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Docteur, ne le dites pas à mon mari, mais ...", "Docteur, ma mère dit que mes douleurs sont psychologiques", "Docteur, mon ostéo dit que les médicaments, ça ne sert à rien", "Docteur, je viens pour ma fille, elle ne va pas bien, mais elle ne veut pas venir vous voir..." ... Ces petites phrases, a priori anodines, résonnent dans votre vécu quotidien de médecin généraliste? La relation que vous nouez avec votre patient en tant que médecin traitant s'inscrit dans un 'système' aux interactions et enjeux potentiellement complexes. Ce 'système' représente tout ce qui compose l'existence de ce patient: sa situation professionnelle et socio- économique, sa famille, sa culture et son éducation. Le médecin généraliste est à la fois partenaire de ce système - à commencer par le système familial: médecin- patient-famille -, mais il doit aussi avoir la capacité de s'en extraire pour mieux l'examiner (et se protéger, cf. infra). Comment appréhender au mieux le fonctionnement de ces systèmes humains? Au-delà du savoir et du savoir-faire médical, il faut faire appel à l'expertise acquise au fil des années de patientèle, ainsi qu'à son 'savoir-être': écouter, percevoir, ressentir... Éprouver dans sa rencontre avec les patients, jour après jour. "La pratique en médecine générale intègre en principe spontanément les différents déterminants de santé: la systémique, c'est un peu comme la prose de M. Jourdain, on en fait sans le savoir", sourit le Dr Pierre Firket, médecin généraliste et systémicien. "Toutefois, cela semble se faire de moins en moins - comme s'il manquait un savoir-faire... Nous voyons d'ailleurs davantage de jeunes à nos formations. Or, plus les motifs de consultation ont une dimension psychosociale, plus le médecin doit pouvoir ouvrir son angle de vue afin d'intégrer une série d'éléments... Ce n'est pas si simple tant les situations présentées sont de plus ne plus complexes. La médicalisation de la souffrance psychosociale, tout particulièrement, à laquelle la première ligne de soins est confrontée, requiert une approche systémique, où l'on va rechercher un (dys)fonctionnement dans le système au-delà du modèle causaliste qui consiste à chercher la cause du problème (une bactérie, le cholestérol, etc.)."L'approche systémique (une des références en psychothérapie, avec les approches comportementale, psychanalytique et humaniste) consiste donc à intégrer, de façon transversale, la complexité des différents déterminants de santé qui entrent en jeu dans la vie du patient. Dans l'objectif de lui proposer de nouvelles réponses, souvent pluridisciplinaires, en phase avec la philosophie des soins intégrés. Le département de médecine générale de l'ULiège, en collaboration avec le Centre de formation à la thérapie familiale (CFTF Liège), dispense, depuis de nombreuses années déjà, une formation en systémique. La prochaine débutera en janvier prochain. Elle propose, sous forme d'ateliers mensuels d'échanges didactiques, d'intégrer, notamment, la "grille d'analyse systémique", un outil à utiliser dans sa pratique au gré des situations rencontrées. Concrètement, l'approche systémique peut débuter en la formalisant sur un "génogramme", façon symbolique, dans une représentation graphique, de positionner le patient dans son environnement de vie et dans son histoire. Cette grille de lecture permet au professionnel des soins de santé de mieux comprendre ce qui se passe en se positionnant par rapport au système et à ses interactions. Elle facilite l'analyse des enjeux, notamment familiaux et psychosociaux, et l'analyse de la fonction relationnelle du symptôme: "Le symptôme sert à exprimer quelque chose, il a une fonction", détaille le Dr Firket. "En l'intégrant dans un ensemble plus large, on peut mettre en évidence différents déterminants de santé qui peuvent être pris en compte de manière pluridisciplinaire, et qui permettent de mieux comprendre la réalité de ce symptôme, en lui donnant plus de sens."Prenons l'exemple d'une patiente de 45 ans, en obésité morbide et en perte d'autonomie du fait de sa maladie. Le médecin qui s'en tient à une vision somatique, en dehors de tout représentation de l'histoire qui l'a menée à ce surpoids handicapant, pourrait être tenté de lui conseiller de faire un bypass. Le médecin qui sort sa grille de systémicien verra qu'elle est divorcée, qu'elle s'occupe seule de ses deux enfants qui habitent encore avec elle mais aussi de sa mère, tout aussi démunie, avec qui elle est fusionnelle, que son emploi est par ailleurs précaire, que sa petite maison offre peu de commodités, que son ex-mari a refait sa vie et a d'autres enfants... "Un médecin généraliste se doit d'intégrer tous ces niveaux-là", reprend Pierre Firket. "S'il ne voit que l'obésité, il ne peut pas comprendre ce qui se passe. La situation psychosociale donne une dimension plus large, qui va permettre de créer une dynamique de prise en charge intégrée et pluridisciplinaire, de faire appel à des ressources, plutôt que de donner simplement, par exemple, un régime."Enfin, cette approche permet aussi de prévenir indirectement un certain risque de souffrance professionnelle des soignants, "en se positionnant mieux face aux situations complexes, souvent envahissantes, par la prise d'une meilleure distance émotionnelle, face au vécu des patients tout en en prenant conscience des éventuelles résonances possibles qui, insidieusement, rappellent peut-être notre propre histoire."