Le journal du Médecin: Pour un médecin qui a fait de longues études, la politique vous prive de la clinique. Donc qu'est-ce qui vous a poussée au fond vers ce démon de la politique?

Catherine Fonck: Je ne sais pas si la politique est un démon... C'est vrai que la politique peut accomplir le meilleur comme le pire. Elle a ses côtés démoniaques... C'est la raison pour laquelle je n'ai pas voulu cumuler médecine et politique. Je pense que c'est une partie de la réponse. Certains médecins en politique ont continué leur métier de médecin. Moi, j'estimais que cela ne permettrait pas de m'engager pleinement d'un côté ou de l'autre. Quand je vois la charge de travail de mes collègues néphrologues ou internistes, c'est clair. Je pense qu'il faut faire les choses à 100% pour le faire correctement.

C'est vrai que la politique peut accomplir le meilleur comme le pire. Elle a ses côtés démoniaques...

Vous n'êtes pas carriériste alors?

Non. Pour moi, la politique n'est pas une carrière professionnelle. J'ai eu une vie en médecine avant la politique. Comme vous le savez, j'arrête en juin. J'achève à fond mon mandat politique. J'aimerais bien le terminer correctement et pleinement. Après, il y aura un virage et un retour vers la santé qui est ma vocation première. Ma vocation, ce n'est pas la politique. Si on m'avait dit, il y a quelques années, que je ferais de la politique, je n'y aurais pas cru. Je me voyais faire une carrière "toute droite" en santé... Mais la politique, c'est surtout une opportunité de changer les choses en santé. Or j'ai le sentiment d'avoir fait évoluer les choses dans mon secteur.

Avec Les Engagés (en novembre 2023)., BELGA
Avec Les Engagés (en novembre 2023). © BELGA

Un parti centriste, "le bon choix"

Pourquoi avoir choisi Les Engagés (à l'époque le cdH)? Qu'est-ce qui vous attirait dans ce parti? On est venu vous chercher?

Je précise que ce n'était plus le PSC... Oui, j'ai été contactée. C'est vrai. Le parti cherchait des gens qui étaient engagés dans la santé. À ce moment-là, je ne pensais pas être élue. J'ai beaucoup hésité. Puis je me suis lancée, en entendant mes patients se plaindre de ce qui n'allait pas. Ce qui me plaît le plus dans un parti centriste, c'est qu'on peut défendre un projet raisonnable et apporter des réponses équilibrées à des questions complexes. D'autre part, la santé occupait une place importante au sein du parti.

C'est d'ailleurs toujours le cas. Et Les Engagés, historiquement, ont enrôlé des gens du secteur de la santé. Encore récemment...

Oui... D'où la volonté de sortir de ce fossé énorme entre des choix politiques en santé qui sont faits à travers quelques-uns, de manière quand même très administrative, et la réalité de terrain. Le CDH voulait précisément des gens de terrain pour prendre en compte cette réalité...

Souvent, les choix sont purement idéologiques?

C'est vous qui le dites. Mais vous avez raison effectivement: dans un certain nombre de cas, ce sont des choix électoraux. Mon engagement me permettait justement de prendre en compte des réalités très différentes dans la société qui nécessitent donc des réponses qui ne soient pas uniques, pas des slogans qu'on débite en dix secondes... Pas des réponses magiques mais des solutions pour le bien-être de la population.

Quel impact?

Maintenant, il y a la question de l'impact. Vous vous êtes confiée assez récemment sur votre rapport à la politique et avez fait montre d'une certaine frustration du fait que la politique est tellement lourde, qu'il est si difficile de changer les choses. Avez-vous le sentiment d'avoir pu réaliser certaines choses? Avez-vous des exemples?

Sur une carrière qui a duré pas mal d'années, il y en a forcément beaucoup. Mais je prendrais des exemples récents: les quotas Inami. C'est quelque chose que je porte depuis longtemps. Je sens aujourd'hui que les lignes bougent à force de marteler, de démontrer, de décoder les chiffres, de montrer les différences majeures, par exemple par rapport à d'autres pays, de démontrer combien on va avoir un pourcentage important de médecins qui se retrouveront à la pension dans les huit ans. Je n'ai cependant jamais voulu prendre position francophones contre flamands. Or je constate aujourd'hui que c'est en Flandre que ça bouge. Ils sont d'accord sur le constat des pénuries. Le CD&V a changé du tout au tout sur la question (le président Sammy Mahdi propose de laisser tomber les limitations à l'entrée des études, NdlR)... Les quotas sont beaucoup trop stricts, ça n'a plus de sens... Or personne ne parlait des incohérences à cet égard. De l'absurdité de restreindre l'accès de nos jeunes [Belges] aux études de médecine, alors que des firmes privées recrutaient des médecins étrangers qui, dès l'équivalence de diplôme attestée, recevaient un numéro Inami. Même s'ils ne parlent ni français ni néerlandais. Or aujourd'hui, nous allons vers une situation qui va empirer puisque nous aurons moins de numéros Inami pendant un certain temps. C'est catastrophique...

