E-Healthventure est pionnier de l'innovation digitale en santé, notamment dans les hôpitaux. La start-up, qui a levé deux millions d'euros, sert d'intermédiaire. Marius Declerck, un de ses fondateurs, estime que le potentiel de l'eHealth est "énorme" et que le développement de l'intelligence artificielle dans le secteur de la santé est inarrêtable.
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Le journal du Médecin: En quoi consiste l'activité d'E-Health Venture? Marius Declerck: Fondamentalement, nous sommes un pont entre, premièrement, des "unmet health & care needs" - des besoins non rencontrés dans la santé et dans les soins - et, deuxièmement, des solutions technologiques. Pour le premier point, nous remarquons que ces besoins sont souvent ressentis par des patients et/ou des professionnels de soins, qui n'ont ni le temps ni le vocabulaire permettant un transfert efficace du besoin vers des potentiels fournisseurs de solutions. Inversement, nous constatons que les fournisseurs de solutions sont souvent mauvais/immatures dans leur façon de présenter et de vendre leur solution. Nous intervenons aux deux bouts du spectre, c'est-à-dire, en aidant les professionnels de soins à identifier, définir et documenter leurs "unmet needs" et en aidant les fournisseurs de solutions technologiques à mieux se présenter au monde médical/de la santé. Ensuite, nous facilitons la mise en relation et la discussion. Quelles sont les étapes suivies pour accompagner vos "clients"? L'approche est structurée comme suit: 1. Nous commençons toujours par aller voir si des solutions existent auprès d'acteurs établis dans le secteur (par "établi", on entend: grand, robuste financièrement, ayant déjà beaucoup de clients,...). Cette première étape est primordiale, car des solutions émanant de ce groupe d'acteurs ont le plus de chance de réussir à répondre aux besoins. Il convient de noter aussi que nous pouvons également aider ces mêmes "grands acteurs" à mieux présenter leurs solutions. 2. Si les acteurs établis n'ont rien de convaincant à proposer, nous nous tournons alors vers des start-ups et scale-ups existantes. C'est-à-dire, des jeunes entreprises technologiques existantes, avec une équipe et un produit existant, prêtes à sauter sur des opportunités de développement et commerciales. 3. Finalement, si personne n'a de réponse convaincante, on a la possibilité de créer nos propres start-ups. En gros: répliquer dans la santé ce que les banques et les télécoms ont fait avec Bancontact, ItsMe, etc. Cette démarche est souvent entreprise main dans la main avec un consortium d'acteurs établis, qui nous aident à financer l'entreprise, à développer le produit et à le commercialiser. Enfin, pour les start-ups et porteurs de projets spécifiquement, nous offrons un accompagnement sur-mesure durant 12 mois. Durant cette période, les entrepreneurs sont soutenus sur le développement de leur produit, leur stratégie de financement, la commercialisation, et le recrutement de leurs premiers employés. Tout ceci, nous le faisons avec notre équipe et nos partenaires stratégiques (le service externe de prévention CESI, le Fonds Verhelst du Groupe AB Inbev, la mutuelle Helan, l'agence de développement Blue Planet, l'agence de recrutement Key4Nova, le spécialiste en protection de données de santé MyDataTrust, les agences VOKA Health Community et Lifetech, etc.). Quand est né E-Health Venture et pourquoi l'avoir créé? La Belgique est un pays doté de professionnels de soins hors norme, de chercheurs scientifiques les plus productifs qui soient, et d'une des meilleures infrastructures de recherche, produit et étude pharmaceutique. Or, lorsqu'on regarde notre position en termes d'innovation en matière de santé numérique, nous sommes à la traîne. L'entreprise E-Health Venture (EHV) est née fin 2019 dans l'espoir de pallier cette situation. Elle a été fondée par EEBIC Ventures (le gérant, notamment, des fonds Theodorus qui investissent dans les spin-offs de l'ULB), Michael Verschueren et Gio Canini. EHV est inspirée d'un modèle d'innovation israélien. Là-bas, chaque hôpital est doté d'une "équipe innovation". Cette équipe assure deux fonctions. La première est d'aider les idées et projets internes à se développer et se commercialiser à l'externe. En Belgique, le staff des hôpitaux académiques a accès à un service similaire via le Tech transfer office/service de valorisation de leur université. La deuxième est de répertorier les besoins et problèmes, et d'y trouver des solutions externes. Très peu d'hôpitaux belges sont dotés d'un service capable d'assurer cela. J'invite toute personne intéressée à s'inspirer des deux écosystèmes suivants: www.linkedin.com/in/arc-innovation-at-sheba et aionlabs.com. Nous avons donc érigé E-Health Venture en 2019, avec l'intention de pourvoir chaque hôpital qui souhaite (mieux) innover d'une "équipe innovation partagée". Ce service serait gratuit pour les hôpitaux (dans la mesure où les services fournis sont standards, et non sur-mesure). En échange, E-Health Venture aurait le droit d'être le cofondateur d'idées/prototypes qui émaneraient desdits hôpitaux. Plusieurs hôpitaux ont accepté l'appel, et sont devenus partenaires de notre initiative: le CHU St-Pierre, le HUB (ancien Erasme), les Cliniques St-Jean, Epicura, et le CHU Brugmann. Nous collaborons également étroitement (mais pas officiellement) avec l'UZB, l'UZA, et les Cliniques St-Luc. En 2020 et 2021, nous avons levé deux millions d'euros auprès d'investisseurs publics (SFPI, Noshaq, Sambrinvest, F&I Brussels, et