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Lors de la session annuelle et virtuelle du European Lung Cancer Congress (ELCC), le Pr Vansteenkiste a ainsi eu l'honneur de présenter un exposé passionnant à l'occasion de la réception (virtuelle) de ce prix Heine H. Hansen Award. Petit retour dans le temps. La période de " 30 ans de progrès dans le traitement du cancer du poumon " a été dépeinte par le Pr Vansteenkiste comme un voyage le long des lacs italiens et suisses en compagnie du Pr Hansen (1938-2011), qu'il considérait comme son mentor. Le voyage a débuté en 1990 au Lago d'Orta, un lac situé dans la région italienne du Piémont, où, en tant que jeune pneumologue intéressé par le cancer du poumon, il a suivi une formation organisée par la European School of Oncology, et où enseignait le Pr Hansen. Le Pr Vansteenkiste reste convaincu à ce jour que la formation intensive complétée par les soirées passées en compagnie de leaders d'opinion majeurs a éveillé pour toujours son intérêt sur l'oncologie thoracique. L'amélioration des pourcentages de guérison dans le cancer du poumon non à petites cellules (NSCLC) non métastatique était déjà une problématique centrale à l'époque. On ne disposait alors que de peu d'options. En cas de médiastinoscopie négative, on optait pour la chirurgie. Si la médiastinoscopie se révélait positive avec la présence de ganglions lymphatiques, il restait la radiothérapie palliative dans le meilleur des cas. Le Pr Vansteenkiste a continué à creuser ce sujet de recherche, aboutissant à l'obtention d'une thèse de doctorat en 1996. Ce n'est qu'en 2004 qu'est paru, au nom du groupe d'étude sur le cancer du poumon de la KU Leuven, un article du Dr Lorent traitant de la survie à long terme de ces patients traités par cette stratégie combinée à la chirurgie qui, à la satisfaction de tous, conduisait à une survie à cinq ans de 21% dans cette population considérée précédemment comme palliative. 1 L'administration d'une chimiothérapie adjuvante chez ces patients atteints d'un NSCLC non métastatique constituait une nouvelle stratégie importante. À cet égard, l'étude IALT a représenté une avancée majeure. 2 L'étude a été lancée en 1994 à l'occasion de l' IASLC World Conference on Lung Cancer. Il a fallu attendre 10 ans avant que ses résultats puissent être présentés, résultats d'une nature telle qu'ils ont modifié radicalement la pratique quotidienne. La chimiothérapie adjuvante à base de cisplatine a amélioré de façon significative le pourcentage de guérison aux stades II et III, avec un gain de 12 à 15%. L'étape suivante a consisté à introduire la TEP au FDG. Même si la qualité des images de l'époque n'était pas comparable à celle d'aujourd'hui, cet examen était d'une valeur inestimable au sein de l'équipe pluridisciplinaire de Louvain3 ; il a mené à l'utilisation générale du TEP au FDG pour la stadification du NSCLC. L'évolution du traitement du NSCLC de stade IV débute avec un éditorial du Pr Hansen, dans lequel il répond en 1987 à une question: " Advanced NSCLC: to treat or not to treat? " En guise de réponse, il affirme que la chimiothérapie ne peut pas être recommandée et que les patients doivent idéalement être inclus dans des études cliniques. L'une d'entre elles a comparé quatre schémas de chimiothérapie. Le résultat n'a montré quasi aucune différence entre ces schémas (voir figure 1)4, ce qui a conduit en 2002 le Pr Desmond Carney à publier un éditorial dans le New England Journal of Medicine soulignant l'existence d'un " plateau of treatment ". En 2008, on a observé une première évolution modeste au niveau de ce " plateau ". De fait, une étude a montré que l'association composée de cisplatine et de pémétrexed permettait d'obtenir un meilleur résultat chez les patients présentant une histologie non épidermoïde, principalement dans les tumeurs adénomateuses. 