En raison des lissages?

Oui, mais aussi des départs à la pension. Nous sommes le pays européen avec la démographie médicale parmi les plus âgées. Le pourcentage de médecins qui vont partir à la pension dans huit ans est bien plus élevé que la moyenne européenne. C'est un facteur d'inquiétude parce que pour former un médecin généraliste, il faut dix ans et pour un spécialiste c'est 6+5 ans... L'autre facteur de grande inquiétude, c'est le taux faible de rétention des soignants au sens large sur le marché du travail. Il faut un vaste plan d'attractivité. Je pense clairement aux infirmiers et aux technologues (en radiologie). Sur ces sujets, je pense avoir été également un aiguillon, avoir imposé ces sujets dans le débat politique et parlementaire. J'ose espérer qu'après les élections, ce sera toujours un sujet important, qu'il ne s'agit pas d'un sujet de campagne électorale.

© Getty Images/iStockphoto

L'Ugib (Union générale des infirmières de Belgique) estime qu'on assiste à un burn-out généralisé dans la profession, qu'on va peut-être vers une grève générale...

Ce n'est pas seulement un burn-out... Les équipes restent mobilisées dans les hôpitaux et les maisons de repos... Mais la pandémie de covid-19 a accéléré la visibilité des problèmes sur le terrain. Les ministres ont imposé des durées de séjours toujours plus courtes dans les hôpitaux. Avec le vieillissement, on a assisté à l'augmentation des malades chroniques, des patients beaucoup plus lourds. Ceux-là restent à l'hôpital... Les normes sont intenables et on crée une hémorragie d'infirmiers dans les hôpitaux. Ça ne date pas d'hier mais la situation empire. On n'a pas fait le pas fondamental dans le sens d'une valorisation de la formation, des spécialisations, des conditions de travail... Les soignants disposent de 20 ou 30 secondes pour une piqûre intramusculaire à domicile... Il y a l'enjeu salarial, la rémunération des heures supplémentaires... Face à cela il faudrait un plan global d'attractivité. Ce qu'a proposé le ministre Vandenbroucke, c'est quand même du bricolage. Il faut une réponse structurelle sur le moyen et le long terme. Il a proposé un petit machin qui permet d'aider quelques hôpitaux. Mais croire que des assistants infirmiers à la formation diverse peuvent être mis au même niveau que des infirmiers, ça ne va pas. Ça ne résout rien quant à la charge et la pression au travail. Ça n'améliore pas la qualité des soins qui doit être un objectif majeur.

Regrets

Votre carrière a été essentiellement parlementaire, ce qui limite fortement l'action... À un moment donné, on a cité votre nom comme ministre wallonne de la Santé. Mais c'est Alda Greoli qui a hérité du poste... Avez-vous ressenti une frustration à ne pas faire partie de l'exécutif?

J'ai été ministre à la Communauté française [1]... Je ne vais pas vous mentir ou faire semblant: ça a été une grande déception de ne pas être ministre de la Santé. C'est le choix des présidents de parti. Bien sûr, ça m'aurait plu énormément.

Vous quittez la politique. La première raison, c'est de retourner vers la santé de terrain. Mais la deuxième raison n'est-ce pas simplement une forme d'épuisement?

Ce n'est pas une décision que j'ai prise sur un coin de table. Le style girouette, ce n'est pas mon genre. Ça a été longuement réfléchi... Mais je reste politique dans l'âme. Je ne peux pas cautionner un système de santé tel que celui-là. Je trouve qu'il y a eu un virage terrible au moment du covid. Lorsqu'on se trouve au milieu d'une crise aussi sévère qui nous oblige à confiner des gens, il faut assumer une attitude responsable à 100%. Or, on a eu un gouvernement qui faisait la course à l'échalote pour savoir quel secteur il voulait déconfiner. Les données scientifiques étaient là. Le comité de concertation décidait de ne rien ouvrir. Puis, deux jours plus tard, les partis annonçaient telle ou telle réouverture... En face, les soignants et les médecins faisaient front, s'engageaient à fond et de manière très responsable. Le décalage avec le terrain était très important. Cette séquence m'a fait réfléchir. Je ne veux pas de cette politique-là. Donc le retour aux sources de la santé est évident.

