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On savait que les maisons de repos et de soins étaient des "clusters naturels" du virus, parce que concentrant un grand nombre de personnes fragilisées par l'âge ou les comorbidités. Mais une étude suédoise publiée dans le Lancet révèle que ce n'est pas le lieu de vie le plus mortifère, notamment parce qu'une politique volontaire de prévention y est généralement déployée. Le lieu le plus dangereux, c'est le logement intergénérationnel, où personnes âgées vivent avec des personnes qui se rendent au travail ou à l'école. Et reviennent infectés, souvent à leur insu. De quoi préférer rassembler les anciens entre eux en minimisant les contacts avec l'extérieur, en tout cas le temps de l'alerte au virus. Les Scandinaves sont les champions du monde des registres sanitaires, ce qui leur permet de suivre les tendances de fond qui affectent la santé publique au fil des décennies, avec une richesse inégalée de détails. Les experts estiment que cette étude fournit un exemple clair de l'impact sur les personnes âgées lorsque la transmission communautaire n'est pas sous contrôle. Selon Maria Brandén, de l'Université de Linköping, auteur principal, ces résultats "confirment que dans les zones de la communauté où le nombre d'infections est élevé, les personnes âgées risquent davantage de mourir du Covid s'ils vivent dans une maison de repos et de soins ou avec des membres de leur famille en âge de travailler. Le contrôle de la transmission communautaire est essentiel pour protéger tout le monde. La transmission par le voisinage est une considération importante dans le cadre d'une telle épidémie. Même si les personnes âgées peuvent s'isoler, beaucoup d'entre elles entreront en contact avec des personnes en âge de travailler. Une exposition étroite aux personnes en âge de travailler sous la forme de soignants ou d'autres membres du ménage met les personnes âgées en danger. C'est pourquoi des stratégies pour protéger ces personnes doivent être explorées, en accordant une attention particulière aux zones densément peuplées ."Faut-il alors rendre le masque obligatoire aussi à l'intérieur des logements? Le chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital Tenon à Paris, Gilles Pialoux, estime qu'il devrait aussi être porté au sein de l'unité familiale. L'étude montre que les personnes vivant dans des maisons de repos et de soins avaient le taux de mortalité le plus élevé (233 décès pour 1.000 personnes par an), suivies par celles vivant dans des immeubles à appartements (26 décès) et par celles vivant dans une maison (16 décès). Après ajustement, les personnes vivant dans des maisons de soins étaient quatre fois plus susceptibles de mourir du Covid que celles vivant dans un logement indépendant. En termes de structure par âge des ménages, vivre avec une personne en âge de travailler était associé à une augmentation de 60% de la mortalité due au Covid-19, par rapport au fait de vivre dans un ménage avec des personnes âgées de 66 ans ou plus. Vivre dans les quartiers les plus densément peuplés (plus de 5.000 individus par km2) fait courir un risque 70% plus élevé de mourir. Les personnes vivant dans les ménages les plus surpeuplés (0 m2 à <20 m2 par personne) étaient deux fois plus susceptibles de mourir du Covid que celles vivant dans les maisons les moins peuplées. Pour le docteur Sandra De Breucker, chef de service de gériatrie à l'Hôpital académique Erasme (Université Libre de Bruxelles), "le profil des patients hospitalisés durant la première vague était pour beaucoup des patients en provenance des maisons de repos, et leur taux de mortalité atteignait 30%. Beaucoup de ces patients âgés vivent à domicile, leur niveau socio-économique est plutôt faible et ils sont confrontés à de la promiscuité dans le logement. Ils sont donc infectés par les jeunes ou de petits enfants, via l'école. Ce qui fait la force de cette étude, c'est que les auteurs ont comparé la mortalité liée au Covid avec la mortalité non liée au Covid, elle-même comparée à celle d'une année non-Covid. Parce que l'établissement du lien du décès avec le Covid reste délicat. Certains ont été classés comme morts Covid, alors qu'il y a eu par exemple des décompensés cardiaques qui sont morts de difficultés respiratoires aiguës ni reconnues ni soignées correctement. En période Covid, tout est Covid, ce qui mène à une surestimation du nombre de patients réellement décédés du Covid. Dans cette étude suédoise, la réduction des facteurs confondants permet d'aboutir à des chiffres plus sûrs".Ces résultats mèneraient-ils à remettre en cause la promotion d'un habitat intergénérationnel, qui, ces dernières années, a été promu face à l'isolement de personnes âgées seules chez elles? "La réflexion en temps de pandémie n'est pas la même que celle en temps normal", nuance Sandra De Breucker. "On demande aujourd'hui à une population entière de faire un effort pendant une durée qu'on espère la plus limitée possible. Cela n'empêche pas, pour le long terme, de réfléchir aux bienfaits de la vie intergénérationnelle avec la famille. Je pense que cette étude doit pousser à améliorer les mesures de protection, des gestes barrières adaptés à l'intérieur de la famille. Mais on va se heurter au fait qu'il est difficile d'appliquer les gestes barrières dans les lieux de promiscuité. Il faudrait peut-être songer à proposer, par exemple, des internats pour les plus jeunes, afin de protéger les plus âgés. Et en même temps, travailler sur la formation du personnel soignant, dont beaucoup démissionnent par peur de ramener le virus chez eux. A Erasme, un infirmier sur trois est sous certificat, c'est énorme. Au point que la communauté des médecins de l'hôpital est réquisitionnée pour effectuer des tâches d'infirmier en salles Covid."