Le 3 février dernier, Bayer a organisé une conférence post ASCO-GI. Après un tsunami de données en 2021, le congrès 2022 de l'ASCO n'a pas rapporté d'avancées majeures pour les tumeurs oesophagiennes/gastriques, pancréatiques et colorectales où l'année a été assez calme. Cette année, les projecteurs étaient braqués sur le cholangiocarcinome et le carcinome hépatocellulaire.
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La Pr Demols a abordé les carcinomes biliaires, sujet qu'elle a aussi traité lors de la conférence ONCO du 15 février (lire p. 14 et suiv.). Nous nous concentrons ici sur la présentation du Pr Chris Verslype, qui s'est penché sur les données de l'ASCO GI "qui changent la pratique" en les situant dans le paysage du traitement du carcinome hépatocellulaire (HCC). La bithérapie atézolizumab + bévacizumab (atézo-bév) est le traitement de 1er choix en 1re ligne du HCC avancé. Dans l'étude IMBrave 1501, l'association a permis d'atteindre de meilleures OS et PFS par rapport au sorafénib (sora). Il n'existe pas encore de comparaison directe avec le lenvatinib. Pour tirer un bénéfice du traitement atézo-bév, les patients doivent avoir une fonction hépatique préservée ( statut Child-Pugh A compensé en présence d'une cirrhose sous-jacente) et ne pas être exposés à un haut risque d'hémorragie. Un examen de dépistage du tube digestif haut par voie endoscopique est indiqué. L'efficacité du traitement atézo-bév dans le HCC d'étiologie non virale reste incertaine2. L'étude randomisée de phase III HIMALAYA3, présentée à l'occasion de l'ASCO GI 2022, offre une nouvelle option de traitement de 1re intention. Elle a inclus des patients atteints d'un HCC non résécable, qui n'avaient pas reçu de traitement systémique. Elle a comparé 3 bras: un bras de 393 patients traités par durvalumab (durva) avec administration unique de trémélimumab au début de l'étude (STRIDE), un bras de 389 patients traités par durva en monothérapie et un bras témoin de 389 patients traités par sora. Un statut > Child-Pugh A et une thrombose de la veine porte étaient des critères d'exclusion, mais la gastroscopie et le traitement des varices n'étaient pas nécessaires pour l'inclusion.L'étude a atteint son critère d'évaluation principal: une OS significativement supérieure avec le schéma STRIDE qu'avec le sora. L'OS médiane s'est élevée respectivement à 16,4 (14,2-19,6) et 13,8 (12,3-16,1) mois (HR: 0,78 ; p = 0,0035). De même, l'OS sous durva en monothérapie n'était pas inférieure par rapport au sora (HR: 0,86). L'OS à 3 ans a été de 30,7% dans le bras STRIDE, 24,7% dans le bras durva et 20,2% dans le bras sora. Une analyse de sous-groupe a également dégagé un bénéfice significatif pour les patients avec atteinte hépatique non virale sous-jacente, également répartis entre les 3 bras, représentant quelque 40% des patients. La réponse au traitement a été nettement supérieure dans le groupe traité par immunothérapie, mais inférieure à celle atteinte dans l'étude IMBrave150 avec atézo-bév. La PFS s'est avérée comparable entre les trois bras, ce qui est difficile à expliquer comme l'a noté le Pr Verslype. Les patients n'ont pas développé d'effets secondaires inattendus en cours de traitement. Des effets indésirables de grade III/IV liés au traitement sont survenus chez 25,8% des patients du bras durva/trémélimumab, chez 12,9% des patients du bras durva et chez 36,9% des patients du bras sora. Le Pr Verslype a conclu que l'association durva + trémélimumab (STRIDE) constituait une nouvelle option dans le traitement de 1re intention de patients atteints d'un HCC non résécable de score Child-Pugh A. Certains facteurs cliniques, comme la présence de facteurs de risque pour le traitement par béva, peuvent déterminer le choix. Le Pr