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Le Groupe COCONEL, un consortium de chercheurs dirigé par Patrick Peretti-Watel, qui étudie depuis le début du confinement un ensemble d'attitudes vis-à-vis du Covid et des mesures mises en place en France, a écrit une lettre au Lancet Infectious Diseases (le 20 mai 2020) pour attirer l'attention de la communauté scientifique sur le risque d'hésitation vaccinale et de politisation relatif à une future campagne de vaccination contre le Covid-19. Dans leurs enquêtes successives, réalisées depuis la mi-mars, un chiffre les a particulièrement étonnés : 26% des répondants déclarent qu'ils n'ont pas l'intention de se faire vacciner lorsqu'un vaccin sera disponible. " Même moi qui travaille sur ce sujet depuis presque dix ans(voir notre édition du 14 février ), j'ai été étonné qu'il y en ait autant : les chiffres de l'hésitation vaccinale en France tournent autour de 20-30%. On pourrait donc se dire que c'est à peu près la même chose ici, sauf qu'en général, elle se focalise sur certains vaccins dont le public ne perçoit pas nécessairement la nécessité, par exemple, l'hépatite B ou le papillomavirus. Et surtout, elle tend à se focaliser sur les vaccins pour lesquels il y a des débats publics sur la sécurité ", explique le sociologue Jeremy Ward (Université Paris-Sorbonne). " Or ", poursuit-il , " dans le cas du coronavirus, il n'y avait pas encore de débat public sur la sécurité du futur vaccin et en plus, c'était un moment où on était confiné et où, tous les jours, le nombre de mortsaugmentait. " Raisons pour lesquelles ce groupe a considéré qu'il était important d'en informer la communauté scientifique et notamment les experts susceptibles de conseiller les gestionnaires de la pandémie pour anticiper ce refus de vaccination. " J'ai beaucoup travaillé sur la grippe H1N1 en France où le gouvernement n'avait pas voulu communiquer sur la sécurité des vaccins alors qu'il avait mis en place des dispositifs spécifiques pour suivre la survenue d'effets secondaires etc. Il faut construire la confianceen amont, ce qui passe à la fois par communiquer très tôt et surtout garantir que les procédures accélérées de mise sur le marché ne rognent pas sur la sécurité, que la vaccination est décidée sur base de données scientifiques et non sur des intérêts pharmaceutiques ", ajoute-t-il. Ces refus vis-à-vis d'un éventuel vaccin contre le Covid étaient plus présents chez les personnes à revenus faibles et chez les femmes. " On retrouve déjà ces profils dans les études sur l'hésitation vaccinale en France. Les femmes s'occupent généralement des questions de santé et elles sont plus susceptibles de croiser l'information critique sur les vaccins. Des travaux sur la perception des risques tendent à montrer qu'elles sont plus sensibles à la question des effets secondaires. " Le facteur politique est aussi ressorti des réponses à ces enquêtes, avec une réticence beaucoup plus forte chez les gens proches des partis d'extrême droite et d'extrême gauche, et chez celles qui ne sont proches d'aucun parti. " C'est un résultat très important parce que les études internationales sur l'hésitation vaccinale tendent à s'intéresser de plus en plus aux facteurs politiques qui ont été longtemps mis de côté ", précise Jeremy Ward. Deux explications complémentaires sont avancées : " La première c'est que les controverses des dernières années ont sensibilisé une grande partie de la population à la question du danger des vaccins, et la deuxième c'est que les critiques et le contexte particulier de la gestion de la pandémie en France qui fait l'objet de beaucoup de débats et d'accusations d'erreurs, font qu'une grande partie de la population ne fait pas confiance au gouvernement pour gérer cette pandémie et cela affecterait les attitudes vis-à-vis d'à peu près n'importe quelle intervention, dont la vaccination. " Le rôle du chaos de la communication politique dans cette pandémie est un point que ces chercheurs ont développé dans un article publié en préprint 1 où ils mettent l'accent sur la politisation du débat sur l'hésitation vaccinale qui quitte l'opposition classique gauche-droite pour se focaliser sur les extrêmes. " Les situations de pandémie mettent les autorités dans une situation très difficile parce qu'elles prennent des décisions nécessairement politiques qui touchent tous les domaines. Le visage de la pandémie ce sont les politiques et en même temps, il est crucial pour eux de convaincre le public que les décisions reflètent l'état des connaissances ", fait-il observer. Peut-on craindre que la science en ait pris un coup ? " Un certain nombre d'études montrent que la confiance dans la science se construit aussi en montrant le caractère inachevé, l'existence d'incertitudes, de désaccord sur certains points... C'est la vision un peu optimiste. La vision pessimiste c'est qu'on a aussi vu beaucoup de politisation du débat et d'interventions des politiques dans la recherche. En général, la confiance dans l'autorité de la science se construit sur l'idée qu'elle est séparée de l'économie, du politique etc. On a aussi eu la présentation de mauvais comportements de la part de scientifiques, que ce soit des études mal faites, sans que les reviewers aient accès aux données, avec des conflits intérêts... Tout cela n'incite pas à instaurer la confiance... ", conclut Jeremy Ward.