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C'est la première fois qu'une mutation à effet intermédiaire concernant le gène Umod (connu pour son rôle dans les maladies du rein) a été identifiée. Présente chez environ un individu sur 1.000 d'ascendance européenne, elle augmente quatre à cinq fois le risque d'insuffisance rénale terminale. L'équipe internationale à la base de cette découverte était conduite par le Pr Olivier Devuyst (UCLouvain et Cliniques universitaires Saint-Luc) et le Dr Eric Olinger (Universités de Zurich et de Newcastle, Cliniques Saint-Luc). "Jusqu'ici, on observait deux types de mutations génétiques: soit des mutations très rares ayant un effet sévère sur le rein, impliquées dans les maladies rares ; soit des variants fréquents présents chez tout un chacun mais exerçant un effet à peine perceptible sur le rein. Un troisième type de mutations, à effet intermédiaire, était prédit de longue date pour mieux rendre compte de la composante héréditaire de l'insuffisance rénale chronique (IRC)", explique le Pr Devuyst. "Mon groupe travaille depuis une vingtaine d'années sur les maladies génétiques du rein. Il s'agit de maladies rares qui touchent un faible pourcentage de personnes, et le but de cette recherche était de voir si, pour des gènes extrêmement importants pour le rein, il n'y avait pas des mutations moins sévères qui ne donnent pas une maladie rare mais qui sont associées à un risque augmenté de maladie rénale dans la population générale", précise-t-il. Ce travail est le fruit de l'évolution des technologies en génétique qui permettent de découvrir de nouvelles mutations sur une base théorique. "Grâce aux progrès de la génétique, le séquençage du génome devient un geste quasiment de routine en médecine, poursuit le spécialiste. On commence à avoir accès à de très larges banques de données, avec des séquençages disponibles pour de très grandes populations. La plus célèbre c'est l'UK Biobank, une banque de données de 500.000 personnes de la population générale en Angleterre, pour lesquelles on dispose d'un génotypage complet, couplé à une analyse clinique extrêmement détaillée."À partir de sa base de données de maladies rares, l'équipe d'Olivier Devuyst avait identifié des mutations qui ne rentraient pas dans le cadre de ces affections rares: "Nous avons donc vérifié si elles étaient associées à un risque augmenté d'insuffisance rénale. Et c'est en utilisant l'UK Biobank et d'autres banques de données européennes qu'on est parvenu à faire cette démonstration."L'insuffisance rénale chronique (IRC), une maladie à forte prédisposition génétique, touche 10% de la population mondiale, soit un million de personnes en Belgique. La mutation, détectée chez environ un individu sur 1.000, entraîne un effet biologique intermédiaire au niveau du rein, mais suffisant pour multiplier par quatre le risque d'IRC terminale, ce qui pourrait concerner quelque 10.000 personnes en Belgique. Par conséquent, décrypter l'architecture génétique de l'IRC est crucial pour identifier de nouvelles cibles thérapeutiques, visant à prévenir ou retarder la progression de cette affection. "Tout l'enjeu de la médecine de précision, c'est d'identifier ces facteurs de risque génétique. Notre équipe l'a fait pour le rein mais cette approche est valable pour tous les organes en ciblant les gènes spécifiquement importants pour le cerveau, le coeur etc., et puis en regardant, grâce aux larges banques de données, si des mutations sont identifiables", ajoute-t-il. "Ce qui est très important c'est d'utiliser une base de données adaptée à la population. L'UK Biobank concerne une population européenne, les facteurs génétiques correspondent donc à notre groupe de patients. On a de la chance parce que, de nos jours, la plupart des études génétiques à large échelle sont encore faites sur des individus d'origine européenne, ce qui nous donne accès à un trésor d'informations.""Le but est de découvrir l'influence du patrimoine génétique sur le risque de développer une maladie x ou y. On va devoir faire ces efforts pour les maladies neurodégénératives, cardiovasculaires... toutes ont une empreinte génétique qu'il faut trouver en utilisant une méthodologie comme celle que nous avons utilisée.""Dans le cas présent, ce qui augmente l'intérêt de cette recherche c'est qu'on a découvert ces mutations au niveau d'un gène, Umod, qui est très important pour le rein parce qu'il est impliqué dans tous les types de maladies rénales. Il code pour une protéine produite uniquement au niveau du rein. Ce qu'on sait déjà c'est que les mutations dans ce gène augmentent le risque d'HTA. Le fait qu'on y ait trouvé aussi des mutations intermédiaires ne fait que renforcer l'importance de ce gène et nous guide vers des études plus ciblées pour pouvoir réguler sa fonction au niveau rénal."C'est à cela que s'attelle le groupe d'Olivier Devuyst depuis plusieurs années: "Les stratégies qu'on va développer pour les maladies rares seront sans doute utiles pour les mutations moins sévères retrouvées dans la population générale et qui, au fil du temps, augmentent le risque d'IRC. En agissant sur ce facteur, on espère ralentir l'insuffisance rénale et donc la prise en dialyse et les transplantations", fait-il observer. "On pourrait imaginer dans le futur que tous les patients auront une cartographie génétique, que cela fera partie d'une prise de sang habituelle. Une fois que ces facteurs de risque auront été bien établis, on pourra identifier les personnes concernées par une pathologie x ou y et adapter un traitement, un régime particulier de prévention pour en retarder l'évolution. Il faut comprendre que toutes les études qu'on fait sur les maladies rares sont directement intéressantes pour la population générale. Il y une continuité entre les maladies rares et les autres", conclut-il.