Verslype ne voit pas d'indication pour le durva en monothérapie, qui n'est pas inférieur au sora. Des études de phase III testent d'autres combinaisons en 1re ligne, dont l'association régorafénib + nivolumab (nivo). Cette combinaison a donné des résultats prometteurs dans l'étude de phase II RENOBATE), avec un RR de 35,7% chez 42 patients avec HCC non résécable. Parmi les autres associations étudiées, citons les lenvatinib + pembrolizumab (pembro) et ipilimumab + nivo. Des études de phase III ont établi l'efficacité du régorafénib, du cabozantinib et du ramucirumab en 2e ligne, après l'échec du traitement par sora. Le régorafénib est remboursé en Belgique dans cette indication. Nous n'avons pas de données relatives au traitement de 2e ligne après l'échec du lenvatinib ou de l'association atézo/bév en 1re ligne. L'étude KEYNOTE-3945 a démontré l'efficacité du pembro en 2e ligne. Cette étude asiatique de phase III l'a comparé à un placebo dans le traitement de 2e ligne de 453 patients avec HCC et atteinte hépatique sous-jacente de stade Child-Pugh A d'étiologie principalement virale. Le traitement de 1re ligne avait été le sorafénib dans plus de 90% des cas. L'étude a atteint son critère d'évaluation principal. L'OSm s'est révélée statistiquement meilleure dans le bras expérimental, s'élevant à 14,6 mois (12,6-18,0) vs 13,0 mois (10,5-15,1) dans le bras placebo (HR: 0,79 ; p = 0,0180). L'OS à 24 mois a été respectivement de 34,3% et 24,9%. Les auteurs ont présenté une méta-analyse des études KEYNOTE-394 et KEYNOTE-240. KEYNOTE-2406 est une étude de phase III comparable, mais négative, dans une population mixte de patients asiatiques/occidentaux. La méta-analyse des deux études a révélé une amélioration significative de l'OSm dans le bras pembro par rapport au bras placebo: l'OSm a atteint respectivement 14,2 (12,8-16,2) vs 12,5 (10,2-13,6) mois (HR: 0,79). Ces données confirment l'activité du pembro dans le traitement de 2e ligne d'un HCC avancé et, selon le Pr Verslype, il s'agit là d'une option séduisante pour les patients qui n'ont pas reçu d'immunothérapie en 1re ligne. Le Pr Verslype a attiré notre attention sur les nouvelles recommandations du BCLC7, qui reprennent l'association durvalumab + trémélimumab comme une option de traitement de 1re ligne. Il s'est notamment attardé sur deux points. La version 2022 de la classification de Barcelone stratifie le stade BCLC B en 3 sous-groupes sur base de la masse tumorale et de la fonction hépatique. Le premier sous-groupe comprend les patients présentant des nodules de HCC bien délimités, qui peuvent être éligibles à une transplantation hépatique s'ils remplissent les critères ' Extended Liver Transplant'. Le deuxième sous-groupe se compose des patients présentant des nodules de HCC délimités, sans indication pour une greffe de foie, mais avec un flux sanguin préservé dans la veine porte et qui sont candidats à une chimioembolisation transartérielle (TACE). Enfin, le troisième sous-groupe du stade BCLC B englobe les patients avec atteinte hépatique HCC diffuse, infiltrante et étendue, pour laquelle un traitement systémique est recommandé. Pour conclure, le Pr Verslype a attiré notre attention sur un groupe de patients du groupe BCLC A, avec lésion unique d'un diamètre < 8 cm, après échec ou en cas de non-éligibilité à l'ablation, la résection ou la transplantation. Pour ce groupe sélectionné de patients, on peut envisager une radioembolisation transartérielle (TARE) suivie, en cas de bonne réponse, d'une transplantation hépatique. Le mot de la fin revient au Pr Verslype, selon lequel le paysage thérapeutique évolue vite. Les prochains défis à relever concernent les biomarqueurs prédictifs et les études relatives aux patients Child-Pugh B/C et greffés.