[1] Ministre de l'Enfance, de l'Aide à la jeunesse et de la Santé en Communauté française de 2004 à 2009, ainsi que secrétaire d'État à l'Environnement et secrétaire d'État aux Réformes institutionnelles au sein du gouvernement fédéral en affaires courantes (2014).

Le journal du Médecin: Pour un médecin qui a fait de longues études, la politique vous prive de la clinique. Donc qu'est-ce qui vous a poussée au fond vers ce démon de la politique? Catherine Fonck: Je ne sais pas si la politique est un démon... C'est vrai que la politique peut accomplir le meilleur comme le pire. Elle a ses côtés démoniaques... C'est la raison pour laquelle je n'ai pas voulu cumuler médecine et politique. Je pense que c'est une partie de la réponse. Certains médecins en politique ont continué leur métier de médecin. Moi, j'estimais que cela ne permettrait pas de m'engager pleinement d'un côté ou de l'autre. Quand je vois la charge de travail de mes collègues néphrologues ou internistes, c'est clair. Je pense qu'il faut faire les choses à 100% pour le faire correctement. Vous n'êtes pas carriériste alors? Non. Pour moi, la politique n'est pas une carrière professionnelle. J'ai eu une vie en médecine avant la politique. Comme vous le savez, j'arrête en juin. J'achève à fond mon mandat politique. J'aimerais bien le terminer correctement et pleinement. Après, il y aura un virage et un retour vers la santé qui est ma vocation première. Ma vocation, ce n'est pas la politique. Si on m'avait dit, il y a quelques années, que je ferais de la politique, je n'y aurais pas cru. Je me voyais faire une carrière "toute droite" en santé... Mais la politique, c'est surtout une opportunité de changer les choses en santé. Or j'ai le sentiment d'avoir fait évoluer les choses dans mon secteur. Pourquoi avoir choisi Les Engagés (à l'époque le cdH)? Qu'est-ce qui vous attirait dans ce parti? On est venu vous chercher? Je précise que ce n'était plus le PSC... Oui, j'ai été contactée. C'est vrai. Le parti cherchait des gens qui étaient engagés dans la santé. À ce moment-là, je ne pensais pas être élue. J'ai beaucoup hésité. Puis je me suis lancée, en entendant mes patients se plaindre de ce qui n'allait pas. Ce qui me plaît le plus dans un parti centriste, c'est qu'on peut défendre un projet raisonnable et apporter des réponses équilibrées à des questions complexes. D'autre part, la santé occupait une place importante au sein du parti. C'est d'ailleurs toujours le cas. Et Les Engagés, historiquement, ont enrôlé des gens du secteur de la santé. Encore récemment... Oui... D'où la volonté de sortir de ce fossé énorme entre des choix politiques en santé qui sont faits à travers quelques-uns, de manière quand même très administrative, et la réalité de terrain. Le CDH voulait précisément des gens de terrain pour prendre en compte cette réalité... Souvent, les choix sont purement idéologiques? C'est vous qui le dites. Mais vous avez raison effectivement: dans un certain nombre de cas, ce sont des choix électoraux. Mon engagement me permettait justement de prendre en compte des réalités très différentes dans la société qui nécessitent donc des réponses qui ne soient pas uniques, pas des slogans qu'on débite en dix secondes... Pas des réponses magiques mais des solutions pour le bien-être de la population. Maintenant, il y a la question de l'impact. Vous vous êtes confiée assez récemment sur votre rapport à la politique et avez fait montre d'une certaine frustration du fait que la politique est tellement lourde, qu'il est si difficile de changer les choses. Avez-vous le sentiment d'avoir pu réaliser certaines choses? Avez-vous des exemples? Sur une carrière qui a duré pas mal d'années, il y en a forcément beaucoup. Mais je prendrais des exemples récents: les quotas Inami. C'est quelque chose que je porte depuis longtemps. Je sens aujourd'hui que les lignes bougent à force de marteler, de démontrer, de décoder les chiffres, de montrer les différences majeures, par exemple par rapport à d'autres pays, de démontrer combien on va avoir un pourcentage important de médecins qui se retrouveront à la pension dans les huit ans. Je n'ai cependant jamais voulu prendre position francophones contre flamands. Or je constate aujourd'hui que c'est en Flandre que ça bouge. Ils sont d'accord sur le constat des pénuries. Le CD&V a changé du tout au tout sur la question (le président Sammy Mahdi propose de laisser tomber les limitations à l'entrée des études, NdlR)... Les quotas sont beaucoup trop stricts, ça n'a plus de sens... Or personne ne parlait des incohérences