Lors de la réunion post-ASCO du 27 juin dernier, le Pr Eric Van Cutsem, chef du service d'oncologie digestive de l'UZ Leuven, a présenté un petit topo des dernières nouveautés dans le domaine de l'oncologie digestive. Il a entamé son exposé par les progrès de la sélection moléculaire lors de l'instauration du traitement d'un carcinome colorectal métastatique (CCRm) et plus particulièrement par l'instabilité des microsatellites.
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On distingue dans le cancer du côlon deux voies qui mènent à deux formes distinctes de la maladie : l'instabilité chromosomique et l'instabilité génétique, et plus précisément celle des microsatellites (MSI-H, pour microsatellite instability-high). Cette dernière se retrouve chez environ 5 % des patients atteints d'un CCRm, et des recherches ont déjà pu démontrer dans le passé que le recours aux inhibiteurs des points de contrôle permettait d'obtenir une réponse durable chez des patients atteints d'un CCRm MSI-H et ayant déjà bénéficié d'un autre traitement au préalable. En-dehors de l'Europe, le pembrolizumab et le nivolumab ± ipilimumab sont déjà approuvés pour le traitement de 2e ou 3e ligne des patients atteints d'un CCRm. Les résultats de l'étude Keynote-177, qui démontrent la supériorité du pembrolizumab sur une chimiothérapie standard en première ligne chez les patients atteints d'un CCRm MSI-H, sont l'une des nouveautés de cette année1. Dans le cadre de cette étude, plus de 300 patients ont été randomisés pour recevoir soit du pembrolizumab, soit une chimiothérapie au choix de l'investigateur. Le double critère d'évaluation primaire recouvrait la survie sans progression (SSP) et la survie globale (SG), les critères d'évaluation secondaires étant le taux de réponse objective (TRO) et la sécurité ; les résultats concernant la SSP et la SG ont été présentés lors de l'ASCO (voir figure 1). Le traitement par pembrolizumab permettait d'obtenir une SSP accrue de façon statistiquement significative et cliniquement pertinente en comparaison avec la chimiothérapie standard. Le TRO aussi était clairement plus élevé, de l'ordre de 43,8% sous pembrolizumab vs 33,1% sous chimiothérapie, et la persistance de la réponse était également améliorée. On peut s'attendre à ce que, sur le terrain, ces données débouchent sur une évolution du traitement de première ligne des patients atteints d'un CCRm MSI-H. Le Pr Van Cutsem souligne néanmoins que, à l'entame du traitement, certains patients sous pembrolizumab affichaient une progression plus rapide que ceux qui recevaient la chimiothérapie. Des stratégies supplémentaires seraient donc nécessaires pour ce groupe de malades, comme p.ex. des méthodes de sélection plus pointues ou d'autres options thérapeutiques. En ce qui concerne ce dernier point, les données de l'étude CheckMate 142 (dont une mise à jour a également été présentée lors du congrès ASCO2) pourraient bien ouvrir la voie à une piste intéressante. CheckMate 142 est une étude non randomisée dans le cadre de laquelle 45 patients atteints d'un CCRm MSI-H ont été traités en première intention au moyen d'une combinaison de nivolumab et d'ipilimumab. Le TRO s'élevait ici à près de 70 %, avec un taux de réponse complète de 13 % ; la SG sur une période de 2 ans atteignait près de 80 %. Il pourrait donc être extrêmement intéressant d'examiner si le groupe de patients affichant une progression rapide dans Keynote-177 pourraient retirer un bénéfice d'un traitement combiné au moyen de deux inhibiteurs des points de contrôle. Environ 8 à 12 % des patients qui souffrent d'un CCRm sont porteurs d'une mutation BRAF V600E, associée à un pronostic défavorable. Contrairement à ce qui se passe en cas de mélanome, le traitement par un inhibiteur de BRAF ne semble pas présenter d'activité chez ces malades et il semble qu'il soit nécessaire d'inhiber la voie de signalisation MAPK à plusieurs niveaux. L'an dernier, on avait déjà pu découvrir les premières données de