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L'endométriose est une affection mal connue du public mais également de nombre de praticiens. Dans les pays occidentaux, on estime que s'écoulent cinq à sept ans, voire dix ans, entre le début des symptômes et le diagnostic. La maladie concerne pourtant un pourcentage élevé des femmes en âge de procréer. On avance classiquement le chiffre de 10%, mais selon certaines études, dont une réalisée par le Pr Michelle Nisolle, de l'Université de Liège, il pourrait atteindre 20%. En fait, la prévalence de l'endométriose est malaisée à évaluer car, pour être formellement établi, son diagnostic nécessite une laparoscopie. Soumettre à un tel examen un échantillon de femmes issues de la population générale est évidemment éthiquement inenvisageable. D'où l'intérêt fondamental, diagnostique et épidémiologique des recherches menées en vue d'identifier et de valider des biomarqueurs sanguins de l'endométriose. Si la prévalence de la maladie au sein de la population féminine en âge de procréer reste fortement nimbée d'incertitude, on sait que 30 à 50% des femmes qui consultent pour un problème d'infertilité en sont atteintes et que ce chiffre monte jusqu'à 70% chez celles qui consultent pour des douleurs compatibles avec un diagnostic d'endométriose. La physiopathologie de cette affection gynécologique chronique demeure énigmatique. On parle à son sujet de la "maladie aux 1.000 théories", tant son origine a suscité d'hypothèses. On considère aujourd'hui qu'il s'agit d'une affection plurifactorielle. Comme toutes les théories émises possèdent un certain degré de pertinence mais qu'aucune ne permet à elle seule d'expliquer l'ensemble des cas d'endométriose, la tendance n'est plus à essayer de les départager, mais de les combiner, de mettre en évidence leur intrication. "La maladie serait plurifactorielle chez toutes les patientes et non occasionnée par telle cause unique chez l'une et telle autre cause unique chez une autre", indique le Dr Linda Tebache, gynécologue et spécialiste en chirurgie pelvienne mini- invasive au Liège University Center of Endometriosis and Reproductive Medicine (LUCERM) du CHU de Liège (site CHR de la Citadelle). Quelles sont les principales théories avancées pour rendre compte de la présence de tissu endométrial ectopique? La plus citée et la plus communément admise est celle de Sampson: la théorie de l'implantation. Elle repose sur le reflux tubaire. Chaque mois, à l'occasion de ses règles, la femme saigne dans la cavité utérine et ce sang mêlé de cellules de l'endomètre nécrosées est évacué dans le vagin via le col de l'utérus. De la même manière, une fraction du liquide reflue dans les trompes et tombe dans la cavité péritonéale, présidant ainsi, selon la théorie, à l'implantation des lésions d'endométriose. "Les examens échographiques nous enseignent que le reflux tubaire est physiologique, qu'il a lieu chez la majorité des femmes dont les trompes sont perméables", dit Linda Tebache. " Dès lors, la théorie de Sampson ne peut expliquer à elle seule l'endométriose, puisque, bien qu'ayant du reflux tubaire, 90% des femmes ne développent pas la maladie."Autre piste: la théorie de la métaplasie, qui postule la capacité de transformation de cellules primitives de la cavité coelomique (péritonéale) en cellules endométriales. La dissémination par voie vasculaire, lymphatique, voire nerveuse vers une localisation ectopique fait également partie des hypothèses évoquées. "À l'instar de la théorie de la métaplasie, la théorie de la dissémination, également appelée théorie métastatique, pourrait fournir une explication à la présence de lésions d'endométriose dans un organe aussi éloigné que le cerveau", indique notre interlocutrice. Certains auteurs soutiennent par ailleurs que des dysfonctionnements du système immunitaire favoriseraient l'endométriose. Ainsi, par exemple, il se pourrait que les lymphocytes NK (Natural Killer) n'éliminent pas ces cellules cibles potentielles que sont les cellules endométriales "perdues" dans la cavité péritonéale, ce qui autoriserait leur survie, leur implantation ectopique et leur prolifération. La piste génétique est également explorée, d'autant qu'une femme apparentée à une patiente souffrant d'endométriose a un risque sensiblement plus élevé de développer elle-même cette pathologie - si une soeur ou la mère est atteinte, il serait multiplié respectivement par six ou par huit. La maladie serait polygénique. Différents gènes de susceptibilité ont été cités, tels les gènes codant pour le