure évaluation diagnostique. Plusieurs études ont montré un effet synergique lorsque des cliniciens collaborent avec des systèmes d'IA avancés, débouchant sur un diagnostic plus précis. De plus, des études récentes ont montré pour plusieurs algorithmes d'IA qu'ils peuvent égaler, et dans certains cas dépasser, la sensibilité et la spécificité du spécialiste humain (1-6). De ce fait, dans le contexte des mammographies de dépistage, la nécessité d'une deuxième lecture par un radiologue pourrait être supprimée. Il est important de noter que ces études ont principalement examiné cette question dans un cadre rétrospectif, et que la véritable valeur clinique doit encore être examinée dans des études cliniques prospectives à grande échelle. Bien que les techniques d'IA puissent renforcer, voire dépasser les capacités humaines, plusieurs facteurs nécessitent actuellement que nous fassions preuve de vigilance (voir ci-dessous). L'organe DG-Connect de la Commission européenne, dédié à la société de l'information numérique et aux services numériques, souligne l'importance d'un cadre de soutien autour des possibilités croissantes du calcul haute performance (HPC), des algorithmes d'IA et des technologies de stockage de données dans les soins de santé. La disponibilité et l'apport continu de données de santé ( health data) suffisantes sont nécessaires pour l'entraînement initial des algorithmes d'IA, mais aussi pour l'entraînement continu, la validation et le perfectionnement. Pour une implémentation à grande échelle, les données doivent être partagées entre différentes institutions, et éventuellement aussi entre pays. Cependant, en Europe, les solutions de traitement et de stockage des données font défaut et l'accessibilité de ces données reste également problématique. Ainsi, seuls 9% des hôpitaux européens donneraient accès à leur dossier médical électronique aux patients, et seuls 4% échangent des données de santé avec d'autres organisations de santé dans d'autres pays de l'UE. La Commission européenne a pris un engagement politique et financier pour stimuler la digitalisation des soins de santé. Avec " Digital Europe" et " Connecting Europe Facility", des investissements sont consentis notamment dans le HPC, l'IA, les compétences digitales avancées, mais aussi les infrastructures technologiques sous-jacentes qui permettront de faire progresser la digitalisation dans toute l'UE. À cet égard, les soins de santé constituent une question prioritaire. Une importante initiative lancée en 2018 concerne l'accès fédéré aux bases de données génomiques, dans le but de permettre aux chercheurs d'accéder à plus d'un million de génomes dans l'UE, et de soutenir ainsi les nouvelles connaissances cliniquement pertinentes issues de la recherche. Plus précisément, la génomique peut conduire à une meilleure prévention des maladies et à une transition plus rapide vers une médecine personnalisée. Cela aura également une utilité incontestable dans la lutte contre le cancer. Plus récemment, la lutte contre le cancer a été reprise parmi les cinq missions de " Horizon Europe", un programme de financement de l'UE dans le cadre de la recherche et de l'innovation. Un groupe d'experts a formulé une série de recommandations visant à sauver plus de 3 millions de personnes du cancer d'ici 2030, à l'échelle mondiale. L'accent est mis sur une meilleure compréhension du cancer, sa prévention, l'optimisation du diagnostic et du traitement, le soutien de la qualité de vie et la garantie d'un accès uniforme aux données. L'accélération digitale jouera donc un rôle majeur dans cette stratégie. Sur le plan de l'imagerie médicale en oncologie, les projets EuCanImage et INCISIVE sont financés par l'UE. EuCanImage vise à établir une plate-forme d'imagerie européenne fédérée à grande échelle pour l'IA next-generation en oncologie. INCISIVE vise à développer et à valider une "boîte à outils" d'IA pouvant être utilisée par les chercheurs, mais aussi par les innovateurs, pour rendre les techniques d'imagerie existantes plus précises. À cette fin, l'ambition est de générer un lieu de stockage d'images médicales fédéré et paneuropéen, pouvant s'utiliser pour entraîner l'IA quant à différents types de cancer. D'autres projets sont couplés à des cancers spécifiques, tels que le cancer de la tête et du cou (BD2Decide), de la prostate (ProCAncer-I), du sein (BOUNCE) et les cancers pédiatriques (iPC), pour lesquels le développement d'un système d'aide à la décision est central. En outre, des projets se concentrent sur l'analyse des données post-traitement, y compris l'amélioration de