5 Après l'hiver, le printemps. Pour les patients atteints d'un NSCLC de stade IV, le printemps est apparu, inattendu, sous la forme d'un comprimé et se basait sur une étude randomisée publiée en 2003.6 Cette étude a démontré qu'une activité pouvait être observée avec deux doses différentes de géfitinib chez des patients ayant déjà été traités par chimiothérapie. En outre, peu d'effets secondaires ont été observés. Toutefois, à ce moment-là, personne n'a bien compris pourquoi le géfitinib était très actif chez certains patients et pas chez d'autres. Ce n'est qu'en 2004 en effet que la mutation EGFR a été découverte. Le Pr Vansteenkiste souligne qu'il a fallu attendre à nouveau 10 ans avant d'obtenir l'approbation de la première application clinique des inhibiteurs de tyrosine kinase ciblant l'EGFR (ITK), à savoir le géfitinib, grâce à l'étude IPASS du Pr Tony Mok. 7 Une période d'attente de 10 ans donc, tout comme cela avait été le cas lors de l'étude IALT. Heureusement, nous disposons aujourd'hui de méthodes de meilleure qualité et nous pouvons progresser plus rapidement dans l'instauration de thérapies innovantes. Après le géfitinib sont apparus l'erlotinib, l'afatinib et l'osimertinib, d'abord dans les mutations T790M, ensuite en 1re ligne. Ces produits ont réellement changé la vie des patients. De fait, la survie médiane sans progression (PFS) a grimpé de 9,5 mois avec les ITK-EGFR de 1re génération, à 11,1 mois avec les ITK-EGFR de 2e génération, et jusqu'à près de 19 mois en 1re ligne avec les ITK-EGFR de 3e génération. Nous savons que l'EGFR est à l'origine de cette évolution, mais entretemps un grand nombre de " onco-genetic drivers " ont été identifiés dans les adénocarcinomes ; dans la foulée sont apparus des médicaments qui ont démontré une amélioration substantielle dans le cadre d'études cliniques. Le Pr Vansteenkiste a illustré cette évolution à l'aide d'un schéma (voir figure 2). Bien que tout ait commencé avec l'EGFR, l'ALK s'est lui aussi révélé être une cible importante, selon le Pr Vansteenkiste. En 2018, le Pr Ben Solomon a publié les chiffres de survie à cinq ans pour le NSCLC avec translocation ALK lors de l'utilisation des différents ITK et d'une chimiothérapie à base de pémétrexed. 8 Ces chiffres de survie à cinq ans de 52% contrastent évidemment fortement avec les résultats de l'étude de chimiothérapie à 4 bras (fig. 1) mentionnée par le Pr Vansteenkiste plus tôt dans son exposé. Selon le Pr Vansteenkiste, le tournant suivant dans le traitement du NSCLC métastatique correspond probablement à la publication du Pr Julie Brahmer en 2010.9 Les résultats d'une étude de phase I conduite avec le MDX-1106, plus tard connu sous le nom de nivolumab lui permettent de conclure que l'inhibition du point de contrôle immunitaire PD-1 via l'administration intermittente d'anticorps est bien tolérée et montre en outre une activité antitumorale. Aujourd'hui, soit 10 ans plus tard, nous avons accumulé d'innombrables études et même un prix Nobel dans le domaine de l'immunothérapie. Lorsque nous examinons à nouveau la survie, l'étude Keynote-024 de phase III nous apprend que chez les patients atteints d'un NSCLC avec une haute expression de PD-L1, le pembrolizumab montre une survie à cinq ans de près de 32%, sous forme de courbe avec plateau, comme nous l'a rapporté le Pr Brahmer lors de l'ESMO 2020 (fig. 3). 10 Chez les patients qui ont arrêté le traitement par pembrolizumab après la durée prévue de 2 ans, la survie à trois ans supplémentaires s'élevait à 81%. Tout aussi important était le fait que chez bon nombre de ces patients, aucun traitement ultérieur n'avait été administré. Une première étape vers la guérison de ces patients, se demande le Pr Vansteenkiste? Ces données de survie prometteuses ont été confirmées par une étude évaluant l'association nivolumab-ipilimumab, avec une survie de trois ans de 33%, également suivie par un plateau de la courbe de survie. Retrouvons-nous également ce bénéfice dans les pourcentages de guérison du NSCLC non métastatique? La réponse à cette question a été apportée par l'étude PACIFIC, dans laquelle du durvalumab avait été administré à des patients atteints d'un NSCLC de stade III après une chimioradiothérapie. Le bénéfice obtenu avec le durvalumab était à ce point important que le Pr Vansteenkiste l'a qualifié, lors de l'ESMO 2017, de " tsunami of benefit ". Les données de survie à quatre ans sont désormais disponibles pour cette étude. 