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Recherche translationnelle: immunothérapie dans le carcinome du côlon MSS Le système MMR (mismatch repair) détecte et corrige les mésappariements de base, les insertions et les délétions qui se produisent pendant la synthèse de l'ADN. La déficience du système MMR (MMRd, mismatch repair deficiency) à la suite de modifications génétiques ou épigénétiques qui perturbent l'expression des gènes MMR est présente dans 15% des cas de carcinome colorectal (CCR) de stadeI à III et dans 5% des cas de carcinome colorectal métastatique (CCRm). Un fonctionnement défectueux du système MMR est à l'origine de très nombreuses modifications génomiques et de la charge mutationnelle tumorale (TMB, tumor mutational burden), exprimée par le nombre de mutations par zone de codage dans un gène tumoral. Des néo-antigènes sont alors produits, entraînant une réponse immunitaire. La TMB est un biomarqueur de la réponse à un traitement par anti PD-(L)1. Yarchoan1 a montré une corrélation significative entre la TMB et la réponse dans divers types de tumeur. Le coefficient de corrélation était de 0,74. La TMB pourrait donc expliquer dans une large mesure la différence de réponse entre les types de tumeur, mais aussi le rôle déterminant d'autres facteurs. Les anticorps anti-PD-(L)1 sont cliniquement actifs dans le carcinome colorectal avec MMRd, caractérisé par une TMB élevée, contrairement aux tumeurs avec système MMR compétent (MMRp, MMR proficient) et TMB faible qui ne répondent pas à l'immunothérapie2. Comme 95% des CCRm sont MMRp/MSS (microsatellite stability), comprendre comment les tumeurs immunologiquement "froides" peuvent devenir "chaudes" est un des plus grands défis de la recherche translationnelle dans le CCRm. L'étude du traitement des glioblastomes par témozolomide (TMZ) a été à la base des études cliniques évaluant le TMZ chez des patients atteints d'un CCRm. Le TMZ est un agent alkylant qui induit une méthylation des bases purines de l'ADN, avec formation de l'O6-méthylguanine cytotoxique. La méthylguanine méthyltransférase (cellules MGMT-positives) neutralise l'O6-méthylguanine par transformation en guanine, entraînant ainsi la survie de la cellule. La désactivation épigénétique de la MGMT par méthylation du promoteur (cellules MGMT-négatives) compromet la réparation de l'ADN et l'O6-méthylguanine engendre la mort de la cellule ainsi que la réponse tumorale. Les patients atteints d'un glioblastome qui renferme un promoteur de la MGMT méthylé ont tiré profit du témozolomide, contrairement à ceux sans promoteur de la MGMT méthylé3. En l'absence d'expression de la MGMT, le statut du système MMR détermine la survie. Dans les cellules où le système MMR est compétent, une réparation inutile provoque des cassures double-brin et la mort de la cellule. Les cellules où le système MMR est déficient sont tolérantes au mésappariement des bases (Figure 1). Une résistance acquise au TMZ dans les glioblastomes MGMT-négatifs est associée à l'apparition de mutations inactivatrices dans les gènes MMR, tels que MSH6, caractéristiques de la "signature du TMZ" dans le génome de la cellule tumorale. Des études de phase II confirment que le TMZ sensibilise les tumeurs MSS du côlon à l'immunothérapie L'étude ARETHUSA4 a montré que le TMZ est capable d'inactiver les gènes MMR et, ainsi, de sensibiliser à l'immunothérapie le CCRm MGMT-négatif présentant une mutation RAS et réfractaire aux traitements standard (Figure 2). Lors de l'étude clinique ARETHUSA, 30 patients atteints d'un CCRm MMRp/MSS, MGMT-négatif, présentant une mutation RAS, ont reçu un traitement par TMZ au cours d'une 1re phase. Le TMZ a un effet antitumoral direct, mais agit aussi comme "amorce pharmacologique" qui augmente la TMB à la suite de mutations inactivatrices des gènes MMR. 17 des 30 patients, déjà traités de manière intensive, ont obtenu une stabilisation de la maladie sous TMZ. Après le traitement par TMZ, l'analyse d'échantillons de tissu et de sang (ADNtc) a mis en évidence une signature mutationnelle spécifique du TMZ et une TMB accrue. Des mutations se sont produites dans les gènes MMR et le variant MSH6 p.T1219I a été détecté chez 16 des 17 patients (94%). Ces mutations sont corrélées avec la signature du TMZ. Les résultats permettent en outre de penser que l'effet moléculaire du TMZ était hétérogène. Toutes les lésions et toutes les régions de la tumeur ne présentaient pas la signature du TMZ, laquelle était souvent sous-clonale. L'examen de l'ADNtc possède ici l'avantage potentiel de contenir le profil moléculaire complet de la tumeur. Au cours de la 2e phase (l'immunothérapie), une valeur seuil de 20 mutations par mégabase (mutations/Mb) était exigée dans la biopsie post-TMZ. Le séquençage nouvelle génération, avec dosage de la TMB sous-clonale, était requis, complété par une analyse tissulaire, limitée par l'hétérogénéité, avec détermination de l'ADNtc. L'ADNtc peut être faussement négatif en cas de localisation telle que le péritoine ou le poumon. 