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Septième cause de décès au niveau mondial, la démence frappe environ trois femmes pour un homme, pour une raison encore inconnue. Deux hypothèses pourraient l'expliquer: d'une part, les femmes ont tendance à vivre plus longtemps et, d'autre part, elles sont souvent moins favorisées sur le plan éducatif (parcours scolaire, etc.) . La démence est due à une maladie d'Alzheimer dans 60% des cas et à une dégénérescence neurologique non alzheimérienne dans 10% des cas. 15% des démences sont d'origine vasculaire, et 20% sont secondaires à une autre affection. "Ces chiffres sont quelque peu artificiels, car il est fréquent que les causes s'entremêlent au fil du vieillissement", précise François Meyer. Les démences secondaires peuvent être d'origine: ? Infectieuse (méningo-encéphalites, VIH, syphilis, neuroborréliose, Whipple, Creutzfeldt-Jakob...), ? Inflammatoire (SEP, encéphalite limbique...), ? Toxique (éthylisme, cocaïne, héroïne et dérivés...), ? Tumorale (tumeur cérébrale, syndrome paranéoplasique), ? Carentielle (B12, acide folique...), ? Congénitale/métabolique (maladies métaboliques, trisomie 21...), ? Post-traumatique. En ce qui concerne les démences neurodégénératives en tant que telles, leur voie commune se caractérise par des protéinopathies, formant différents types d'agrégats cérébraux. Les entités nosologiques représentent tout un spectre d'affections avec des caractéristiques propres. Il est difficile d'être précis sur ce plan car ces caractéristiques peuvent se chevaucher partiellement. On distingue cependant trois grands groupes: ? La maladie de Parkinson et le parkinsonisme, ? La maladie d'Alzheimer, ? Le spectre des maladies incluant la SLA et les dégénérescences fronto-temporales. Une des questions principales à se poser est celle du moment où il faut référer le patient à un spécialiste. Il faut avant tout considérer le patient comme son propre référentiel, ce qui permet de distinguer ce qui fait partie du vieillissement "normal" et de ce qui ne l'est pas. Les principaux signes d'appel sont: ? Les oublis complets d'événements récents (films, conversations...), ? Les difficultés de langage qui entravent la communication, ? Les difficultés à suivre une conversation, ? Une désorientation spatiale dans des endroits connus (magasins...), ? Une modification du comportement ou de la personnalité, ? Les difficultés d'utilisation des objets du quotidien et dans les actes de la vie courante, ? Les hallucinations, ? Une diminution des prises d'initiatives, une apathie, un état dépressif... Les "red flags" principaux, qui doivent faire consulter sans attendre plusieurs mois, sont l'âge (< 65 ans), une évolution rapide (< 1 an), des manifestations psychiatriques nombreuses, un examen neurologique anormal, l'apparition d'une épilepsie et une progression de la symptomatologie par à-coups. La consultation portant principalement sur la mémoire visera essentiellement à faire la distinction entre ce qui relèverait du vieillissement physiologique ou d'un processus pathologiquement dégénératif. Il convient d'exclure les causes secondaires fréquentes, comme l'anxiété, la dépression ou les troubles du sommeil, ainsi que les causes iatrogènes. François Meyer souligne également l'importance de l'hétéro-anamnèse pour mieux cerner les problèmes, sans oublier les red flags énumérés plus haut. Quant aux examens, outre le volet "somato-neurologique", ils consisteront dans l'évaluation des fonctions cognitives au moyen de tests comme le MMSE (Mini-mental state examination), le Moca (Montreal cognitive assessment) et le Bref (Batterie rapide d'efficience frontale) par exemple. On retiendra également que l'IRM sera surtout utile pour exclure certaines causes secondaires, comme les tumeurs cérébrales. Le PET-scan au glucose donnera une image de l'activité dans les différentes régions du cerveau. Enfin, la ponction lombaire peut s'indiquer dans la recherche d'autres causes secondaires, comme des infections. On arrive ainsi à un diagnostic qui n'est généralement que de probabilité: seule l'anatomo-pathologie pourrait délivrer un diagnostic formel, mais elle est très peu pratiquée. La maladie d'Alzheimer (MA) peut être décrite sous différentes formes: ? Précoce (début entre 50 et 65 ans) ou tardive (après 65 ans), ? Typique (avec amnésie épisodique antérograde: mémoire récente et mémoire de travail), atypique/focale (aphasie primaire progressive et logopénique, variante dysexécutive [variante "frontale"], et atrophie corticale postérieure [domaine visuo-spatial]). Il existe des formes familiales de la MA. Les formes génétiques