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Au sous-sol de l'institution qui fut militaire et médicale, Une étrange défaite? , d'après le titre du livre de Marc Bloch écrit, sans point d'interrogation, dans l'immédiate invasion de la France par les troupes allemandes (Marc Bloch, historien juif, mourra en résistant en 1944), relate cette période peu glorieuse pour la France et son armée: évoquée d'abord par La grande vadrouille dont elle expose le fameux side-car, l'affiche de La bataille de France, documentaire de 64 qui utilise des images de la propagande nazie reconstituant les combats, et une autre de l'inoubliable Où est passé la 7e compagnie?, laquelle comédie montre une armée française démobilisée, débrouillarde et passive. C'est justement pour battre en brèche l'image d'un corps d'armée français impuissant et dépassé que cette expo a été mise sur pied par Gilles Vergnon, maître de conférences habilité en histoire contemporaine à Sciences-Po Lyon, et qui en est le commissaire. Le rappel de cette "débâcle" est reproduit dans la muséographie qui s'en réfère au sens premier du mot, en faisant dériver, tels des morceaux de glace, les divers espaces muséaux. Le propos attaque le sujet sur trois fronts: militaire (jaune), civile (rouge) et politique (bleu). D'abord, elle tord le cou aux mythes des forces en présence: dans l'équipement des soldats des deux armées, similaire, du nombre de chars, pratiquement identique, contrairement à ce qu'on aurait cru: sauf que... les tanks allemands communiquaient par radio et, qu'au niveau de l'aviation, le rapport était de un à quatre avions en faveur des "Boches". Revenant sur l'entrée en guerre, l'exposition exhibe des pages agrandies de Paris-Match mettant en exergue durant la drôle de guerre, d'une part le pléthorique état-major français (dirigé au départ par le peu stratège Gamelin), de l'autre un fort-type de la ligne Maginot, réputée imprenable. Plus loin, une affiche tonitrue Nous vaincrons car nous sommes les plus forts! qui symbolise bien cette suffisance affichée par les vainqueurs par défaut de 14-18. Une période, "la drôle de guerre", dont sont rappelés des épisodes méconnus: comme les 11.000 sorties effectuées par l'armée de l'air française ou, en avril 1940, la bataille de Norvège, qui voit une dizaine de milliers de soldats français les plus aguerris partir tenter de barrer la route aux Allemands qui voulaient mettre la main sur le pétrole norvégien et le minerai suédois. L'occasion aussi de découvrir la propagande des deux camps: les Allemands tentant de mettre en doute dans des affiches et caricatures la concorde franco-anglaise, et jouant de la séculaire perfidie anglaise hantant les esprits français. De l'autre, l'on peut voir les chansons composées à l'intention du public hexagonal et des soldats qui s'ennuient sur la ligne de front, notamment le fameux Nous irons pendre notre linge sur la ligne Siegfried interprété par Ray Ventura et son orchestre. Ceci pour l'introduction, qui précède la plongée dans la débâcle proprement dite, qui court du 10 mai 1940 au 25 juin date de l'arrêt définitif des combats. Un mot débâcle popularisé par Zola dix ans après la défaite de Sedan en 1870. Un autre écrivain et par ailleurs médecin, le collaborationniste Louis-Ferdinand Céline résume lapidairement le combat des troupes françaises en 39-40: Six mois de belote et trois semaines de course à pied. L'expo, un rien cocardière, vise à déconstruire ce mythe d'une armée en pleine sidération devant l'ennemi "éclair". Expliquant que d'un point de vue militaire, la France, un peu suffisante tout de même, s'est préparée à une guerre longue, et de style tranchées, que sa population est deux fois moins grandes que celle de l'Allemagne (40 pour 80 millions), et qu'elle dut se résoudre à mobiliser des soldats âgés. La percée de Sedan (décidément...), alors que les troupes françaises sont en Belgique voire en Hollande, prend les Français par surprise, et même les Allemands s'étonnent d'avancer si vite (les avions, en soutien des chars, font la différence). L'exode