"On dirait le désert des Tartares. L'ennemi est peut-être derrière la montagne, peut-être pas. S'il attaque, on sait qu'on a peu de chances de l'arrêter. Dans le film, l'ennemi n'arrive jamais, mais ici nous n'en savons rien ". À mesure que les unités Covid-19 se sont vidées a débuté une ambiance étrange. Faite de reconstitution des stocks, de quelques sommeils complets, de récupération. " On a relevé la tête du guidon, mais la fatigue reste ". Et la peur aussi. Parce que le public ne peut pas imaginer ce que furent " les tranchées ". Et quand chacun, maintenant, veut revenir " à la vie comme avant ", les soignants s'effrayent. Peu l'ont aussi bien dit que le Dr Emmanuelle Papleux, pneumologue à l'Hôpital Bracops (Iris Sud), au JT de la RTBF (lire son interview dans jdM 2627). Son unité Covid-19 va fermer. Réservée, presque trop discrète, elle décrit son travail. Donne son conseil : " On demande à l'ensemble de la population de faire très attention ". Mais quand l'entretien veut se terminer, elle lâche : " Nous avons vécu énormément de stress et d'anxiété. Ces huit semaines ont été épuisantes physiquement et psychologiquement. On s'est consacrés sans compter mais on a été confrontés avec des patients qui sont décédés seuls, sans aucun contact avec la famille, des patients qui sentaient qu'ils allaient mourir, qui sentaient que c'était la fin, qui ne désiraient pas aller aux soins intensifs ou qui étaient trop âgés pour y aller. On a eu des adieux par téléphone ou par skype. Ou des familles derrière la vitre sans pouvoir toucher leur proche qui allait partir. Cela nous a tous épuisés et nous ne sommes pas prêts à supporter une deuxième vague."

Un terrible dilemme

" Tous ne sont pas dans le même esprit face à la reprise partielle des activités. C'est terrible à dire, mais le dilemme entre continuer le confinement pour éradiquer le virus ou redémarrer les activités au risque de rallumer l'épidémie se vit individuellement. Unetelle va estimer qu'il faut redémarrer, mais parce que son mari est en chômage économique et que les comptes sont en rouge. Une autre sera opposée parce qu'elle a des parents âgés et qu'elle a peur de ramener le virus à la maison. Mais cela défie les catégories, c'est très individuel, ce sont les tripes qui parlent ", témoigne le Dr Florence Hut, directrice médicale du Centre hospitalier de Wallonie Picarde.

Ce qui est sûr, c'est que l'épisode laissera des traces profondes, intenses, peut-être indélébiles. Certains psy en charge n'hésitent pas à parler de syndrome de stress post-traumatique, notamment parce que beaucoup de choses échappent aux soignants : maladie inconnue, absence de médicaments ou de vaccins, avenir incertain. " Au début, tous les patients mouraient, sans exception. On se demandait à quoi on servait ", témoigne Inès.

" Au supermarché, j'ai envie de gifler les clients qui ne portent pas de masques. Ils ne se rendent pas compte. " Julie, 37 ans, est cheffe infirmière dans un hôpital universitaire. Elle a passé deux mois en unité Covid-19. " Très intenses. Dans les deux sens. On a eu des patients très âgés qui paraissaient fragiles qui sont finalement sortis pour rejoindre leur maison de retraite. On a eu aussi une jeune maman intubée qui aujourd'hui suit un programme de convalescence à la maison. Mais il y a eu aussi des morts, de mauvaises surprises, des gens qui se dégradaient brutalement, on ne pouvait pas expliquer pourquoi aux familles. " Julie a deux jeunes enfants. " On ne pouvait pas ramener ces histoires à la maison, on devait cloisonner. Et parfois pleurer toute seule dans les toilettes. "

" Ce qui est clair, c'est que le Covid-19 a instillé la peur dans les équipes de soignants. La peur d'être infecté, la peur de mourir, mais surtout la peur de ramener la maladie au conjoint ou aux enfants. Le fait de devoir s'abstenir de câlins, de repousser les petits, c'est dur. Pour les soignants, les cas entrent généralement dans un schéma thérapeutique, qui comprend des médicaments, des trajets de soins. Ici, les procédures changeaient parfois chaque jour à l'aune de nouvelles observations, de nouvelles découvertes. C'est extrêmement perturbant pour les êtres humains ", explique Geneviève Cool, cheffe du secteur psychologie adulte et infanto-juvénile aux Cliniques universitaires Saint-Luc (UCLouvain), qui dirige les équipes mises en place pour faire face à la crise.

