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Thème n°1: Quelles conséquences aura la concentration des soins sur la pratique individuelle hospitalière? Quel impact sur les réseaux hospitaliers? Pour Margot Cloet, "chaque hôpital, dans le cadre d'une médecine à l'acte, souhaite de fait pratiquer diverses médecines mais bien sûr la concentration des soins ne permet pas de tout faire. Notre combat pour la qualité mène automatiquement à une concentration des soins. Celle-ci va contribuer probablement à la réorganisation des soins. Nous irons vers des 'Communities Hospitals'. Les réseaux peuvent être une bonne chose s'ils sont géographiquement organisés de façon adéquate. On va aller vers d'autres chemins comme la fusion ; la collaboration sera indispensable notamment avec la première ligne."Johan Kips estime que "la concentration induit des questions de fond qu'on doit se poser sur le paysage hospitalier: quel soin à quel endroit? Le but principal est de créer de la valeur ajoutée. La qualité des soins en médecine a plusieurs dimensions: résultats des soins, sécurité des soins, soins orientés patients, ponctualité, efficience. Est-ce que le soin est plus pertinent à domicile? 'Qualité pour le patient', 'efficacité et proximité' sont les maîtres-mots des soins à l'avenir." Ces questions sont liées évidemment à la prévalence des pathologies. La concentration peut être suprarégionale mais elle peut être aussi locale. "La Belgique compte 103 hôpitaux généraux sur 195 sites. Nous devons les transformer en une approche loco-régionale. Au sein de la réflexion sur l'approche loco-régionale, la question de savoir quel paysage hospitalier nous voulons doit être posée. Quelle est la définition d'un hôpital général? Quelle permanence de soins est nécessaire? Quelle main-d'oeuvre est disponible, et quand? Chacun des 195 sites doit-il continuer tous les soins aigus? Ou bien doit-on aller vers des soins différenciés selon les sites hospitaliers? Entre une concentration loco-régionale ou supra- régionale, encore une fois, quelle est la bonne?"Katelijne Valgaeren soulève un paradoxe: on prône la collaboration dans un environnement où les hôpitaux sont en réalité en concurrence les uns avec les autres. Donc par exemple si une région connaît un vieillissement, l'approche doit être spécifiquement collaborative. Mais la manière dont les médecins sont rémunérés à l'acte ne rend pas ça possible. Le personnel a un statut propre. Donc les mettre ensemble est difficile. Au sein des associations de médecins à l'intérieur de l'hôpital, les sous-spécialisations font que chacun se divise l'un l'autre. Le défi est ce qu'il se passe en dehors des murs de l'hôpital. Le problème s'accentue si l'offre diminue (tant qu'il y a beaucoup de travail, il n'y a pas de problème). Thème n°2: Face aux incertitudes à long terme, ne serait-ce pas une bonne idée d'avoir un plan budgétaire beaucoup plus pluriannuel? "L'idéal est un plan à dix ans", estime Johan Kips. "Le problème est la démocratie: les leaders qui vont participer aux structures de concertation, les politiques... Quels sont les défauts principaux du modèle actuel? Au niveau fédéral, il y a de la concertation à tous niveaux. Au niveau des entités fédérées ce n'est pas forcément le cas. Il faut le faire de manière constructive et en concertation..."Certains plaident pour une sorte de médico-mut entre médecins hospitaliers et gestionnaires. Car chaque hôpital a tendance à vouloir garder tout ce qu'il pense faire convenablement. Marianne Michel insiste de son côté sur le fait que tout cela revient à la manière dont on organise les filières de soins. " Certaines organisations sont larges. Si on prend les réseaux comme des filières de soins, on est un peu déçus de voir que les réseaux ne sont peut-être pas suffisamment appuyés par des moyens et il ne faut pas que l'hyperconcentration coupe des moyens à des hôpitaux qui ont des activités. On peut partager aussi certaines activités, des compétences. On ne va pas partager les patients mais partager les soins et les trajets en fonction des spécialités: la radiothérapie chez un, la chirurgie chez un autre avec à chaque fois des expertises et des équipes autour du patient dans chaque hôpital." On retrouve ainsi les "réseaux de connaissance" lancés par Maggie De Block. Stan Politis: "En réalité certains hôpitaux sont prêts à 'concentrer' les soins pour des pathologies spécifiques. En oncologie, ils sont prêts à entrer dans une convention par exemple. Ou démarrer à partir de conventions existantes." Mais peut-on encore agir en tant que gastro-entérologue interventionnel dans des centres de chirurgie complexe pour oesophage & pancréas? Marianne Michel en revient aux filières de soins. "Il ne faut pas se retrouver à avoir tout d'un coup 100 hôpitaux qui se concentrent sur la médecine d'urgence avec plus aucune compétence spécifique. Ce sera au détriment de la qualité car les centres de référence ne pourront pas tout assumer et on va perdre des compétences dans les institutions." Un plan pluriannuel sur dix ans, qu'en