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BiS : anticorps bispécifiques et ADC : conjugués anticorps-médicamentCD123 est une cible légitime pour l'immunothérapie : cette sous-unité alpha du récepteur à l'IL-3 se rencontre sur les basophiles et les précurseurs hématopoïétiques précoces et est souvent exprimée sur les cancers hématologiques, comme l'AML (98 %), la MDS (50+ %) et la B-ALL (82-100 %). On possède déjà une certaine expérience avec l'anticorps BiS CD123xCD3 dans un contexte de recherche. Son efficacité a été démontrée, moyennant un ORR chez 15 % ou plus, surtout dans la population ayant un nombre moins élevé de blastes leucémiques, et une stabilisation de l'évolution chez 70 % de patients en plus. Comme on pouvait s'y attendre, le syndrome de libération de cytokines (CRS) était l'effet indésirable majeur, observé chez 60 % des 112 patients AML, mais son intensité a rarement atteint le grade 3 ou 4.Le flotétuzumab, un autre anticorps BiS CD123xCD3, apprend aux lymphocytes T à tuer les cellules tumorales et les reconnaît indépendamment de la TCR et du MHC (indépendamment du type de HLA). La réponse est meilleure en présence d'un plus grand nombre de cellules immunitaires infiltrantes dans le milieu tumoral. Dans une population d'étude avec échec de la thérapie d'induction et récidive précoce, 60 % des patients ont obtenu une réduction de la population blastique après une médiane d'1 cycle. Une CR a été constatée chez 14 % des sujets. La fréquence du CRS a rapidement diminué dans le temps, offrant une possibilité de thérapie ambulatoire après quelques semaines.Et n'oublions pas le PVEK : un ADC doté d'une haute affinité pour CD123 et conjugué à un pseudodimère d'indolobenzodiazépine qui alkyle l'ADN et provoque des cassures de l'ADN simple brin. La puissance contre les cellules tumorales est très élevée, moyennant une moindre toxicité sur la moelle osseuse normale. La trithérapie PVEK+AZA+Ven d'une AML R/R CD123+ a permis d'obtenir un ORR de 38 % moyennant une CCR de 22 % et une CR de 14 %. Il n'y a eu ni CRS, ni syndrome de lyse tumorale, ni VOD, ni syndrome de fuite capillaire ! La CCR médiane était de 8 mois et 32 % des cas sont devenus MRD-négatifs ! Chez les patients naïfs de vénétoclax, l'ORR était de 53 % et la CCR était de 38 %, voire plus en présence des mutations TET2 ou FLT3-ITD. En traitement de première ligne (faible nombre de patients), la CR s'est montée à 50 % et 75 % ont atteint le statut MRD-négatif après 1 cycle.Les ADC sont plus efficaces en cas de charge tumorale augmentée, par rapport aux BiS qui reposent sur le recrutement de cellules immunitaires intactes. Mais les BiS ont le potentiel de convertir le statut MRD en négatif. Les polythérapies doivent nécessairement faire l'objet d'études complémentaires.Thérapie à base de macrophages et de cellules NKLa réponse immunitaire comprend des interactions entre le système immunitaire adaptatif et le système immunitaire inné, non adaptatif. Les fonctions effectives de ce dernier sont la phagocytose (par les macrophages et les PMN) et la cytotoxicité naturelle (par les cellules NK). CD47 est une protéine transmembranaire exprimée largement pour le ligand de SIRPa (signal regulatory protein alpha), qui déclenche une cascade de transduction du signal, avec inhibition de la phagocytose : un effet "Don't eat me" ! Malheureusement, CD47 est un point de contrôle des macrophages qui est surexprimé sur de nombreuses cellules cancéreuses, y compris dans l'AML : l'expression accrue de CD47 résulte en un pronostic plus négatif .Le magrolimab est la première molécule de la classe thérapeutique des inhibiteurs de points de contrôle des macrophages. L'association magrolimab+AZA induit une réponse élevée dans la HR-MDS, avec une CR de 33 % et un ORR de 75 %, tant avec que sans mutation TP53. L'OS médiane est encourageante dans les deux groupes et n'est même pas encore atteinte chez les sujets non porteurs de la mutation TP53, après un suivi médian de 17 mois. Chez les porteurs de la mutation TP53, l'OS médiane s'élève quand même à 16 mois. Au moins deux études de phase 3 sont en cours avec le magro en première ligne : Enhance-2 compare l'association magro+AZA au choix standard, tandis qu'Enhance-3 compare la trithérapie magro+AZA+Ven à l'association AZA+Ven chez des patients AML plus âgés.L'évorpacept est un autre anticorps monoclonal dirigé contre CD47 qui, utilisé en trithérapie en association avec AZA+Ven dans la HR-MDS, a atteint un ORR de 50 à 60 %, y compris chez des patients R/R (étude ASPEN-08).Thérapie cellulaire CAR-T dans l'AMLPlusieurs nouvelles cibles sont en cours d'étude en vue d'atteindre une spécificité antitumorale suffisante : néoantigènes intracellulaires ; marqueurs membranaires spécifiques de cellules myéloïdes néoplasiques ; CAR-T avec fabrication