la qualité de vie grâce à l'identification des facteurs de risque (CLARIFY), un système de coaching (CAPABLE), un plan de soins survivorship centré sur le patient (PERSIST), ainsi que le suivi de l'état mental (FAITH). Ces initiatives sont complétées par des projets de recherche à grande échelle visant à mieux comprendre le cancer au niveau moléculaire grâce à l'IA et au HPC. À cet égard, " DigiTwins" est un projet important visant à créer une copie virtuelle de chaque Européen, qui pourrait entre autres être utilisée pour étudier l'effet des traitements au niveau individuel. De nouveaux projets qui débuteront bientôt porteront sur l'étude de la prédiction précoce et personnalisée des risques, la prévention et l'intervention, sur la base des technologies d'IA et Big Data, mais aussi sur le développement additionnel d'une plate-forme pour les essais cliniques " in silico", lors desquels des simulations informatiques sont utilisées pour tester des médicaments et dispositifs médicaux. Outre les opportunités évidentes que les algorithmes d'IA peuvent offrir, nous devons toutefois tenir compte de plusieurs facteurs pour le développement de ces modèles, ainsi que pour leur implémentation en pratique clinique. Ceci débouche également sur certaines questions éthiques. On pense souvent que les algorithmes d'IA peuvent prendre des décisions cliniques plus objectives, plus robustes et plus factuelles qu'un médecin "en chair et en os", et que ceci peut constituer une collaboration extrêmement bénéfique entre le médecin et la machine. La technologie de l'IA est en effet automatique et autonome, dans le sens où elle est capable d'auto-apprentissage, à partir de son interaction avec son environnement et d'une quantité de données bien plus importante que ce que l'homme peut traiter. Nous devons cependant rester vigilants quant à la confiance que nous accordons à l'IA. Ainsi, une forme trouvée par l'IA n'est pas nécessairement significative. Par exemple, si on met trop de données à disposition, il y a un risque que les algorithmes d'IA fassent des prédictions basées sur des corrélations artificielles entre les données ( overfitting). Cela peut conduire à des surestimations au sujet de la précision des modèles et des performances real world. Par conséquent, ces algorithmes doivent être validés de manière indépendante. En outre, la qualité des prestations ne peut être élevée que si l'ensemble de données sous-jacent est qualitatif et neutre. Ainsi, tout biais dans un ensemble de données se reflètera également dans les décisions présentées par l'algorithme. Par exemple, si les données introduites ( input) n'incluent qu'une population masculine blanche, cela entraînera des prédictions incorrectes et discriminatoires pour les femmes ou les personnes d'autres origines ethniques. Cela nous amène au défi suivant: la transparence. D'une part, les annotations sous-jacentes (informations "caractérisantes" ajoutées) entrées dans l'algorithme doivent être transparentes pour l'évaluation du processus d'apprentissage. D'autre part, il devrait aussi être possible de comprendre comment une technologie est arrivée à une certaine conclusion ou prédiction. Si le raisonnement peut être expliqué, sa fiabilité pourrait être vérifiée. Dans le domaine des soins de santé, il est extrêmement important de pouvoir justifier un diagnostic ou un avis thérapeutique, par exemple. Mais pour des systèmes d'IA aussi complexes, en particulier le DL, c'est tout sauf évident et on parle d'un "effet boîte noire" ( black-box). Il va de soi que ceci soulève d'autres questions, non seulement parce que le processus décisionnel d'un algorithme est une black-box, mais aussi en raison de l'extrême complexité de toute la chaîne d'acteurs qui composent le produit final. De ce fait, il est extrêmement difficile de détecter et de résoudre les erreurs, mais aussi de déterminer qui est en cause et peut être tenu pour responsable. En outre, nous devons nous demander dans quelle mesure nous devons déléguer la prise de décision clinique aux systèmes d'IA-Health, et devons savoir quand ils menacent l'autonomie du patient et du prestataire de soins. Ainsi, des décisions personnelles peuvent malgré tout être subtilement influencées par les suggestions faites par le système d'IA. En outre, il est plus difficile de contribuer aux décisions en matière d'IA quand on ne comprend pas l'ensemble du processus sous-jacent ( black-box). Enfin, nous devons garder à l'esprit que les résultats algorithmiques sont probabilistes et non infaillibles. Ils sont rarement suffisants pour démontrer un lien de causalité.