l'essai BEACON, réalisé chez 615 patients atteints d'un CCRm qui avaient déjà subi un ou deux traitements antérieurs, qui visait à comparer une thérapie triplet associant l'encorafenib (un inhibiteur du BRAF), le binimetinib (un inhibiteur du MEK) et le cetuximab (un anticorps monoclonal anti-EGFR) à une thérapie doublet à base d'encorafenib et de cetuximab et à un bras contrôle qui recevait une chimiothérapie. Les auteurs avaient déjà rapporté l'année dernière que la thérapie triplet et la thérapie doublet débouchaient toutes deux sur une amélioration de la SG et du TRO en comparaison avec la chimiothérapie, et une analyse mise à jour de la SG vient d'établir que la thérapie triplet ne présente pas de bénéfice supplémentaire par rapport au traitement doublet3. Sur la base de ces données, la FDA et l'EMA ont entre-temps approuvé l'association encorafenib + cetuximab comme standard du traitement de 2e ou 3e intention des patients atteints d'un CCRm et porteurs d'une mutation BRAF V600E. Environ 4-5 % des CCRm sont des tumeurs HER2-positives. Des études antérieures avaient déjà démontré l'efficacité des traitements ciblant le récepteur HER2 chez les patients atteints d'un CCRm HER2+, avec un TRO de 30-35 % pour les combinaisons trastuzumab/lapatinib et trastuzumab/pertuzumab chez des patients RAS wild-type. Cette année ont été présentées pour la première fois des données concernant l'association trastuzumab-deruxtecan (T-DXd), qui combine une activité anti-HER à une inhibition de la topoisomérase4. DESTINY CRC-01 est un essai ouvert de phase 2 toujours en cours à l'heure actuelle, qui vise à investiguer l'efficacité de l'association T-DXd chez des patients CCRm HER2+ avec statut RAS/BRAF wild-type ayant déjà bénéficié de deux traitements antérieurs. Il a observé un TR de 45,3 % avec une SSP de 6,9 mois. Le Pr Van Cutsem précise que ces données pourraient, là aussi, bouleverser notre pratique de terrain. D'autres résultats encourageants et susceptibles de faire évoluer la pratique clinique dans le futur ont également été présentés concernant les tumeurs métastatiques HER2+ de l'estomac ou de la jonction gastro-oesophagienne5,6. Dans une étude de phase 2 réalisée au Japon et dans l'est de l'Asie, des patients préalablement traités par trastuzumab ont été randomisés pour recevoir soit une thérapie par trastuzumab- deruxtecan, soit une chimiothérapie au choix de l'investigateur. 50 % des patients prétraités par trastuzumab ayant reçu le T-DXd en 2e ligne affichaient une réponse objective, vs 14 % du groupe qui avait bénéficié d'une chimiothérapie. Des études similaires sont actuellement en cours dans la population occidentale. Le traitement standard du carcinome rectal localement avancé repose actuellement sur une intervention chirurgicale précédée d'une chimiothérapie préopératoire. Les métastases à distance restent toutefois un problème majeur et se retrouvent chez 25-30 % des patients après une première chimiothérapie suivie d'une opération. Les pistes investiguées jusqu'ici pour parvenir à de meilleurs résultats sont une chimiothérapie néoadjuvante avant ou après la chimio-radiothérapie préopératoire et un traitement non opératoire (stratégie dite " watch & wait "), l'idée étant d'un côté d'intensifier le traitement (en renforçant la chimiothérapie avant l'opération), de l'autre de le désintensifier (en limitant le recours à la radiothérapie et à la chirurgie). Le Pr Van Cutsem a commenté les données de trois études qui ont examiné chacune une stratégie expérimentale différente pour la comparer à l'approche standard, les essais RAPIDO, Prodige 23 et OPRA7,8,9. Sur la base de ces données, le spécialiste observe que nous nous dirigeons vers une nouvelle approche reposant sur davantage de chimiothérapie préopératoire, avec pour nouveau standard une brève série de séances de radiothérapie (5x5Gy) suivie d'une chimiothérapie à base d'oxaliplatine, et un recours à la chirurgie réservé aux cas où elle est réellement nécessaire.