11 La survie de près de 50% observée aujourd'hui est un progrès immense comparé à la situation décrite par le Pr Vansteenkiste au début de son exposé sur la radiothérapie palliative éventuelle que ces patients se voyaient administrer au cours des années 1980 en cas de médiastinoscopie positive. L'étape suivante consiste à rapporter toutes ces données positives au NSCLC primaire, pour lequel la chirurgie associée à un traitement néo-adjuvant et/ou adjuvant semble constituer une stratégie prometteuse. Dans le contexte adjuvant, des études évaluant l'immunothérapie ont déjà été menées et les résultats sont attendus avec impatience. Dans le contexte néo-adjuvant, une série de critères d'évaluation " de substitution " peuvent être utilisés. Ainsi, il existe des données prometteuses issues de l'étude NADIM, une étude espagnole de phase II évaluant l'association composée d'une chimiothérapie néo-adjuvante et de nivolumab. Plusieurs études randomisées de phase III sont également en cours sur ce plan. La dernière partie de l'exposé du Pr Vansteenkiste était consacrée à l'avenir. À quoi pouvons-nous nous attendre dans les 10 années à venir dans le domaine du NSCLC non métastatique? Le Pr Vansteenkiste s'attend à ce que la chimiothérapie à base de platine reste le traitement standard pour le NSCLC de stades II et III dans lequel une résection complète (R0) a été réalisée. L'immunothérapie sera probablement ajoutée à cette chimiothérapie afin d'améliorer encore les données de survie. Du reste, nous devrions recevoir cette année les données de survie à cinq ans de l'étude PACIFIC. Il est désormais établi que les traitements ciblés (targeted) donnent lieu à une sorte d'effet de stade IV chez ces patients atteints d'un cancer non métastatique. Mais quant à savoir si cet effet conduira à une amélioration des chiffres de survie, cette question reste momentanément en suspens. Ce qui est clair, c'est qu'un très grand nombre de traitements deviennent soudain disponibles pour ces patients. Le Pr Vansteenkiste se demande dès lors avec raison si nous ne devrions pas réfléchir au principe du " less is more ". Nous pourrions peut-être avoir recours à l'avenir à des marqueurs de la maladie, tels que l'ADN circulant, pour déterminer quel patient a besoin de quoi à quel moment, afin d'éviter le surtraitement. Pour le NSCLC métastatique également, une chimiothérapie à base de platine restera probablement la prise en charge standard pour les patients chez lesquels aucun biomarqueur ne peut être identifié, estime le Pr Vansteenkiste. Nous connaissons à ce jour plusieurs biomarqueurs prédictifs pour lesquels une thérapie ciblée est disponible. Bien entendu, nous savons aussi que la lutte entre les mécanismes de résistance acquise aux traitements existants et les nouvelles molécules ou associations de ces molécules se poursuivra sans fin. À côté de cela, indépendamment de l'intérêt relatif du PD-L1, nous devons, selon le Pr Vansteenkiste, rechercher de toute urgence de meilleurs biomarqueurs prédictifs, afin de pouvoir administrer une immunothérapie elle aussi davantage adaptée au patient individuel. L'immunothérapie individualisée ( tailored) conduira (probablement) à l'obtention de pourcentages plus élevés de guérison. Pour terminer, le Pr Vansteenkiste mentionne encore les molécules prometteuses que sont les conjugués anticorps-médicament ( antibody-drug conjugates), qui formeront peut-être la première étape vers une chimiothérapie " ciblée ".