cytochrome B450, pour le glutathion, pour la N-acétyltransférase, pour les récepteurs aux oestrogènes, etc. S'il est bien établi aujourd'hui que des facteurs génétiques contribuent au risque de développer une endométriose, il reste néanmoins beaucoup d'investigations à mener pour démêler l'écheveau. Via les micro-ARN, notamment, l'épigénétique, entendue comme l'ensemble des mécanismes moléculaires qui modulent l'expression des gènes, est aussi au centre d'un intérêt croissant, tandis que la thèse de possibles causes environnementales (alimentation, pollution...) est débattue... Mille théories, disions-nous. Mille théories que la recherche s'efforce de combiner tant elles semblent posséder chacune leur part de vérité et se compléter. Si une endométriose diagnostiquée est asymptomatique, le plus souvent l'option est l'abstinence thérapeutique avec une surveillance des lésions répertoriées et, éventuellement, la prescription d'une pilule contraceptive afin d'éviter le risque d'une extension lésionnelle. En revanche, lorsque douleurs il y a, un traitement hormonal, avec ou sans menstruations, est instauré - pilules oestroprogestatives ou progestatives, voire stérilet hormonal - avec des résultats variables sur les douleurs selon les patientes, indépendamment de la sévérité de la maladie. Des antalgiques peuvent être prescrits en complément. "Outre les pilules contraceptives, on peut également recourir, dans des cas sévères ou en postopératoire d'une cure chirurgicale d'endométriose, à l'injection mensuelle d'agonistes de l'hormone de libération des gonadotrophines hypophysaires (GnRH), ce qui crée une ménopause artificielle", indique le Dr Tebache. Certaines adolescentes sont confrontées à des dysménorrhées sévères. Quand bien même l'examen clinique et l'imagerie (échographie, IRM) ne révéleraient-ils rien, la tendance sera d'agir comme si la présence d'une endométriose superficielle débutante était avérée et de prôner l'arrêt des menstruations, ou du moins l'instauration d'une pilule contraceptive. L'avantage de cette prise en charge consiste à soulager efficacement la douleur en cas d'endométriose débutante potentielle, mais également de dysménorrhée idiopathique, très courante chez les jeunes filles. "Même si le traitement aboutit au résultat escompté, jamais on n'aura la preuve que c'était bien de l'endométriose qui était à l'origine des douleurs," insiste la gynécologue. "Encore une fois, seule une laparoscopie pourrait nous éclairer sur ce point, mais elle ne se pratique chez ces adolescentes que quand ces dernières se montrent réfractaires à toute thérapie hormonale."Depuis quelques années, le dienogest, un progestatif, a enrichi l'arsenal thérapeutique. Généralement efficace sur les douleurs d'endométriose, ce médicament ferait parfois régresser la taille des lésions, surtout au niveau ovarien. Toutefois, il ne les élimine pas et n'est pas efficace chez toutes les patientes. "De surcroît, il est très onéreux et présente le risque de quelques effets indésirables chez certaines patientes, comme la plupart des traitements hormonaux, tels qu'une diminution de la libido, des troubles de l'humeur, de l'asthénie, de l'acné, une perte de cheveux ou encore une prise de poids", précise le Dr Tebache. La chirurgie, elle, est envisagée essentiellement dans trois cas de figure: une qualité de vie altérée malgré la prise en charge globale (médicamenteuse, hygiéno-diététique, physiothérapeutique, etc.), certains cas d'infertilité où il est supposé que la libération des adhérences et l'excision des lésions endométriotiques (y compris les endométriomes) favoriseraient la survenue d'une grossesse ou lorsque les lésions d'endométriose mettent en péril le fonctionnement normal d'un organe (rectum, rein...). L'excision n'est pas anodine. D'une part, les lésions endométriotiques peuvent affecter différents organes pelviens en plus du péritoine. Aussi peut-il s'avérer nécessaire de réaliser la résection d'une partie de la paroi rectale, vaginale ou vésicale. D'autre part, lorsque les lésions envahissent profondément les ligaments utéro- sacrés, le risque d'atteintes de nerfs pelviens gérant la vidange de la vessie et du rectum et la lubrification vaginale est réel. Il faut donc pouvoir enlever le maximum de tissu lésé tout en préservant ces nerfs. La prise en charge d'une patiente atteinte d'endométriose dépendra de divers éléments: ses plaintes, ses symptômes, ses attentes, son âge, son désir ou non de grossesse, le type de lésion... "Ce sera à chaque fois du sur-mesure", conclut le Dr Tebache.