l'ULB) et privés (Sergio Canini, Ivo Vanderick, Erwin Janssen). Ces fonds sont nécessaires pour payer notre équipe multidisciplinaire et pour nous permettre d'investir dans des projets prometteurs. Notre actionnariat et notre équipe sont très représentatifs de notre ambition nationale: nous sommes la seule structure en Belgique qui dépasse les frontières régionales, et permet aux différents acteurs de la santé de se retrouver. Car, au bout du compte, il est beaucoup plus simple pour une start-up wallonne de rester dans un cadre réglementaire identique et de traduire son produit en néerlandais, que de faire l'inverse en s'attaquant au marché français. Or, force est de constater que trop souvent, la barrière linguistique est un facteur bloquant. Quelle est la marge de développement de l'e-innovation hospitalière? Quelles sont vos ambitions à deux ans? The sky is the limit?Le potentiel est gigantesque et ce, à tous les niveaux. Les hôpitaux sont particulièrement intéressants selon nous parce qu'ils attirent 30-40% (34% en 2018 - SPF Sécurité Sociale) du financement et parce qu'ils regroupent beaucoup de professionnels de soins et de patients sous un même toit. Nous le répétons à chaque rencontre: il n'existe plus le moindre doute sur le fait que la médecine va devenir davantage digitale dans les années à venir. Il n'existe aucun doute sur le fait que l'IA va être de plus en plus utilisée dans les trajets de soins. Il n'existe aucun doute non plus sur le fait que les téléconsultations vont devenir de plus en plus courantes. Ces doutes n'existent plus car le constat est très simple: sans innovation et sans outils digitaux, le coût et la fourniture de soins de santé qualitatifs ne sont pas tenables. Il suffit d'étudier les dernières évolutions dans les soins infirmiers et paramédicaux belges, pour voir que nous ne pouvons plus continuer ainsi. En effet, des infirmières qui quittent leur métier - surtout dans les hôpitaux - , c'est catastrophique pour la qualité de soins (ceci est démontré par plusieurs études scientifiques). Tout le monde en est-il convaincu? Pas sûr. Si les politiciens acceptaient plus clairement ce point ("la médecine va se digitaliser"), nous pourrions tous enfin nous tourner de façon plus alignée vers la question fondamentale: veut-on être un moteur de cette transformation, et tenter de générer des emplois et des retours financiers dans ce domaine? Ou préfère-t-on être réactifs, et acheter des solutions produites à l'étranger? Je tiens à souligner que cette question n'est, selon moi, pas rhétorique. En politique comme dans le monde de l'entreprise, on ne peut pas tout faire et il faut donc faire des choix ; c'est-à-dire avoir une stratégie et des priorités. Si le politique souhaite positionner la Belgique comme un acteur dans la santé numérique, il ne reste plus de temps à perdre: nous devons mettre en place les financements et les paramètres réglementaires pour y arriver. A contrario, si les développements innovants dans la santé numérique ne sont pas une priorité, il conviendrait de l'annoncer ouvertement pour que tous les moyens financiers et l'énergie qui est investie dans ce domaine soit investie dans des endroits plus intéressants. Notre ambition sur les prochaines années va donc être très fortement influencée par les développements et points susmentionnés. D'ici-là, dans l'attente de clarification de la machinerie politique, notre ambition à 24 mois est de créer quatre nouvelles entreprises, d'accompagner une petite vingtaine de start-ups, et d'étendre notre réseau de partenaires de 28 aujourd'hui à 40. Même si on souhaiterait que the sky puisse être the limit, il ne l'est pas. Nos budgets et la réalité du terrain en Belgique conditionnent notre rythme de développement. Il est très important - probablement en santé plus qu'ailleurs - de se développer à un rythme qui correspond aux attentes du monde médical. Dans l'équipe il y a deux médecins. Quel est leur rôle particulier? Nous avons effectivement deux médecins: William Declerck a travaillé pendant trois ans chez Bingli, une très belle pousse belge dans l'e-santé. Là-bas, il gérait la traduction des algorithmes qui se trouvent aujourd'hui dans les cerveaux de médecins, dans des algorithmes plus ou moins identiques dans un format numérique. Ainsi, Bingli est capable d'offrir un outil d'anamnèse digitale puissant. Chez nous, parmi de multiples tâches et casquettes, William reprend environ ce même rôle. Dans les phases très précoces de développement des start-ups, il aide à développer un produit qui correspond et répond aux attentes du monde médical. Milan Schreuer nous a rejoint plus récemment. Il n'est pas seulement médecin, mais aussi journaliste (New York Times) et investisseur (Lauxera Capital Partners). Milan se charge de mettre en place un fond d'investissement avec lequel notre incubateur/studio collaborera étroitement. Avez-vous des contacts avec les autorités (Inami, Aviq, différents ministres de la santé...)? Les autorités ont été très difficiles à contacter ces dernières années (covid oblige...). Malgré cela, nous avons eu quelques interactions avec l'Inami (surtout via Brecht Stubbe, qui en est le CTO/CIO) et avec le ministre fédéral [de la Digitalisation] Mathieu Michel. Une réunion est prévue avec le cabinet de la ministre wallonne de la Santé Christie Morreale. Nous espérons que les ministres Alain Maron, Frank Vandenbroucke et Hilde Crevitz nous rendront visite dans les mois à venir. En tous cas: nous continuerons à leur envoyer régulièrement des invitations et des rappels.