6 patients ont reçu du pembrolizumab en monothérapie. Aucun patient n'a obtenu une réponse de la maladie (RECIST) et 2 ont présenté une progression de la maladie. La maladie était sous contrôle chez 4 patients, dont 3 avec une stabilisation de longue durée, à savoir 7, 9 et 33 cycles de traitement avant progression. 1 patient, avec une stabilisation tumorale après 5 cycles, est décédé d'une cause sans lien. Une étude longitudinale chez le patient dont le contrôle de la tumeur a dépassé 2 ans a montré que l'action du traitement par inhibiteurs de point de contrôle était dirigée contre la fraction MMRd de la tumeur. La mutation p.T1219I de MSH6 apparaissant dans le sang après le traitement par TMZ a diminué pendant l'immunothérapie pour disparaître après 9 cycles de traitement par pembrolizumab. Cette mutation était en corrélation avec la valeur de KRAS, de TP53 et de la TMB. Les conclusions de l'étude ARETHUSA coïncident avec celles de l'étude MAYA5. Cette étude de phase II, multicentrique, à bras unique, a évalué l'amorçage par TMZ suivi par la combinaison d'une faible dose d'ipilimumab et de nivolumab chez les patients atteints d'un CCRm MSS MGMT-négatif. La population finale de l'étude se composait de 33 patients. Sur les 716 patients sélectionnés, 204 étaient éligibles après un screening moléculaire, et 135 ont commencé l'"amorçage" par TMZ. Parmi eux, 33 ont obtenu le contrôle de la maladie et ont pu entamer la 2e phase. Il est à noter que seul un petit sous-groupe était éligible à cette approche. Le critère d'évaluation principal était la PFS à 8 mois, calculée à partir du début de l'immunothérapie dans ce sous-groupe. Après un suivi médian de 23,1 mois (14,9-24,6mois), la PFS à 8 mois était de 36%. La PFS et l'OS médianes étaient, respectivement, de 7,0mois et 18,4 mois et sont favorables par rapport à celles des options standard dans les lignes ultérieures disponibles pour les patients atteints d'un CCRm non soumis au screening moléculaire. L'aplatissement de la courbe de la PFS et la survenue d'une réponse chez 5 patients après 8 mois semblent indiquer l'efficacité de l'immunothérapie dans un sous-groupe de patients. L'ORR a atteint 45%, sans se traduire par une réponse durable, contrairement à ce qui a été observé avec les tumeurs MSI-H/MMRd traitées par inhibiteurs de point de contrôle. Le taux de réponse était également relativement faible lors de la 2e partie du traitement. L'hétérogénéité de la déficience acquise du système MMR et son caractère sous-clonal peuvent l'expliquer. Les effets indésirables de grade III-IV liés à l'immunité étaient une éruption cutanée (6%), une colite (3%) et une hypophysite (3%). Aucun effet indésirable imprévu ni décès lié au traitement n'est survenu. L'analyse de la biopsie initiale et après TMZ, menée chez 4 patients, a mis en évidence une augmentation de la TMB expliquant l'action de l'immunothérapie. ?La sélection clinique en vue d'un rechallenge par anticorps anti-EGFR est complexe Le cétuximab et le panitumumab, des anticorps anti-EGFR, sont des traitements standard chez les patients atteints d'un CCRm RAS/BRAF de type sauvage. Il a été montré qu'ils prolongeaient la survie en cas de localisation de la tumeur primitive du côté gauche. Les patients répondant au blocage de l'EGFR ont développé une résistance. La résistance acquise au traitement anti-EGFR est associée à la néoformation de mutations activatrices dans les effecteurs en aval de l'EGFR (principalement RAS et BRAF) ou de mutations dans le domaine extracellulaire (DEC) de l'EGFR qui interfèrent avec la liaison des anticorps au récepteur. Il est intéressant de noter que les clones présentant ces mutations de résistance diminuent pendant la poursuite du traitement après l'interruption du blocage de l'EGFR administré en 1re ligne. Cette observation est à la base du nouveau traitement par inhibiteurs de l'EGFR dans une ligne ultérieure (rechallenge). Le rechallenge basé sur des critères de sélection