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Face aux grands défis écologique, économique et démographique que connaîtra le 21i&è;me siècle, la réponse du mouvement transhumaniste consiste à transformer l'Homme et à lui permettre de dépasser ses limites biologiques en utilisant les progrès de la science et des technologies dites NBIC, à savoir les nanotechnologies, la biologie, l'informatique et la cognitique, cette dernière regroupant les sciences du cerveau, la robotique et l'intelligence artificielle.Pour la première fois de son histoire, la puissance des biotechnologies va en effet permettre à l'homme de modifier, réparer et augmenter ses capacités intellectuelles, physiques et psychiques. Mais ce tsunami technologique pose de nombreuses questions, à commencer par celle des limites qu'il convient de mettre à la possibilité pour l'Homme de changer l'Homme. " Ne sommes-nous pas en train de créer les conditions d'une triple mort, celle de la mort, celle de Dieu et celle de l'Homme ? " se demande le Dr Laurent Alexandre, un expert reconnu sur cette thématique qui a fait l'objet d'une nouvelle conférence. Celle-ci s'est déroulée à Hannut, le 4 juin dernier, en réponse à une invitation du Centre d'Etude du Futur.Chirurgien et urologue de formation, diplômé de l'ENA, HEC et Sciences-Po, cofondateur du site internet Doctissimo et président la société de séquençage du génome DNAVision, une entreprise établie à Gosselies, Laurent Alexandre est aussi l'auteur " La mort de la mort "1, un ouvrage dont nous avions parlé en son temps2, qui est devenu un best-seller et dont le titre en dit long sur les conséquences de la révolution engendrée par les convergences NBIC.Au cours de sa conférence dans la cité hesbignonne, l'orateur a d'abord rappelé d'où vient le transhumanisme. " La paternité du terme est attribuée à Julien Huxley, le frère d'Aldous, auteur du 'Meilleur des Mondes'. Il l'a inventé en 1957 pour remplacer le mot 'eugénisme' qui n'avait plus bonne presse à l'époque. Parmi les premiers tenants du transhumanisme, on retrouve des gens qui faisaient de la cryogénie ou qui utilisaient le LSD car ils pensaient qu'il serait possible de doper notre cerveau avec des drogues de synthèse. Aujourd'hui, c'est parmi les patrons des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) et quelques autres sociétés numériques réputées, en Californie et en Chine, que l'on trouve les principaux leaders de ce courant de pensées, pour l'instant très américain. " " La première grande révolution des NBIC, a été l'explosion de la puissance informatique qui avait été prévue par Gordon Moore, le fondateur des microprocesseurs Intel, dès 1965 ", poursuit le Dr Alexandre. " Désormais, les nanotechnologies nous permettent d'agir au niveau des atomes, au coeur même de nos cellules, avec comme perspective la réparation de tout type d'organes et tissus défectueux. Une révolution de la médecine est lancée à travers le développement de la génomique, l'exploitation des cellules souches, le clonage thérapeutique, les implants électroniques, le séquençage ADN... On voit aussi apparaître dans la Silicon Valley un courant très fort qui demande qu'on utilise les technologies électroniques et génétiques pour augmenter nos capacités intellectuelles. On évoque l'humain cyborg, boosté par divers implants placés directement dans son cerveau. " " Il est même question de créer la vie artificielle, chimiquement, comme Graig Venter l'a fait pour les bactéries il y a six ans. Il y a aujourd'hui un projet consistant à fabriquer de toutes pièces, ex nihilo, un génome humain synthétique. A terme, ce projet perturbant, surtout pour les personnes attachées à une foi religieuse, pourrait donner naissance à des 'superbébés', sans parents biologiques, et sans tare biologique ni génétique. "Les transhumanistes tapent donc de plus en plus fort pour atteindre trois de leurs objectifs : tuer la mort, ou à tout le moins enrayer le phénomène de vieillissement en s'attaquant à tout ce qui entrave l'Homme, notamment la souffrance dite " involontaire " et la