pense-t-elle? "Réfléchissons sur base de quoi et avec quels outils. Je ne parle même pas de trajets de soins qui sont tout de même très connotés. En pédiatrie, nous avons une expérience de 30 ans dans les filières de soins avec les centres néonataux intensifs par exemple. Mais dans chacun des 100 hôpitaux, il faut une place pour toutes les spécialités."Thème n°3: Quel impact de la concentration sur le staff médical? La concentration et l'expertise, ce n'est pas seulement pour les pathologies complexes. Ce n'est pas parce qu'un médecin réalise 1.000 opérations de l'oesophage qu'il est forcément bon. En gynécologie, il y a les accouchements mais aussi les cancers, les ménopauses... Le tout est une question d'association entre médecins qui se sentent à l'aise. "Je préfère que cela se fasse de manière spontanée, que les associations de médecins se retrouvent entre elles et décident de qui va faire quoi", précise le conseiller de Vandenbroucke. "En termes de qualité pour les patients, c'est la meilleure garantie..."Katelijne Valgaeren souligne qu'en endoscopie interventionnelle (EI), ces dix dernières années, il y a eu une évolution majeure. "L'EI est devenue une activité indépendante des autres et la meilleure alternative pour des interventions chirurgicales. En matière de chirurgie bariatrique, l'endoscopie interventionnelle permet d'éviter certaines chirurgies et plusieurs jours d'hospitalisation. Son aspect indépendant fait qu'elle ne peut pas être centralisée seulement dans des hôpitaux universitaires. Un chirurgien du thorax ne doit pas être présent en permanence en cas d'intervention sur l'oesophage par exemple."Thème n°4: Nos sources sont-elles fiables? Ou doit-on aller à l'étranger pour avoir des sources fiables? Johan Kips évoque des exemples de concentration à l'étranger qui ont réussi, comme aux Pays-Bas. Une étude portant sur les tumeurs à l'estomac et aux intestins qui s'étend sur la période 2011-2019 conclut qu'à partir de 20 ans, on observe une stabilité de la mortalité et à partir de 60 ans, on voit une descente du nombre de complications. "La plupart des pays étrangers évoluent vers plus de concentration." Il existe une littérature internationale EBM qui démontre que les experts se parlent entre eux dans le cadre de la concentration. "De l'étude néerlandaise mentionnée ici, l'amélioration des soins vient du fait que les médecins se parlent... La littérature internationale est donc une des manières d'améliorer le système belge." Mais la Belgique doit collecter les données uniquement validées, ce qui n'a historiquement pas été le cas... Par exemple, le rapport KCE sur la pédiatrie n'englobe pas les hôpitaux de jour pédiatriques... La Dre Michel insiste: lorsqu'on compare l'Allemagne et la Belgique par exemple, il faut tenir compte du modèle belge, la densité de population, l'organisation de soins. Toutefois, elle précise qu'en oncologie pédiatrique, avec des modèles par pays parfois différents, les résultats sont somme toute assez similaires. Aux Pays-Bas, précise Johan Kips, il y a un gros centre et 12 centres affiliés. En Belgique, il y a trois centres de référence pour les transplantations de moelle et la chirurgie complexe mais la chimiothérapie est par exemple réalisée dans des centres affiliés plus près du patient. "Une biopsie pour une petite lésion dans la bouche doit être faite au plus vite et au plus près!"La Dre Michel préfère que les centres satellites continuent à travailler. Il y a un risque de désinvestissement dans ces centres. Et des hôpitaux risquent de se "vider"... D'où l'idée que les oncologues passent une fois pas semaine dans les centres satellites, selon Kips. Dans les mastodontes hospitaliers, précise Mme Cloet, il faut veiller à ne pas perdre le patient. Bart Demyttenaere précise que la concentration des soins se résume souvent à deux dimensions: organisation (des hôpitaux) et impact pour les professionnels. Mais il faut quatre dimensions avec, en plus, la dimension sociétale et le patient lui-même (ce qui est bon pour lui). "Le patient recherche la qualité des soins et des meilleurs soins. Quelle est la qualité dans l'hôpital X et le médecin Y? Il n'en sait rien. Il faut des indicateurs de qualité. Si on ne peut pas garantir que l'hôpital à 30 km est meilleur que l'hôpital proche, cela ne vaut pas la peine."La concentration doit également prendre en compte la réalité belge avec une dispersion géographique des hôpitaux peu homogène et dans un pays de moins de 12 millions d'habitants. Pour Marianne Michel, la concentration des soins peut être une solution pour les 6.200 maladies rares dont 70% démarrent dès la naissance. "Au niveau des hôpitaux, comment les coupoles de concertation vont-elles faire parler les médecins entre eux à deux kilomètres de distance parfois? Les rôles de garde doivent être de plus en plus sophistiqués pour éviter des gardes de gynéco obstétrique dédoublées... En radiologie interventionnelle, il faut éviter que deux radiologues fassent la garde un jour sur deux... La nouvelle génération de médecins n'adhérera pas au cost-consuming..."