débute, immortalisé de manière déchirante par la photographe américaine Thérèse Bonney: on y voit notamment un enfant, sac sur le dos, sur lequel s'inscrit son nom et sa provenance: Vireux dans les Ardennes Françaises à la frontière belge, car il recherche ses parents. La première offensive passée, l'état- major français est remanié, mais trop tard: un Paris-Match à l'effigie du roi Léopold III est rageusement barré par un lecteur, qui le traite de félon pour avoir capitulé, privant les alliés des 400.000 hommes de troupes... Les réfugiés belges affluent, notamment dans le Sud-Ouest de la France: ils seront plus de deux millions, notamment à Montauban. Sont exposées notamment les empreintes et photos d'un certain Joseph Vaes qui, comme tous les autres, devait se faire connaître auprès de la préfecture de cette ville. Est évoqué un autre épisode oublié - toujours au travers de carnets, cartes, documents, photographies et films lorsqu'ils existent - la guerre entre France et l'Italie. Elle ne durera que quinze jours dans le Sud des Alpes et se solda par la déroute des Italiens (L'Italie sera le fléau d'Hitler), le général français Olry devant finalement capituler (1.600.000 prisonniers de guerre français! ) à l'annonce de l'armistice général. Mais malgré l'appel du... 17 juin (celui de Pétain appelant à cesser les hostilités), le combat désespéré de certaines unités durera jusqu'au 25 juin. C'est le cas à Montluzin, Voreppe, Annonay en Ardèche où des régiments de spahis marocains et algériens, entre 1.500 et 3.000 soldats, seront humiliés et massacrés (certains seront écrasés par des chars) par les nazis après avoir été faits prisonniers. L'armistice est signé et la Révolution nationale est présentée comme une expiation, un retour à une société patriarcale, à la terre. Des disques (quarante! ) allemands enregistrent à son insu les conversations de la délégation française à Rethondes, preuve encore de l'avance technologique allemande, déterminante (l'expo cherche d'ailleurs à minimiser la supériorité.. de l'ennemi sur ce point). Alors que des affiches de Pétain tentent de rassurer les Français, que d'autres incitent les " populations abandonnées à faire confiance au soldat allemand", certains choisissent déjà de résister: le 17 juin, le préfet d'Eure-et-Loire refuse d'obéir aux nazis en ne signant pas un document attestant d'un massacre soi-disant perpétré par des tirailleurs sénégalais. Il sera emprisonné la nuit même, torturé et tentera de se suicider: il s'appelle Jean Moulin. C'est d'ailleurs l'effondrement qui règne dans le pays qui voit, dans un film amateur, défiler en Normandie les civils sen fuite, lequel montre les premières images de destruction: la bataille de France aura au total coûté la vie à 68.000 soldats français et 45.000 Allemands. Le début de la guerre a jeté sur les routes plus de neuf millions de personnes, soumises aux tirs des stukas, une population qui connaîtra son lot de victimes innocentes en Artois notamment, et à Rennes où un bombardement allemand sur la gare touche un convoi de munitions qui explose, soufflant la gare et tuant plus de 700 personnes. Pour conclure, la mémoire de l'exode est évoquée au travers de la bédé récente de Pascal Rabaté (et pas Rebatet) La déconfiture, de La bête est morte parue dès 1944 et mettant en scène des animaux représentant l'humanité (très animale en effet), de dessins d'écoliers réalisés en 41 ou par l'évocation de l'ouvrage posthume d'Irène Némirovsky Suite française publié seulement en 2004, 60 ans après sa disparition dans les camps. Et si Mitterrand évoque la débâcle en 1990 (lui qui fit partie du gouvernement de Vichy...), on peut regretter que l'exposition ne le fasse pour sa part plus pour Une étrange défaite, ouvrage qui lui donne son titre, oeuvre de l'historien juif et résistant Marc Bloch (lequel se voit consacré un espace dans la partie permanente du CHRD), torturé par Barbie et assassiné: il est simplement exposé dans une vitrine en conclusion. Il est vrai que l'auteur s'y montrait autrement plus critique à l'égard de l'armée française...