Le Pr Arnaud Fontanet, directeur du département de santé globale à l'Institut Pasteur et professeur au Cnam, ne voit pas de raison particulière qui ferait penser qu'une deuxième vague nous épargnerait. " Aucun argument rationnel ne permet de dire aujourd'hui que si le virus est réintroduit dans une population où seulement 5% des gens sont immunisés, l'épidémie ne redémarre pas. "

"On dirait le désert des Tartares. L'ennemi est peut-être derrière la montagne, peut-être pas. S'il attaque, on sait qu'on a peu de chances de l'arrêter. Dans le film, l'ennemi n'arrive jamais, mais ici nous n'en savons rien ". À mesure que les unités Covid-19 se sont vidées a débuté une ambiance étrange. Faite de reconstitution des stocks, de quelques sommeils complets, de récupération. " On a relevé la tête du guidon, mais la fatigue reste ". Et la peur aussi. Parce que le public ne peut pas imaginer ce que furent " les tranchées ". Et quand chacun, maintenant, veut revenir " à la vie comme avant ", les soignants s'effrayent. Peu l'ont aussi bien dit que le Dr Emmanuelle Papleux, pneumologue à l'Hôpital Bracops (Iris Sud), au JT de la RTBF (lire son interview dans jdM 2627). Son unité Covid-19 va fermer. Réservée, presque trop discrète, elle décrit son travail. Donne son conseil : " On demande à l'ensemble de la population de faire très attention ". Mais quand l'entretien veut se terminer, elle lâche : " Nous avons vécu énormément de stress et d'anxiété. Ces huit semaines ont été épuisantes physiquement et psychologiquement. On s'est consacrés sans compter mais on a été confrontés avec des patients qui sont décédés seuls, sans aucun contact avec la famille, des patients qui sentaient qu'ils allaient mourir, qui sentaient que c'était la fin, qui ne désiraient pas aller aux soins intensifs ou qui étaient trop âgés pour y aller. On a eu des adieux par téléphone ou par skype. Ou des familles derrière la vitre sans pouvoir toucher leur proche qui allait partir. Cela nous a tous épuisés et nous ne sommes pas prêts à supporter une deuxième vague."" Tous ne sont pas dans le même esprit face à la reprise partielle des activités. C'est terrible à dire, mais le dilemme entre continuer le confinement pour éradiquer le virus ou redémarrer les activités au risque de rallumer l'épidémie se vit individuellement. Unetelle va estimer qu'il faut redémarrer, mais parce que son mari est en chômage économique et que les comptes sont en rouge. Une autre sera opposée parce qu'elle a des parents âgés et qu'elle a peur de ramener le virus à la maison. Mais cela défie les catégories, c'est très individuel, ce sont les tripes qui parlent ", témoigne le Dr Florence Hut, directrice médicale du Centre hospitalier de Wallonie Picarde. Ce qui est sûr, c'est que l'épisode laissera des traces profondes, intenses, peut-être indélébiles. Certains psy en charge n'hésitent pas à parler de syndrome de stress post-traumatique, notamment parce que beaucoup de choses échappent aux soignants : maladie inconnue, absence de médicaments ou de vaccins, avenir incertain. " Au début, tous les patients mouraient, sans exception. On se demandait à quoi on servait ", témoigne Inès. " Au supermarché, j'ai envie de gifler les clients qui ne portent pas de masques. Ils ne se rendent pas compte. " Julie, 37 ans, est cheffe infirmière dans un hôpital universitaire. Elle a passé deux mois en unité Covid-19. " Très intenses. Dans les deux sens. On a eu des patients très âgés qui paraissaient fragiles qui sont finalement sortis pour rejoindre leur maison de retraite. On a eu aussi une jeune maman intubée qui aujourd'hui suit un programme de convalescence à la maison. Mais il y a eu aussi des morts, de mauvaises surprises, des gens qui se dégradaient brutalement, on ne pouvait pas expliquer pourquoi aux familles. " Julie a deux jeunes enfants. " On ne pouvait pas ramener ces histoires à la maison, on devait cloisonner. Et parfois pleurer toute seule dans les toilettes. "" Ce qui est clair, c'est que le Covid-19 a instillé la peur dans les équipes de soignants. La peur d'être infecté, la peur de mourir, mais surtout la peur de ramener la maladie au conjoint ou aux enfants. Le fait de devoir s'abstenir de câlins, de repousser les petits, c'est dur. Pour les soignants, les cas entrent généralement dans un schéma thérapeutique, qui comprend des médicaments, des trajets de soins. Ici, les procédures changeaient parfois chaque jour à l'aune de nouvelles observations, de nouvelles découvertes. C'est extrêmement perturbant pour les êtres humains ", explique Geneviève Cool, cheffe du secteur psychologie adulte et infanto-juvénile aux Cliniques universitaires Saint-Luc (UCLouvain), qui dirige les équipes mises en place pour faire face à la crise. Le Pr Arnaud Fontanet, directeur du département de santé globale à l'Institut Pasteur et professeur au Cnam, ne voit pas de raison particulière qui ferait penser qu'une deuxième vague nous épargnerait. " Aucun argument rationnel ne permet de dire aujourd'hui que si le virus est réintroduit dans une population où seulement 5% des gens sont immunisés, l'épidémie ne redémarre pas. "