maladie, passer d'une médecine de réparation pour libérer l'Homme de ses vulnérabilités biologique, à une médecine d'augmentation de ses capacités, notamment cérébrales, et développer l'intelligence artificielle.Et leur offensive n'est bien sûr pas sans conséquence pour le corps médical. " Pour les médecins de demain, le bouleversement est même très profond, " atteste Laurent Alexandre. " A l'avenir, il ne sera plus question de curatif mais de préventif. L'objectif ne sera plus forcément de soigner et de diminuer la douleur mais d'éviter que les individus ne tombent malades. Par ailleurs, la génétique, le séquençage ADN, les objets connectés de santé, etc., vont générer une telle quantité d'informations qu'il sera impossible de les traiter lors d'une consultation. On peut donc s'attendre à un transfert du pouvoir du médecin vers les sociétés propriétaires de l'intelligence artificielle et des algorythmes. "S'il assure ne pas être transhumaniste et s'il ne donne pas son assentiment à toutes les nouvelles technologies, Laurent Alexandre considère que le transhumanisme est déjà une réalité." C'est une idéologique démiurgique, transgressive, iconoclaste, une machine à démanteler les impossibles, à détruire les barrières, à estomper les limites. Des lignes rouges par rapport à nos critères éthiques ont déjà été franchies et d'autres les seront à l'avenir. "Il émet par ailleurs de sérieux doutes sur notre capacité à empêcher l'émergence d'une course à l'homme parfait, à l'homme surhumain. " Il n'y a même pas besoin d'imposer la technologie de façon totalitaire car nous sommes tous demandeurs et donc complices. Nous voulons tous moins souffrir, moins vieillir, moins mourir. Sans nous en rendre compte, avec nos lunettes, nos cristallins artificiels, nos pacemakers, nos prothèses de hanche, nos implants intracérébraux, nos bras bioniques ... nous glissons lentement mais sûrement sur le toboggan transgressif. Accepter le coeur artificiel pour gagner quelques semaines de vie supplémentaires, c'est bien un acte de foi transhumaniste, une transgression majeure. Et qui va refuser la thérapie génique qui pourrait le guérir du cancer ? Les gens qui vont s'opposer vont être ultraminoritaires. Et ceux qui refuseront la technologie pour eux-mêmes ne le feront probablement pas pour leurs enfants. Quant à nos descendants, il est probable qu'ils accepteront beaucoup plus de technologie que nous ne l'imaginons. "Alors quelle réponse allons-nous offrir au défi que pose le transhumanisme ? Après avoir esquissé divers scénarios (acceptation par confort, utopie techno-marxiste, religion 3.0, contre-révolution...), Laurent Alexandre considère que, face au double choc technologique et idéologique que les géants du numérique sont en train de provoquer, la réaction se doit d'être collective et mondiale même s'il n'y a pas de consensus quant à l'endroit où il convient de tracer la ligne rouge." Le meilleur moyen de faire émerger une éthique responsable, suffisamment charpentée et solide, adaptée à notre époque et susceptible de peser sur les décisions politiques, c'est que l'ensemble de la société réfléchisse au devenir de l'humanité, à ce qui fonde vraiment la dignité humaine. Il importe que toutes les sensibilités s'expriment sur ces questions, de manière à faire ressortir tous les aspects, positifs et négatifs, du progrès technologique et à pouvoir l'évaluer, le monitorer, le pondérer et l'orienter. Malheureusement, la participation de l'opinion publique au débat est insuffisante. Je pense qu'elle ne mesure pas très bien l'importance des bouleversements qui sont en cours car, pour l'instant, tout ceci se passe assez loin de chez nous, entre la Californie, la Chine et Séoul. "Et le Dr Alexandre de conclure sur une note modérément optimiste. " Je reste persuadé qu'il est possible de laisser à nos enfants et petits-enfants un monde vivable. Les prédictions apocalyptiques ne sont pas une certitude. Les prophéties sont des scénarios que nous pouvons et devons faire diverger afin de créer un avenir qui soit le plus acceptable possible. "