mendéléennes sont rares, mais on observe des prédispositions polygéniques. Depuis 2018, l'ère des biomarqueurs au niveau du LCR fait tendre vers la recherche de nouveaux critères diagnostiques. Ainsi, avec une clinique évocatrice, la diminution du taux de b-amyloïde 42 associée à l'augmentation du taux de protéine tau dans le LCR définit in vivo la maladie d'Alzheimer. La protéine tau commence à s'accumuler dès la trentaine d'années, débouchant sur des symptômes entre 10 et 30 ans plus tard environ. L'atrophie se marque alors au niveau du cortex et de l'hippocampe, avec une dilatation ventriculaire. La maladie à corps de Léwy est la deuxième cause de démence neurodégénérative. Elle peut être décrite comme un "Parkinson diffus", associant de façon variable un syndrome extrapyramidal, un trouble du comportement dans les phases de sommeil paradoxal, des fluctuations de la vigilance/de l'attention en journée, des hallucinations visuelles, et une atteinte dysexécutive et visuo-spatiale. La démence fronto-temporale suit en termes de prévalence. Elle apparaît généralement entre 40 et 75 ans, avec une héritabilité fréquente. Elle se manifeste assez typiquement par une prédominance de manifestations comportementales et une atteinte dysexécutive, avec un bilan neuropsychologique longtemps normal. Les manifestations comportementales sont énumérables sous la forme des critères de Rascovsky: désinhibition comportementale et sociale, apathie/inertie, irritabilité/agitation/agressivité, désintérêt social/perte d'empathie/émoussement affectif envers l'entourage, obsessions/stéréotypies/rituels, hyperoralité, avec une atteinte dysexécutive longtemps isolée. La deuxième grande cause de démence tient dans les lésions vasculaires. Ainsi, 10% des AVC entraineront des troubles cognitifs à un an post-événement. L'évolution se fait ici aussi par à-coups. L'existence de ces troubles à distance souligne l'importance d'une prise en charge la plus précoce possible de l'AVC aigu, qui entraîne d'ailleurs fréquemment des plaintes cognitives. Sur le plan thérapeutique, la démence reste malheureusement un parent pauvre de la médecine en 2023: ? Les anticholinestérasiques (rivastigmine, donépézil, galantamine) améliorent l'attention mais montrent une efficacité modérée dans la MA. Parmi les effets indésirables, on note l'intolérance gastrique et la bradycardie, avec un risque d'aggravation des troubles comportementaux (ils sont d'ailleurs contrindiqués dans les syndromes frontaux). ? La mémantine n'a que des effets très modestes et pas clairement prouvés. ? L'efficacité du gingko biloba n'est pas démontrée et son utilisation n'est pas recommandée. Pour contrer les troubles comportementaux, l'arsenal thérapeutique comprend: ? Les SSRI (citalopram, escitalopram...), très utilisés, en recherchant un effet anxiolytique et antidépresseur, ainsi que sur l'agitation et les tendances paranoïdes, ? La trazodone (25 mg), contre l'agitation, ? Les neuroleptiques, en dernier recours seulement (lorsque le patient est dangereux pour lui-même ou son entourage) car il faut tenir compte de l'impact sur la mortalité cardiovasculaire et neurovasculaire. Leur prescription et un éventuel step-down du dosage doivent être régulièrement réévalués (risque de somnolence, de chutes, de parkinsonisme). En ce qui concerne les troubles du sommeil, avec inversion du rythme et de l'anxiété nocturne, il convient avant tout de privilégier les mesures non pharmacologiques: horaires de lever réguliers, exposition suffisante à la lumière naturelle, des activités en journée (kiné, centres de jour...) et éviction des siestes. Sur le plan pharmacologique, la priorité sera donnée à la mélatonine (3 à 9 mg) et à la trazodone (25 à 50 mg). Les traitements à éviter sont principalement: ? Les benzodiazépines (confusiogènes et pouvant entraîner des réactions paradoxales ou des chutes), ? Les anticholinergiques, utilisés contre l'hyperactivité vésicale et dans la maladie de Parkinson, qui peuvent avoir un effet confusiogène. Il faut se rappeler que les anti-H1 et les antidépresseurs tricycliques ont un effet anticholinergique. ? Les neuroleptiques de première génération, qui peuvent entraîner de la sédation, des effets extrapyramidaux, des dystonies aiguës ou des dyskinésies tardives, pour une efficacité non supérieure à ceux de deuxième génération. Des médicaments modificateurs de la maladie commencent à faire leur apparition. Il s'agit actuellement de l'aducanumab et du lecanemab, deux anticorps monoclonaux anti-amyloïde. Autorisés par la FDA, ils semblent ralentir modérément le déclin cognitif mais au prix d'effets secondaires non négligeables.