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Madame L ne souhaite plus d'enfant et consulte à cette fin un gynécologue en la personne du Docteur G. En vue de répondre au souhait de sa patiente, ce dernier pratique une intervention chirurgicale de stérilisation par pose de clips ainsi qu'une plastie abdominale. Madame L tombe cependant enceinte. Elle mène sa grossesse à terme et assigne le praticien en vue d'obtenir l'indemnisation de son préjudice (frais de l'intervention correctrice de salpingectomie correctrice, frais relatifs à sa grossesse et à son accouchement et préjudice physico - moral). En première instance, le tribunal désigne un collège d'experts en vue de statuer sur la responsabilité du gynécologue. En appel1, ce jugement est réformé, la cour estimant que la responsabilité peut-être d'emblée retenue sur base du simple constat de l'échec de stérilisation. La cour désigne ainsi un expert pour établir le préjudice de la mère en lien causal avec l'échec de stérilisation. En réponse à la question qui lui est posé, l'expert indique qu'il résulte de l'intervention une période d'incapacité temporaire pour la mère ainsi que des frais de consultation, de médication et d'hospitalisation. Il ajoute toutefois que, selon lui, cette intervention n'est pas fautive. Pour le surplus, il précise que la grossesse et les difficultés psychiques liées à l'acceptation de celle-ci ne sont, quant à elles, pas une conséquence de l'intervention mais résultent de la décision de la mère de poursuivre sa grossesse. Appelée à évaluer le préjudice du couple à la lumière du rapport d'expertise, la cour relève que l'expert judiciaire a outrepassé sa mission en relevant l'absence de faute médicale déjà consacrée judiciairement. Par ailleurs, l'expert ne pouvait conclure à l'absence de lien de causalité entre l'acte fautif et la grossesse au motif que la mère avait la possibilité de recourir à une interruption volontaire de grossesse. Cette décision relève, en effet, "d'une liberté discrétionnaire qui ne saurait se transformer en un devoir et il est exclu d'imposer à la mère d'y recourir en vue de limiter son dommage"2. Sur le plan de l'évaluation du préjudice, la cour fait droit à la demande d'indemnisation de l'incapacité personnelle temporaire de la mère liée à l'accouchement et à l'intervention chirurgicale subséquente ainsi que les frais s'y rapportant. En revanche, elle refuse de faire droit à la demande relative à l'indemnisation d'un préjudice physico - moral pour les frais d'entretien, d'éducation de l'enfant, les modifications du cadre et du rythme de vie des parents et le préjudice résultant de la reprise de travail à mi-temps par la mère au motif que "le dommage découlant de la naissance de l'enfant n'est pas établi dès lors que les parents ne démontrent pas se trouver, après la naissance de leur enfant et nonobstant les frais exposés pour son éducation et son entretien et les modifications de leur cadre de vie, dans une situation moins favorable que celle qu'il connaissait avant le fait illicite".Cette décision fait application de divers principes en matière de responsabilité médicale (contractuelle en l'espèce). Premièrement, la Cour a estimé que le simple constat de l'échec de stérilisation constituait une obligation de résultat qui dispense donc les parents de démontrer un manquement dans le chef du praticien. En principe, le médecin est tenu à une obligation de moyens. Il s'engage à prodiguer des soins attentifs et consciencieux à son patient et à tout mettre en oeuvre en vue de la guérison sans garantie toutefois d'atteindre ce résultat. Ainsi, le simple constat que le résultat escompté n'a pas été atteint ne suffit pas à engager la responsabilité du médecin. La victime soucieuse d'obtenir l'indemnisation de son préjudice devra donc démontrer un manquement aux règles de l'art en relation causale avec son dommage. En revanche, dans l'hypothèse d'une obligation de résultat, soit celle par laquelle le praticien s'est précisément engagé à atteindre un résultat déterminé qui n'est pas ou peu aléatoire, la victime devra uniquement démontrer que ce résultat n'a pas été atteint. Le dommage sera alors, comme l'a décidé la cour en l'espèce, présumé résulter d'une faute du praticien qui ne pourra se dégager de sa responsabilité qu'en démontrant qu'il résulte d'une cause étrangère. Deuxièmement, la Cour n'a pas suivi en tout point l'avis de l'expert qu'elle a désigné. Ce dernier a, en effet, outrepassé sa mission en se prononçant sur des questions plus juridiques que médicales. Elle y était parfaitement autorisée puisqu'un rapport a valeur d'avis technique qui ne lie pas le magistrat mais a pour objectif de l'éclairer sur une problématique, ici médicale, qui ne relève pas de sa compétence. "Le juge du fond apprécie souverainement en fait la valeur qui s'adapte aux constatations et déductions de l'expert, pour autant, que notamment, il ne viole pas la foi due à l'acte contenant son rapport."3 Ainsi, tout ou partie d'un rapport peut être écarté lorsqu'il est erroné, incomplet., mal ou insuffisamment motivé. Troisièmement enfin, la cour a refusé de faire droit à la demande d'indemnisation du préjudice physico - moral permanent des parents en se référant à la jurisprudence de notre cour suprême4 qui a considéré que, dans un cas comme en l'espèce, la naissance d'un enfant ne peut, à elle seule, constituer pour sa mère un préjudice. Ainsi, selon la Cour de cassation "il n'est pas contradictoire de tenir, d'une part, pour réparable le fait pour une femme en situation de détresse de devoir mener sa grossesse à terme, d'autre part, pour non réparables les postes du dommage consécutifs à la naissance de l'enfant qu'elle a porté. Le dommage consiste en l'atteinte à tout intérêt ou en la perte de tout avantage légitime. Il suppose que la victime du fait illicite se trouve après celui-ci dans une situation moins favorable qu'avant. Dès lors que la naissance d'un enfant qu'elle a conçu ne peut, à elle seule, constituer pour sa mère un préjudice, même si la naissance est survenue après l'échec d'une intervention pratiquée en vue de l'interruption de la grossesse, la cour d'appel a pu, (...) en déduire que les charges financières, les difficultés relationnelles prévisibles et les efforts accrus entraînés par cette naissance ne la plaçaient pas dans une situation moins favorable que celle qu'elle connaissait avant la commission du fait illicite".