cliniques a permis d'obtenir un taux de réponse de 8 à 20%. Une étude rétrospective n'a pas pu retenir de facteurs cliniques prédisant de manière fiable un avantage du nouveau traitement par anti-EGFR. Seuls un nombre de lignes de traitement antérieures >2 et un intervalle sans anti-EGFR plus long ont présenté, dans un sous-groupe, une corrélation avec un ORR plus élevé, mais pas avec une PFS ou une OS plus longue6. ?La biopsie liquide peut améliorer la sélection: données rétrospectives. L'étude CRICKET L'étude de phase II multicentrique CRICKET7 indique que la biopsie liquide peut améliorer la sélection en vue de l'analyse de l'ADNtc. L'étude à bras unique a inclus 28patients atteints d'un CCRm RAS/BRAF de type sauvage, qui présentaient une progression de la maladie après un traitement par cétuximab en association avec l'irinotécan en 1re ligne et par bévacizumab en association avec l'oxaliplatine en 2e ligne. Lors de cette étude, les patients ont reçu un rechallenge par cétuximab après la réalisation d'une biopsie liquide en vue de l'analyse de l'ADNtc. L'ORR, critère d'évaluation principal, s'élevait à 21%. L'analyse de l'ADNtc à la situation de référence du rechallenge a révélé des mutations RAS chez 12 des 25patients évaluables (48%). La PFS médiane était significativement plus longue chez les patients présentant un ADNtc avec RAS de type sauvage, par rapport à un ADNtc avec RAS mutant: respectivement 4,0mois et 1,9mois (HR, 0,44 ; p=0,03). En outre, une réponse n'a été observée que dans l'ADNtc des tumeurs RAS de type sauvage. Cette étude a confirmé l'efficacité du rechallenge par inhibiteurs de l'EGFR chez des patients sélectionnés sur la base de critères cliniques, mais suggère qu'une sélection sur une base moléculaire est meilleure. L'étude CHRONOS a testé cette hypothèse de manière prospective. ? La biopsie liquide peut améliorer la sélection: données prospectives. L'étude CHRONOS L'étude multicentrique de phaseII CHRONOS(8) a évalué un rechallenge par panitumumab, à l'aide d'une détermination prospective des mutations de résistance dans l'ADNtc. Les patients inclus dans l'étude étaient atteints d'un CCRm avec RAS/BRAF de type sauvage, déjà traité par anti-EGFR avec réponse et par un régime sans anti-EGFR après progression. La confirmation du statut RAS de type sauvage, BRAF de type sauvage et DEC de l'EGFR de type sauvage dans l'ADNtc était requise avant le début du rechallenge par RAS/BRAF (Figure 3). La sélection de 52patients en a retenu 36 sans mutation de résistance détectable, dont 27 ont reçu un rechallenge par anti-EGFR. 8 patients (30%, 12-47%) ont obtenu une réponse partielle, dont 2 non confirmées. La maladie a été sous contrôle pendant plus de 4mois chez 17patients (63%, 41-78%). Compte tenu du fait que les patients étaient réfractaires aux traitements classiques (médiane de 3 lignes), la réponse au panitumumab en monothérapie était notablement favorable, par rapport aux traitements standard en 3e ligne tels que le régorafénib ou le trifluridine/tipiracil. Il est à noter qu'il n'y avait pas de corrélation entre l'intervalle sans anti-EGFR et le résultat de l'analyse de l'ADNtc et la probabilité de réponse, ce qui permet de penser que le statut "mutation nulle" de l'ADNtc est le principal facteur prédictif de l'efficacité du rechallenge anti-EGFR. Ces résultats cliniques montrent qu'une détermination des mutations de résistance au moyen de la biopsie liquide a permis de guider un rechallenge par anti-EGFR de manière efficace et sûre, en temps voulu, chez les patients atteints d'un CCRm. Il est important de souligner que chez ces patients déjà traités de manière intensive, le traitement possédait un profil d'effets indésirables acceptable. 22% ont présenté des effets indésirables de grade III/IV. Les effets indésirables graves les plus fréquents étaient une éruption cutanée (3/32 patients, 9%), une folliculite (2 patients, 6%), une paronychie (1 patient, 3%) et une dermatite (3%). Aucun patient n'a dû interrompre le traitement à la suite d'effets indésirables. Le Pr Sclafani a conclu que la recherche translationnelle est nécessaire pour faire avancer le traitement du cancer. Lors de la conception d'une étude prospective, les chercheurs doivent toujours envisager la collecte de matériel biologique et la planification d'une analyse des biomarqueurs corrélatifs. Les scientifiques, les chercheurs cliniques et les cliniciens doivent collaborer dans le cadre du développement de l'oncologie de précision.