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Les facteurs de maintien des troubles du comportement alimentaire (TCA), telles l'anorexie mentale et la boulimie, sont essentiellement liés à la dénutrition et à l'impact de la symptomatologie sur les relations interpersonnelles, plus particulièrement les relations familiales. À l'heure actuelle, la Family Based Therapy (FBT) est considérée comme la thérapie de référence de l'anorexie mentale et maintenant également de la boulimie de l'adolescent. " Elle est peu utilisée dans les pays francophones où des thérapies individuelles non spécifiques et les thérapies familiales modélisées sur l'idée qu'il faut traiter la famille sont encore dominantes. ", rapporte le Dr Yves Simon, responsable du Centre thérapeutique du trouble alimentaire de l'adolescent au Centre hospitalier Le Domaine (ULB), à Braine-l'Alleud. Il regrette que ces approches, qui n'ont pas fait l'objet d'évaluations sérieuses, tendent à attribuer une responsabilité aux parents dans le trouble de leur enfant, alors qu'il y a lieu d'en faire des partenaires, et non de les percevoir comme " un problème ".Spécifique de l'anorexie mentale et de la boulimie 1, avec des particularités propres à chacun de ces deux troubles, la FBT se décline en trois phases : le traitement des complications de la dénutrition et le rétablissement du poids, puis la reprise du contrôle de son alimentation par l'adolescent et enfin la résolution des défis adolescentaires (préoccupations corporelles, relations avec le groupe d'âge, impulsivité, perfectionnisme, timidité, sexualité, etc.). " Le plus souvent, les dimensions psychopathologiques régressent déjà avec la restauration du poids et un comportement alimentaire structuré. D'autres techniques sont en cours d'étude et concernent des dimensions neuropsychologiques comme la flexibilité cognitive et l'attention aux détails (cohérence centrale) ", précise le Dr Simon.Basées sur des données probantes, les recommandations concernant les procédures thérapeutiques de la FBT mettent l'accent sur des problèmes saillants qui ne sont pas sans répercussions sur la cellule familiale et son fonctionnement : la " perte " de la relation prémorbide (" Je ne reconnais plus ma fille "), les effets négatifs du TCA sur la famille, la difficulté de gérer les comportements alimentaires, la nature dépendante du patient, la stigmatisation sociale, la honte et la culpabilité. Aussi est-il primordial d'informer les proches du patient sur le TCA dont il souffre, afin d'éradiquer de fausses idées et de les conseiller sur la manière d'agir, d'autant qu'ils sont susceptibles de se sentir coupables du trouble alimentaire du jeune en difficulté. " Les proches peuvent développer un modèle de la maladie qui ne les aide pas et qui pourrait être à la base de la détresse du patient, ainsi que de leur propre détresse ou de leur incompréhension, et favoriser le maintien de la problématique ", explique Yves Simon. Et d'ajouter : " Comprendre comment les familles se réorganisent autour du problème est plus important que savoir comment le problème s'est développé. "En effet, cela s'avère fondamental pour que les familles puissent utiliser des ressources et des mécanismes adaptatifs permettant de mieux faire face à la maladie et de la surmonter. " Les résultats des études suggèrent que ce qui est le plus caractéristique des familles confrontées aux troubles alimentaires est l'écart entre les perceptions et interprétations du fonctionnement familial par leurs différents membres ", indique Yves Simon. La famille constitue le contexte permanent du développement psychosocial. D'où l'importance pour les thérapeutes de travailler avec elle en vue d'améliorer la communication et les relations en son sein, ce qui, les travaux scientifiques le montrent, peut se révéler déterminant dans la réponse de l'adolescent à la Family Based Therapy.L'approche thérapeutique préconisée doit aussi être pluridisciplinaire et, à ce titre, fait appel à la psychiatrie, la psychologie, la diététique ou encore la kinésithérapie - dans ce dernier cas, principalement pour des ateliers centrés sur l'expérience corporelle ou la méditation. " Dans notre centre, 30 familles sont simultanément en traitement, à différentes phases. Associer à la FBT des groupes multifamiliaux pour les parents, les adolescents et les fratries favorise une mise en place rapide des procédures thérapeutiques et le support social ", précise le docteur Simon. Les parents apprennent plus rapidement à refréner leur propension à réagir émotionnellement et à émettre des critiques à l'égard du jeune malade. Il est maintenant démontré que ces techniques multifamiliales ont un impact sur le processus de guérison.Dans l'anorexie mentale, l'une des missions des parents est de reprendre en charge le contrôle de l'alimentation de l'adolescent. "En pratique", dit le Dr Simon, ils choisissent, préparent et servent les repas. Si leur enfant ne mange pas ou mange trop peu, ils peuvent l'encourager à terminer son assiette, mais aussi la retirer au bout d'une demi-heure sans porter de jugement de valeur. Ils proposeront alors une activité commune agréable. L'absence de critiques et la diminution de la tension au sein de la famille sont propices à une prise de conscience, par le jeune, des conséquences de la maladie. Il consentira souvent à s'alimenter lors de repas ultérieurs. " Pour initier le processus, la deuxième séance de la FBT, telle qu'elle est pratiquée au Centre thérapeutique du trouble alimentaire de l'adolescent, repose sur un " repas thérapeutique " en famille, en présence d'une psychologue qui observe le fonctionnement familial à cette occasion. Le but est de dégager des enseignements quant à l'attitude des uns et des autres durant le repas et de discuter, lors des séances thérapeutiques individuelles et familiales, des éventuels problèmes relationnels détectés.Une hospitalisation (généralement de trois semaines) sera nécessaire avant l'engagement de la FBT si l'état de dénutrition du patient conduit à des conséquences biologiques graves : glycémie basse, bradycardie, chute de la tension artérielle, température corporelle inférieure à 35,5 degrés. Elle se justifiera également en cas d'échec thérapeutique ou de problèmes psychologiques induisant de la dépression ou un risque suicidaire, ou encore lorsque le contexte familial est délétère. " L'alimentation par sonde permet entre autres de restaurer des fonctions cognitives altérées par la dénutrition, ce qui facilite l'engagement dans la thérapie", souligne Yves Simon. " Dès le troisième jour, l'apport calorique vient alors pour moitié d'une alimentation classique. Dans ce cadre, il est demandé aux parents de prendre les repas avec le jeune afin de préparer le retour à la maison et l'engagement dans la FBT. "Dans le cas de troubles hyperphagiques, il est apparu que la réussite de la thérapie nécessite un accord préalable de l'adolescent à une gestion collaborative de ses problèmes. S'il s'agit de boulimie, la première mission des parents est de contribuer à réduire les comportements compensatoires à l'ingestion de nourriture (vomissements, hyperactivité physique...), mais sans recourir à la contrainte.Une fois le comportement alimentaire restructuré au cours de la thérapie d'un TCA, les défis de l'adolescence seront abordés.Par ailleurs, les parents et les proches de personnes souffrant d'anorexie mentale, de boulimie ou de troubles apparentés peuvent recevoir le soutien de l'association Miata (Maison d'information et d'accueil des troubles de l'alimentation), une asbl qui se veut un lieu d'accueil où les parents et les proches se retrouvent pour des groupes de paroles, des rencontres et des conférences et dont le site Internet est riche en informations utiles. Les familles s'encouragent, s'entraident, ce qui influe positivement sur la motivation de chacun.