d'antigènes spécifiques du cancer. Cette dernière possibilité repose sur le traitement de type "gene editing/epitope editing" sur des cellules CAR-T, ciblant l'élimination de la maladie et la régénération de la formation de cellules sanguines normales. CD45 est crucial en tant qu'antigène pan-hématopoïétique. Une cartographie épitopique séquentielle a permis d'identifier des CART45 utiles. Le système hématopoïétique est resté fonctionnel en dépit de l'édition génique. La combinaison de deux plateformes d'engineering - CRISPR pour les lymphocytes T et les cellules HSC et transduction CAR pour les lymphocytes T - produit donc une spécificité contre l'AML, sans véritable dépression médullaire.Anticorps bispécifiques (BiS) recruteurs de lymphocytes T dans l'AMLLes obstacles à l'immunothérapie basée sur les BiS contre l'AML sont complexes.- Choix de l'antigène cible :Le CD33 en est un exemple : les BiS recruteurs de lymphocytes T font actuellement l'objet d'études cliniques de phase 1 dans l'AML R/R ! Les anti-CD123 (p. ex. flotétuzumab) ou anti-CD33 (p. ex. AMG330, AMG 673) donnent déjà une CR de 14 à 30 %, mais moyennant la survenue d'un CRS dans 50 à 100 % des cas (tous grades confondus). Ces médicaments provoquent une toxicité dite "on target/off tumor" : la fenêtre thérapeutique est étroite ! Pour augmenter la spécificité à l'AML, le FLT3 peut servir de cible étant donné qu'il a une faible expression sur les cellules médullaires normales ou d'autres tissus. L'expression de l'ARN du FLT3 dans l'AML est plus spécifique et indépendante du statut de mutation FLT3. Cette expression peut être augmentée par l'exposition aux TKI. La cytotoxicité est effectivement augmentée par l'association de BiTE anti-FLT3 et de TKI (modèles expérimentaux).Une meilleure stratégie de ciblage repose sur la conception de constructions dirigées sur une spécificité plus forte moyennant moins de possibilités d'échappement. À titre d'exemple, citons les anticorps composites trispécifiques tels qu'ils sont déjà appliqués dans le myélome (ciblage sur CD38+/SLAMF7+) avec une moindre toxicité "on target/off tumor".- L'effet "antigen sink" existe : par l'internalisation des molécules ciblant CD33 et CD123. Cela peut être dérivé de la nécessité de concentrations sériques de BiTE anti-CD33 plus élevées dans l'AML par rapport aux concentrations de BiTE anti-CD19 dans les lymphomes.- La dysfonction lymphocytaire T est, elle aussi, possiblement gênante, avec des arguments en faveur de l'épuisement lymphocytaire T par les BiS. Au lieu d'une exposition continue aux BiS, les intervalles sans traitement (TFI) semblent mieux préserver la fonctionnalité des lymphocytes T. Un TFI induit une reprogrammation transcriptionnelle et participe, de ce fait, au contrôle de la leucémie (in vivo dans un modèle d'ALL). Dans les lymphomes, l'association d'un BiTE anti-CD19 et de dasatinib (un TKI) préserve aussi la fonction lymphocytaire T, ce qui a un impact clinique.- Les "Escape Variants" posent un problème pratique. Le ciblage sur des antigènes intracellulaires (comme les néoantigènes) ouvre un nouveau chapitre. Des molécules BiS "TCR mimicry" et "TCR-like" sont en cours de développement : avec une molécule de liaison à base de TCR ou un ligand anticorps-cible. Par exemple : le peptide WT1 bien connu, présenté dans le contexte du HLA-A*02 ; les cellules AML sont reconnues par les lymphocytes T spécifiques de WT1. Une étude de phase 1 a été démarrée, naturellement chez des individus HLA-A*02 (un sérotype fréquent).- L'activation physiologique de lymphocytes T a toujours besoin de 2 signaux : le peptide TCR-HLA et les costimulateurs positifs connus (CD80/86-CD28). C'est une condition sine qua non pour les actions lymphocytaires T médiées par les BiTE anti-CD33xCD3 : une expression suffisante de molécules costimulantes sur les cellules cibles est nécessaire. Un exemple d'une telle construction est le Fab-4-1BBL qui, en association avec un BiS anti-WT1, renforce et entretient la cytotoxicité (dans les cultures cellulaires). La régulation à la hausse positive de points de contrôle inhibiteurs (p. ex. PD-L1) est encore un autre mécanisme d'échappement contre les BiS. Des "Checkpoint Inhibitory T cell Engagers" (CITE) sont mis en oeuvre comme possible solution, avec une inhibition locale de PD-1/PD-L1 : résistance contournée et potentiellement aussi moins de toxicité.Des conjugués d'anticorps bi- ou trispécifiques sont en cours de développement, résultant en un ciblage de la tumeur, une inhibition de points de contrôle et une costimulation des lymphocytes T associée à une action efficace de longue durée. L'association d'un antagoniste de type "innate immunity blockade" (comme le magrolimab !) et d'un anticorps anti-CD123 de haute affinité semble également très actif (in vitro) contre les cellules AML.