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Journaliste au Figaro, critique de cinéma, écrivain et essayiste, Éric Neuhoff décrit le petit monde parisien de l'édition au travers d'un vieux couple d'éditeurs amoureux... des livres. "Léger comme une plume", et c'est vrai qu'elle est légère, primesautière la plume d'Éric Neuhoff, néo-hussard rigolard qui dans "Rentrée littéraire", décrit un monde en train de disparaître (comme les livres? ): celui de l'édition à Saint-Germain-des-Prés au travers de la vie et du travail de Pierre et Claire, jeunes et fringants soixantenaires dont le métier est d'éditer et lire, "couverture" au mot plaisir... Le journal du Médecin: Votre livre a quelque chose de germanopotin ou germanobottin... Éric Neuhoff: (il rit) J'avais envie de décrire cet environnement, situé pour l'instant entre trois ou quatre pâtés de maisons. Car cela s'expatrie beaucoup actuellement dans le monde de l'édition, notamment avec les fusions en cours, notamment Hachette-Editis. D'ailleurs, le jour où Albin Michel quitte Montparnasse pour Issy-les-Moulineaux, j'arrête d'écrire! (il rit) Car l'on fait ce boulot, qui n'en est pas un, pour s'amuser et, comme les personnages du roman, passer son temps à lire des livres, à en écrire, à aller au restaurant avec les éditeurs, à courir de cocktail en cocktail, à être invité dans les salons du livre de province: c'est un plaisir, pas du travail. Je ne veux pas que l'esprit de sérieux gagne complètement la partie. Mais il n'y a déjà plus le même état d'esprit: il n'y a qu'à voir les menus des éditeurs au restaurant. On est passé du cassoulet et magnums de bordeaux à la salade verte avec du quinoa accompagnée d'une bouteille d'eau gazeuse! Je me demandais si le livre de Jérôme Garcin il y a quinze ans ("Les soeurs de Prague") sur le monde de l'édition, dans lequel des bimbos de l'Est venaient consoler sexuellement de vieux écrivains notamment, vous avait influencé... Ah mais, je n'ai jamais connu ça. Au prochain Masque et la plume, je demande les numéros de téléphone à Jérôme... (rires) En fait, je voulais écrire un vrai roman: d'ailleurs, c'en est un, puisque ce couple reste ensemble toute sa vie. Qu'au milieu de cet univers de papier ou ce qu'il en reste, avec toutes les tentations, les divorces, les séparations, les petites trahisons, cet homme et cette femme puissent rester unis et être toujours émerveillés d'être ensemble. Cette relation s'avère plutôt un ménage à trois entre Pierre, Claire et... Paris? La ville est le personnage essentiel ; je souhaitais que l'on voie Paris, que l'on s'y balade avec un côté guide Michelin, car ils passent leur temps au resto, que le lecteur se promène dans les rues, voit les boutiques, dont certaines n'existent plus ; que cela ressemble à certains films de Woody Allen décrivant des lieux dans New York. L'air du temps dans un roman est essentiel, qui rend les faits vivants. Vous écrivez 'Leur jeunesse avait quelque chose de doré' et dans "Très cher cinéma français" vous parliez également de 'l'or du temps'... Lorsque l'on se remémore sa jeunesse, elle prend une dimension magique, qui ne reviendra plus. C'est une monnaie qui n'a plus cours la jeunesse. Votre livre c'est un peu à la recherche du temps passé? Regarder dans le rétroviseur et puis se ranger des voitures? Avec un roman, vous êtes toujours forcés de regarder dans le rétroviseur. Raison pour laquelle la SF n'est pas romanesque: le roman, c'est forcément des phrases à l'imparfait. Un roman au futur c'est affreux. Le nouveau roman s'écrit au présent, ce qui est terriblement glacé... Dans le roman, l'on aperçoit Mitterrand dans une librairie qui se penche sur "Les deux étendards", grand et gros roman de Rebatet, collabo patenté. Le clin d'oeil à Mitterrand c'est littéraire, politique... voire les deux? Plutôt littéraire, car il n'y a pas eu beaucoup de présidents depuis son règne sur qui l'on pouvait tomber dans une librairie par hasard, ce qui m'est arrivé. Je savais par ailleurs que "Les deux étendards" était l'un de ses romans favoris. Par contre, sa plume, à lire "Une jeunesse française" le livre de Pierre Péan... On lui a fait croire qu'il avait du talent. Je vous rappelle qu'à sa une le 11 mai 81, Le Monde avait titré: "François Mitterrand: un écrivain né"! Sa production n'était que dictées faiblardes de l'ordre du sous-préfet aux champs. Sans doute était-il bon lecteur.... À président qui a lu, président bien élu? En tout cas, il a lu les résultats de l'élection: il connaît les chiffres à défaut des lettres. La culture n'est pas un handicap pour un président: raison pour laquelle la situation actuelle est inquiétante. Connaître l'histoire est tout de même un atout lorsque l'on fait de la politique. Cela confère un socle. Mais la politique actuelle ne me passionne pas. Le personnel a sérieusement baissé: cela manque de personnalités de la trempe de Pasqua, Marchais ou Edgar Faure à l'époque... De brillants orateurs et des personnages hors du commun. Aujourd'hui on constate une sorte d'uniformisation, de lissage... et pas seulement en politique. C'est le puritanisme anglo-saxon, que l'on adopte en France? Puritanisme pornographique anglo-saxon face à l'érotisme français? Ce dernier est, lui aussi, en train de disparaître. Cela fait aussi partie de l'art de vivre cet érotisme à la française. La séduction... qui était surtout l'apanage des pays latins. En France, nous prenons les défauts de tous les systèmes: du communisme, du capitalisme et aucun avantage. Actuellement, nous sommes en train de prendre les pires défauts des Américains avec le wokisme. C'est-à-dire? Ces gens ne savent absolument pas ce qu'est l'art, la littérature, le cinéma, et sont totalement à côté de la plaque ; mettre de la morale partout, alors que tout cela devrait être l'espace de la subjectivité, de la liberté et de l'excès. C'est sans doute la chose la plus emmerdante qui se passe aujourd'hui... bien plus que le Covid. Le wokisme empêche tout humour et complexité du propos. La complexité c'est la contradiction, le scandale, l'injustice... il y a tout et c'est ce qui rend la vie plutôt palpitante. Les tenants du wokisme veulent également lisser absolument tout et nous préparent un monde d'un ennui terrible. Le wokisme touche-t-il aussi le milieu littéraire, si l'on prend par exemple le Goncourt l'an dernier?Quand j'ai entendu Tahar Ben Jelloun proclamer après la remise du prix, qu'il n'était pas indifférent de donner le Goncourt à un écrivain qui s'appelle Mohamed, j'ai trouvé cela débile: ce n'est donc pas la qualité du livre qui était en jeu, mais l'origine de l'auteur. C'est absurde... Et il était sérieux? Bien sûr. Vous avez déjà vu Ben Jelloun rigoler? (rires)