à cet égard. De l'absurdité de restreindre l'accès de nos jeunes [Belges] aux études de médecine, alors que des firmes privées recrutaient des médecins étrangers qui, dès l'équivalence de diplôme attestée, recevaient un numéro Inami. Même s'ils ne parlent ni français ni néerlandais. Or aujourd'hui, nous allons vers une situation qui va empirer puisque nous aurons moins de numéros Inami pendant un certain temps. C'est catastrophique... En raison des lissages? Oui, mais aussi des départs à la pension. Nous sommes le pays européen avec la démographie médicale parmi les plus âgées. Le pourcentage de médecins qui vont partir à la pension dans huit ans est bien plus élevé que la moyenne européenne. C'est un facteur d'inquiétude parce que pour former un médecin généraliste, il faut dix ans et pour un spécialiste c'est 6+5 ans... L'autre facteur de grande inquiétude, c'est le taux faible de rétention des soignants au sens large sur le marché du travail. Il faut un vaste plan d'attractivité. Je pense clairement aux infirmiers et aux technologues (en radiologie). Sur ces sujets, je pense avoir été également un aiguillon, avoir imposé ces sujets dans le débat politique et parlementaire. J'ose espérer qu'après les élections, ce sera toujours un sujet important, qu'il ne s'agit pas d'un sujet de campagne électorale. L'Ugib (Union générale des infirmières de Belgique) estime qu'on assiste à un burn-out généralisé dans la profession, qu'on va peut-être vers une grève générale... Ce n'est pas seulement un burn-out... Les équipes restent mobilisées dans les hôpitaux et les maisons de repos... Mais la pandémie de covid-19 a accéléré la visibilité des problèmes sur le terrain. Les ministres ont imposé des durées de séjours toujours plus courtes dans les hôpitaux. Avec le vieillissement, on a assisté à l'augmentation des malades chroniques, des patients beaucoup plus lourds. Ceux-là restent à l'hôpital... Les normes sont intenables et on crée une hémorragie d'infirmiers dans les hôpitaux. Ça ne date pas d'hier mais la situation empire. On n'a pas fait le pas fondamental dans le sens d'une valorisation de la formation, des spécialisations, des conditions de travail... Les soignants disposent de 20 ou 30 secondes pour une piqûre intramusculaire à domicile... Il y a l'enjeu salarial, la rémunération des heures supplémentaires... Face à cela il faudrait un plan global d'attractivité. Ce qu'a proposé le ministre Vandenbroucke, c'est quand même du bricolage. Il faut une réponse structurelle sur le moyen et le long terme. Il a proposé un petit machin qui permet d'aider quelques hôpitaux. Mais croire que des assistants infirmiers à la formation diverse peuvent être mis au même niveau que des infirmiers, ça ne va pas. Ça ne résout rien quant à la charge et la pression au travail. Ça n'améliore pas la qualité des soins qui doit être un objectif majeur. Votre carrière a été essentiellement parlementaire, ce qui limite fortement l'action... À un moment donné, on a cité votre nom comme ministre wallonne de la Santé. Mais c'est Alda Greoli qui a hérité du poste... Avez-vous ressenti une frustration à ne pas faire partie de l'exécutif? J'ai été ministre à la Communauté française [1]... Je ne vais pas vous mentir ou faire semblant: ça a été une grande déception de ne pas être ministre de la Santé. C'est le choix des présidents de parti. Bien sûr, ça m'aurait plu énormément. Vous quittez la politique. La première raison, c'est de retourner vers la santé de terrain. Mais la deuxième raison n'est-ce pas simplement une forme d'épuisement? Ce n'est pas une décision que j'ai prise sur un coin de table. Le style girouette, ce n'est pas mon genre. Ça a été longuement réfléchi... Mais je reste politique dans l'âme. Je ne peux pas cautionner un système de santé tel que celui-là. Je trouve qu'il y a eu un virage terrible au moment du covid. Lorsqu'on se trouve au milieu d'une crise aussi sévère qui nous oblige à confiner des gens, il faut assumer une attitude responsable à 100%. Or, on a eu un gouvernement qui faisait la course à l'échalote pour savoir quel secteur il voulait déconfiner. Les données scientifiques étaient là. Le comité de concertation décidait de ne rien ouvrir. Puis, deux jours plus tard, les partis annonçaient telle ou telle réouverture... En face, les soignants et les médecins faisaient front, s'engageaient à fond et de manière très responsable. Le décalage avec le terrain était très important. Cette séquence m'a fait réfléchir. Je ne veux pas de cette politique-là. Donc le retour aux sources de la santé est évident.